b- L'environnement, un secteur économique en
devenir.
En 2001, au concours d'entrée d'HEC, est
proposé le sujet suivant : « Protection de
l'environnement et développement économique ».
Catherine Fabre, professeur agrégée d'économie et de
gestion, intitule une partie de son corrigé : « Effets
sur le progrès technique : la protection de l'environnement comme
locomotive d'un futur décollage économique. ». Son
propos s'appuie sur la théorie des cycles d'innovation de Schumpeter,
théorie articulée autour de la notion de «
destruction créatrice » et illustrée par des exemples
ayant trait à l'économie des services et aux énergies
renouvelables. Considérant les limites du modèle de croissance
défini dans les années 1960 et poursuivi jusque dans les
années 1990, Catherine Fabre ne déplore pas cet état de
fait. Au contraire, elle propose d'en faire les conditions d'un nouveau
départ pour l'industrie. Ce corrigé nous renseigne sur
l'état d'esprit optimiste de futurs entrepreneurs sensés
être innovants et réalistes.
La promotion de l'environnement comme un secteur
économique d'avenir date, en fait, du début des années
1990. Mais c'est à la fin des années 1990 qu'Envoyé
spécial rend compte des tentatives réussies de
concrétisation de cette idée. La première traduction
pratique de cette idée a entraîné le développement
d'une communication environnementale associée, après 1995,
à une communication sur le risque. Nous avons vu à quel point les
repères d'Envoyé spécial pouvaient être
brouillés par cette communication, et par conséquent ceux de la
population. La seconde traduction pratique a été - et est encore
- le développement d'un secteur nouveau, alliant technologie et esprit
d'entreprise. Envoyé spécial s'érige, à
partir de 1997, d'abord en analyste puis en promoteur de ce nouveau
secteur.
Le 6 février 1997, Envoyé spécial
diffuse un reportage sur « Les produits biologiques ».
Ce reportage oppose deux visions de l'agriculture, chacune défendue par
un agriculteur. L'un est jeune. L'autre, plus âgé, décrit
les méfaits - appauvrissement des sols et endettement des agriculteurs -
découlant de la mécanisation et de l'utilisation, accrue dans les
années 1960, de pesticides et d'engrais. En dépit de ces
avertissements, le plus jeune pratique ces méthodes car elles sont,
d'après lui, un gage nécessaire de productivité.
Aveuglement, inconscience ou manque d'expérience ? La journaliste,
Françoise Vallet, répond indirectement à cette question en
présentant, par la suite, une ferme école fondée en 1983,
en Bourgogne. La journaliste précise qu'elle rassemble une trentaine
d'intervenants dont des chercheurs de l'Institut National de Recherche
Agronomique. La directrice de l'établissement, intervenant dans le
reportage, revendique, pour son école et ses élèves, un
état d'esprit mêlant curiosité, courage et innovation. Elle
souhaite faire de ses élèves de futurs agriculteurs aussi
attentifs et responsables que performants. L'agriculture biologique est donc
présentée comme un mode de production possible et
différent du mode industriel et dominant de production agricole.
La journaliste essaie de rester critique. L'appellation
« produits biologique » est considérée comme
un effet de mode, propre à Paris. Un boulanger explique ainsi que
« le pain bio, c'est pour la Parisiens, nous on le vend sous
l'appellation « pain de campagne » ». Cette
appellation répondrait d'abord au besoin de consommateurs souhaitant
rétablir un lien de confiance et de proximité avec l'exploitant
agricole. Un vendeur sur le marché parle de « la coupure entre
le monde de la production et le monde de la consommation »,
thème déjà développé en 1990, dans le livre
de Michèle Serres, Le contrat naturel. La journaliste remet,
par ailleurs, en question une idée reçue selon laquelle les
« produits bio » seraient meilleurs pour la santé.
Elle leur accorde simplement une qualité nutritionnelle
supérieure et l'absence de produits chimiques.
Ces quelques réserves n'altèrent pas un propos
plutôt favorable, voire très favorable à l'agriculture
biologique puisque la journaliste déplore une « France en
retard » par rapport à ses voisins européens,
l'Autriche, l'Allemagne et la Suède. La journaliste montre ainsi une
cantine dans laquelle on ne mange que des produits issus de l'agriculture
biologique ; la compagnie Lufthansa se vante de réussir à
proposer, en première classe et en classe affaire, un menu bio de
qualité et économique à la fois. Enfin, le vieil
agriculteur conclue le reportage en disant : « J'ai compris que
la Terre m'a été cédée, je n'en suis que le
gérant. La Terre est un patrimoine vivant. J'ai compris que nous avions
pour rôle avec la technique qu'on a aujourd'huis, de
l'enrichir. » Et le reportage se termine sur une image de champ de
blé, baignant dans la lumière d'un soleil couchant, sur fond de
musique chorale : une évocation de la terre nourricière.
La journaliste précise au cours du reportage, qu'en
France, l'agriculture biologique est associée à une vision
traditionnelle de l'agriculture prônée par les écologistes
et les « baba cool ». La tâche première, pour
Envoyé spécial, est donc de la réhabiliter en
présentant l'agriculture biologique comme innovatrice et pouvant
susciter des vocations. Ce reportage témoigne de la force acquise par le
développement d'une pensée écologiste, et pour mieux dire
environnementale modernisée. Dans ce reportage, nous l'avons vu, les
« baba cool » sont évoqués comme un mauvais
souvenir qu'il faut dépasser pour ne pas nuire à la
crédibilité de personnes qui se présentent comme les
nouveaux défenseurs et gestionnaires d'un environnement de
qualité.
Un autre reportage « Main basse sur les
ordures », diffusé le 11 septembre 1997, met encore en valeur
les réticences et la lenteur des évolutions dans une
période de transition. La loi de juillet 1992 avait annoncé la
fin des décharges pour 1992. Le premier constat, c'est que cette
disparition ne sera peut être pas aussi rapide qu'on l'avait
annoncée. Ainsi, tandis qu'à Marseille, le nouvel Adjoint au
Maire parcourt une zone d'assainissement de la décharge, en cours
d'expérimentation, le journaliste montre, images d'archives CAPA
à l'appui, que la situation n'a en fait pas beaucoup
évolué depuis le début des années 1990. Par
ailleurs, certaines villes, comme Bordeaux, contournent la loi, en envoyant
leurs déchets dans des départements voisins, en l'occurrence la
Vienne. Des personnes interviennent pour faire part de leur déception
à ce sujet (« Notre beau cadre vert est
pollué ») et du « grand mépris de ceux qui
nous dirigent ». Ce transfert de déchets semble en effet
profiter aux syndicats de communes qui les recueillent, moyennant une
compensation financière. Au terme de cette première partie, les
pouvoirs publics locaux semblent incapables de se saisir efficacement du
problème.
Le journaliste, Pierre-Marie Bernoux, présent ensuite
le marché « lucratif » qui s'organise autour du
traitement des déchets. EDF, la Lyonnaise des Eaux et Bouygues sont
autant d'entreprises citées et intéressées par ce
marché encore en développement en 1997. Lors de son entretien
avec Paul Nahon, le journaliste indique ainsi qu' « en France,
nous en sommes encore au stade des choix » et qu'un
« rapport récemment publié prévoit une
augmentation à venir de la facture des déchets ». Parmi
les modes anciens et remis aux normes du jour, l'incinération est
présentée comme un mode de traitement des déchets propre
mais peu satisfaisant.
Un panache, sortant de la cheminée d'une usine et
filmé en plan rapproché, rompt avec l'idée de pollution
que connote ce cadrage, puisque, constitué de vapeur d'eau, on le dit
aussi « propre qu'un bébé ». Pourtant, d'une
tonne d'ordures résultent trois cents kilos de déchets ultimes
dont
on ne sait que faire. Le problème des déchets
n'est donc pas résolu. Un autre mode de traitement des déchets,
la collecte sélective suivie du recyclage, paraît plus recevable.
Cependant, en 1997, les usines de recyclage sont encore rares en France. Le
journaliste l'indique et montre une de ces usines, située à
Rambouillet.
Envoyé spécial, 04-11-1999, 22h22,
« Les roues de la colère ». 1- fond sonore :
musique burlesque, solo de flûte. Voix-off : En France, nous en
sommes encore à étudier la montagne. 2- Le ministre des
transports rappelle la priorité donnée aux voitures dans les
années 1960 et les efforts récemment déployés.
Voix-off : cela ne suffira pas, la montagne est menacée d'asphyxie
d'ici 2010.
Envoyé spécial, 04-11-1999, 22h13,
« Les roues de la colère ». Gare de ferroutage en
Italie.
L'environnement devient donc peu à peu, non plus
seulement un objet d'attention, mais surtout un espace propice aux actions.
Actions que relatent Envoyé spécial avec plus ou moins
de méfiance. Les entrepreneurs sont-ils réellement capables
d'agir à la fois dans leur intérêt et dans
l'intérêt de la communauté ? A la toute fin des
années 1990, Envoyé spécial montre toute une
série d'ingénieurs et d'entrepreneurs fiers de leurs actions et
leur donne des raisons d'être fiers. Des plans généraux et
en plongée permettent ainsi de faire découvrir aux
téléspectateurs le gigantisme de nouvelles installations. Ils
voient les ateliers modernes dans lesquelles se fabriquent les éoliennes
produisant de l'électricité au Danemark (« Pour
quelques degrés de plus », 4 novembre 1999), et en Italie ou
en Suisse, les immenses gares et tunnels de ferroutage qui permettent
d'acheminer, par train, les camions transportant de la marchandise
(« Les roues de la colère », 2 décembre
1999).
Ces raisons d'espérer en un avenir meilleur contrastent
pourtant avec l'incapacité des pouvoirs publics français à
réformer leur pratique politique et à encourager ces initiatives.
Ce à quoi s'ajoute la faiblesse des pouvoirs européens et la
pression d'autres industriels, dont les intérêts sont
contrariés, autant d'obstacles qui renforcent les doutes et l'engagement
d'Envoyé spécial. Le détail de ces
éléments contrariants fait l'objet du dernier chapitre de ce
mémoire.
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