Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).( Télécharger le fichier original )par Yannick Sellier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007 |
b- Approche comparatiste et éducation à l'environnement.En 1978, l'Unesco adopte dans un rapport final, lors de la conférence intergouvernementale de Tbilissi112(*), les préceptes d'une éducation à l'environnement. Selon ce rapport, l'éducation à l'environnement s'appuie, premièrement, sur la prise de conscience de ce qu'est l'environnement, des relations qui le relient l'individu et à la société, et enfin, des solutions devant aider à résoudre les problèmes liés écologie. Pour ce faire, il faut acquérir certaines connaissances (par exemple, qu'est-ce qu'un écosystème ? quel est l'impact de telle ou telle activité humaine ?). Cela passe aussi par l'acquisition de valeurs parmi lesquelles signalons « développer un esprit critique à l'égard des valeurs sociales » et « accroître la motivation à agir pour l'environnement. » Il s'agit enfin d'acquérir certaines compétences parmi lesquelles « élaborer, mettre en oeuvre et évaluer un plan d'action » ou encore « communiquer (informer, discuter, négocier, convaincre) ». Tout ceci devant à terme susciter chez l'intéressé une capacité d'analyse et une volonté d'agir pour l'environnement (aménager sa maison pour économiser l'énergie, réduire le nombre de petits parcours en voiture, organiser dans sa ville une journée sans voiture). En comparant les critères d'une éducation à l'environnement avec tout ce que nous avons pu détaillé de la construction et de la contextualisation des reportages sur l'environnement, diffusés dans Envoyé spécial, nous pouvons affirmer que l'émission a participé, d'une manière ou d'une autre, à l'éducation à l'environnement d'une partie au moins du public, régulier ou non, du magazine Cependant on peut rétorquer que l'information n'est a priori nullement synonyme de savoir ou connaissance (et confondre par la même occasion, éducation et instruction). Savoir et connaissance exigent recul, discussion, aide : un savoir, c'est une information que l'on s'est appropriée113(*). Pour acquérir un savoir, l'individu a besoin d'une aide, d'un être humaine qui lui explique l'information pour en exhiber les constituants et surtout pour les faire comprendre par le destinataire. N'était-ce pas la mission que s'étaient assignés Paul Nahon et Bernard Benyamin lors de la fondation de leur magazine ? Mais Louis Porcher, s'intéressant au lien entre éducation et communication de l'information, émet une réserve : considérant que les médias concourent à la massification et non pas à l'individualité, ils ne peuvent délivrer, selon lui, qu'une information et non pas construire un savoir114(*). Nous ne sommes cependant pas d'accord avec ce point de vue globalisant car chaque téléspectateur est capable de discuter en famille ou avec des amis de ce qu'il a vu, de porter un jugement critique et de considérer, à titre individuel, les informations, participant de l'acquisition d'une connaissance, qui lui sont transmises. Et même, si nous prenions en compte ce point de vue, l'éducation nationale, du fait de la conception républicaine sur laquelle repose son système d'apprentissage, ne concourt-elle pas autant à la massification que les médias ? Laissant cette question ouverte, reprenons le fil de notre réflexion. Lucie Sauvé, dans son livre Education et environnement à l'école secondaire, apporte encore quelques précisions concernant l'éducation à l'environnement. En les accommodant à notre propos, nous observons qu'Envoyé spécial contribue en effet à cette éducation, en essayant de faciliter pour chaque téléspectateur la découverte de sa place dans la société. L'éducation, par ailleurs, ne se résume pas à l'acquisition de connaissances, elle est plutôt un processus qui permet l'acquisition d'une attitude face aux événements de la vie. La dimension affective, qui fait que l'on peut apprécier ceci ou cela, est partie intégrante de cette éducation. Or que ce soit par l'image ou par les sons (la musique qui instaure une ambiance), Envoyé spécial intègre résolument cette dimension affective. L'éducation à l'environnement doit surtout permettre de faire de l'environnement une préoccupation à la fois quotidienne et transversale115(*). Envoyé spécial s'est depuis le début donné pour objectif de transmettre l'information au téléspectateur et de lui proposer une organisation de ces informations. Par les rétrospectives, les rediffusions et le traitement sur le moyen terme de sujets similaires (cf. la pollution atmosphérique), le magazine permet au téléspectateur attentif ou à un public régulier d'établir des liens entre les nouvelles informations et les connaissances antérieures116(*). Dans des termes plus concrets et entres autres exemples, dans le reportage suivant la diffusion de « La Rochelle, l'utopie ? », à savoir au début du reportage « Paris brûle-t-il ? », on voit une dame se faire contrôler et se rendre compte, à son grand étonnement, que sa voiture émet des gaz d'échappements dont la qualité n'est pas en conformité avec les normes en vigueurs. On la voit ensuite qui reçoit une contravention. Cela incite assez logiquement les téléspectateurs à un peu plus de vigilance et pourquoi pas, à se doter rapidement d'un pot catalytique, en accord avec la nouvelle « loi sur l'air ». Autre exemple, dans le chapitre précédent, nous avons abordé les limites d'une certaine conception de la responsabilité envers les générations futures. L'avenir est difficilement représentable et sa représentation est généralement peu convaincante. Or, si cela est valable pour ce qui est éloigné dans le temps, cela est beaucoup moins valable pour ce qui est géographiquement et socialement éloigné, dans la mesure où par principe, ce qui est éloigné spatialement peut être intégré à tout moment dans la perception du contemporain117(*). Et Envoyé spécial a très tôt développé une approche comparatiste qui permette, en matière d'environnement comme sur d'autres sujets, d'aller voir ce qui se fait au-delà des frontières de l'hexagone. Voyons à présent l'apport éventuel et les limites d'une telle approche. Remarquons auparavant que l'école n'a abordé, jusqu'ici, qu'imparfaitement cet aspect de l'éducation ; ceci explique, en partie, les craintes qu'a suscitées et que suscite encore la récente internationalisation des échanges de biens et de services (depuis la création de l'organisation mondiale du commerce en 1994 et l'ouverture d'un espace de libre échange européen redéfini en 1995). Envoyé spécial essaie donc de pallier ces craintes. En montrant qu'en matière de gestion de l'environnement, d'autres pays sont plus en avance ou ont adopté des solutions différentes, le magazine ne pointe pas seulement les faiblesses de la France mais encourage aussi les Français à s'intéresser aux habitants des pays alentours autrement que comme de potentiels concurrents. On a déjà mentionné, à propos du traitement des déchets, un reportage diffusé le 28 mai 1992, dont le contenu est comparable aux vidéos institutionnelles diffusées dans les écoles sur le même sujet. On y voit une dame allemande préparer sa salade et montrer dans quelle poubelle elle jette chaque détritus. Le reporter montre ensuite comment une boîte ayant contenu du lait, après avoir été recyclée (on voit les étapes de ce recyclage), devient un meuble. Le 23 mai 1996, est diffusé un reportage du même genre, « Histoire d'eaux », sur le traitement des eaux usées et l'approvisionnement en eau potable de trois grandes villes : Paris, Moscou et New York. Cependant cette approche comparatiste n'empêche pas les clichés, elle les retravaille plutôt à l'aune de l'environnement. Que les Allemands soient en avance sur les Français au niveau de la gestion de l'environnement, c'est sans doute un fait, c'est aussi devenu, en France, un stéréotype. Le journal, Le Figaro, attentif à la programmation d'Envoyé spécial fait état des faiblesses d'un reportage diffusé le 12 juin 1997. Ce reportage a pour vocation d'encourager les Français à retrouver le goût du vélo (moyen de locomotion présenté comme propre et pratique). L'objectif est aussi de demander à la municipalité parisienne de poursuivre ses efforts par l'aménagement de nouvelles pistes cyclables, en montrant ce qui se fait ailleurs : « Le sujet étant rarement évoqué, on ne pourra que s'en féliciter. Raison de plus pour être exigeant et regretter qu'Anne Ponsinet et Christian Hirou aient abordé ce thème de façon si banale. [...] l'inévitable reportage sur Amsterdam [...] Pourquoi la capitale est-elle quasiment la dernière pièce d'un jeu de dominos à avoir basculé, très longtemps après Bordeaux, Grenoble, Strasbourg, Brest, Nantes ou Chambéry ? L'occasion était pourtant belle de montrer comment le vélo est entré à Paris, puis est devenu une priorité politique, et non l'inverse. Plutôt que d'aller à Amsterdam, pourquoi ne pas être allé enquêter Strasbourg, où 15% des déplacements mécanisés se font à vélo, soit le double de la moyenne nationale ? Là encore, la petite reine surprend, elle est girondine, plutôt que jacobine. »118(*) Envoyé spécial multiplie malgré toutes les tentatives pour faire découvrir ou redécouvrir aux téléspectateurs, les usages en matière d'environnement, des autres habitants de la planète. Avec l'expérience et à partir de 1995, le magazine intègre de plus en plus, au sein d'un même reportage ou d'une même émission, plusieurs approches d'un même problème dans différents pays, sur divers continents. En septembre 1997, à l'occasion de la diffusion de l'émission spéciale « Alerte à la pollution », la presse se fait d'ailleurs l'écho de ces efforts. En témoigne, cet extrait du journal La Croix, condensé des reportages diffusés au cours de l'émission : « A chaque ville son remède. Los Angeles se lance avec efficacité dans « la bataille du smog » grâce à de sévères inspecteurs de terrain, le développement du covoiturage ou du travail à la maison. Athènes pratique la circulation alternée et interdit aux particuliers de rouler en diesel. Au Brésil, il est défendu de circuler en centre-ville et à Singapour, seuls les riches peuvent rouler. Quel effort sommes-nous prêts à faire et combien d'argent prêts à investir ? Bonne question posée par Los Angeles. [...] »119(*) La dernière question renvoie bien à l'éducation à l'environnement que nous avons évoqué plus haut. Cette réflexion se poursuivra, avec constance, jusqu'en 2000. Voyons à présent comment, Envoyé spécial a abordé cette question cruciale, celle du financement et de l'économie engendrée par un nouveau rapport des hommes à leur environnement. * 112 En annexe du livre de Sauvé Lucie, Education et environnement, Outremont (Québec), Editions Logiques, 2001, pp.. 305-310 * 113 Porcher Louis, Les médias entre éducation et communication, Paris, Vuibert, Coll. « Comprendre les médias. », 2001, p. 13 * 114 Porcher Louis, Op. Cit., p. 33 * 115 Sauvé Lucie, Education et environnement, Outremont (Québec), Editions Logiques, 2001, pp.. 52-54 * 116 Sauvé Lucie, Op. Cit., pp.. 132-133 * 117 Birnbacher Dieter, La responsabilité envers les générations futures, Paris, Puf, Coll. « Philosophie morale », 1995, p. 181 * 118 Strazzula Jérôme, « La ville sur deux roues », Le Figaro, Paris, 12 juin 1997, p. 33 * 119 Boillon Colette, « Menaces sur la terre et sur l'homme », La Croix, 25 septembre 1997, p. 23 |
|