Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).( Télécharger le fichier original )par Yannick Sellier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007 |
a- Le renouveau de l'engagement d'Envoyé spécial.Envoyé spécial, 25-09-1997, 20h59, « La Rochelle, l'utopie ? », installation du panneau annonçant les dispositifs mis en place pour la « journée sans voiture ». La première manifestation officielle appelée « journée sans voiture », s'est déroulée à Reykjavik, une ville de 100 000 habitants et capitale de l'Islande, en juin 1996. L'expérience de La Rochelle, chef lieu du département de la Charente-Maritime et ville comparable, en taille à Reykjavick (100 000 habitant si l'on compte l'agglomération), s'est déroulée le 9 septembre 1997. C'est la première de ce type pour ce qui concerne la France. Elle acquiert rapidement un niveau international pour devenir en 1998, l'European Mobility Week, organisée depuis, chaque année, entre le 16 et le 22 septembre, avec obligation pour les participants d'organiser, le samedi ou le dimanche précédent le 22 septembre, une « journée sans voiture »109(*). Lorsque nous avons demandé à Paul Nahon et Bernard Benyamin comment leur était venu l'idée, ils ont répondu que c'était une affaire de « bon sens ». Se rendant compte que la voiture est un facteur aggravant de la pollution atmosphérique dans les villes, ils en seraient tout naturellement venus à l'idée d'organiser une « journée sans voiture ».110(*) Nous ne pouvons donc rien conclure quant à l'origine de cette idée. Toujours est-il qu'elle va rencontrer un succès grandissant, au fur et à mesure des années, pour ne plus seulement être cantonnée dans les limites d'une manifestation ou d'une expérience ponctuelle. Envoyé spécial, 25-09-1997, 21h, « La Rochelle, l'utopie ? », 1- Maxime Bonno, adjoint au Maire de La Rochelle, lors d'une réunion publique : « C'est fini, on pourra plus continuer comme ça, il faut inventer les transport du XXIe siècle ! » 2- vue sur la circulation routière de La Rochelle. Les notions de « bon sens » ou d' « ouverture vers les autres », évoquées plus haut et énoncées plusieurs fois par Paul Nahon et Bernard Benyamin au cours de notre entretien, renvoient au « scepticisme » tel qu'Isabelle Stengers, auteur d'un article sur le développement durable, le définit, c'est à dire comme une exigence de lucidité : La proposition de durabilité semble l'expression de la sagesse la plus élémentaire. Faire intervenir activement le long terme dans la décision, tenter d'en imaginer les conséquences, se donner les moyens de les rendre discutables et repérables pour pouvoir prendre en compte leur éventuelle non conformité par rapport aux anticipations qui ont justifiés la décision, tout cela porte un nom : penser. 111(*)
C'est bien ce que font Paul Nahon et Bernard Benyamin, ainsi que le Maire de la Rochelle et ses administrés, en 1997. Aux journalistes, d'après Paul Nahon et Bernard Benyamin, il incombe de proposer un espace de discussion et de réflexion sur les choix que fait la société, en l'occurrence en matière de transport. Et c'est ce qui transparaît dans le reportage, « La Rochelle, l'utopie ? » : une effervescence de confrontations et de propositions. Ce reportage, de Jean-Pierre Métivet, rend compte de l'organisation et du déroulement de la « journée sans voiture » organisée le 9 septembre 1997 à La Rochelle. Il est diffusé au cours d'une émission tournée en direct de cette ville et intitulée « Alerte à la pollution ». Envoyé spécial, 25-09-1997, 21h04, « La Rochelle, l'utopie ? », 1- Monsieur venu rendre un vélo emprunté, se dit conquis et avoir repris le goût du vélo, il veut s'en acheter un. 2- Des dames d'un certain âge empruntent des vélos. 3- Le ballet des voitures électriques. Un article, paru le 25 septembre 1997 dans Le Figaro à son sujet, fait mention d'une statistique selon laquelle 82% des Français estiment que l'invasion d'oxydes d'azote et de souffre dans l'atmosphère constituent une menace grave pour leur santé. L'auteur de cet article ajoute que cela ne les empêche pas, pour la majorité d'entre eux, de préférer leur véhicule aux transports en commun. C'est pourquoi Envoyé spécial décide de monter une émission dans laquelle la pollution atmosphérique occupe la première et majeure partie de l'émission. Par ailleurs, cette émission donne une part importante du temps de parole à la population, c'est à dire à des individus qui ne sont ni responsables, ni scientifiques ou experts, à La Rochelle mais aussi dans d'autres grandes villes à travers le monde.
« La Rochelle, utopie ? » commence par divers plans, alternant des prises de vue de la ville de type carte postale (La Rochelle est une destination touristique, on voit donc le port, des bâtiments historiques) et des prises de vues plus conformes à ce que l'on se représente de la pollution atmosphérique en ville (des plans aériens et des plans rapproché de voitures circulant les unes derrière les autres, un cycliste coincé entre deux files de voitures, pareillement au reportage du 19 janvier 1995). En fond sonore, on entend une musique d'un film de Tati, Les vacances de M. Hulot, (qui rappelle fortement la musique du reportage « Massacre à la tronçonneuse » de juin 1990) et les réceptionnistes répondant aux interrogations de particuliers à la veille de la journée « 24 heures sans voitures ». Le journaliste explique que chaque jour 30 000 voitures gagnent le centre ville et que la moitié n'a rien à y faire. A la thématique de l'envahissement de l'espace urbain par les véhicules particuliers, s'en ajoute une autre, celle dont le journalise parle avec familiarité : « l'attachement des Français pour leur bagnole » dont il faut se défaire. Envoyé spécial, 25-09-1997, 21h15, « La Rochelle, l'utopie ? », L'épicier : « Zéro voiture, zéro client ! Je ne veux pas que des voitures mais je veux aussi des voitures » Envoyé spécial, 25-09-1997, 21h04, « La Rochelle, l'utopie ? », Le Maire de La Rochelle : « j'signale que cette voiture est électrique et qu'on aille pas dire que le Maire circule dans un autre véhicule » / Le journaliste (voix-off): « Y'a quand même des râleurs ? » / Le Maire : « Oui, ben ça, on le ferait pas, y'aurait quand même des râleurs ! » Le téléspectateur voit aussi plusieurs réunions rassemblant des responsables associatifs, des responsables municipaux du transport et de la sécurité, ou encore des citoyens. Tout se fait dans la « concertation » (le mot est répété plusieurs fois au cours du reportage) et de manière spontanée. Les divers intervenants, à commencer par le Maire de la ville, apparaissent toujours enthousiastes. Leurs discours sont souvent improvisés, mêlant humour et provocation. Pour exemple, Michel Crépeau, indique au cours d'une réunion, que la gêne causée par l'expérience vaut bien celle causée par une braderie, et que l'avenir du transport en ville vaut bien l'engouement annuel pour « les vieilles chaussettes et les chemises démodées ». Il faut ici noter que la prise en compte de la qualité de l'environnement est présentée comme un gage d'avenir. Le reportage montre des personnes sceptiques mais rarement de mauvaise volonté. Un conducteur aimerait voire le taxi électrique qu'il conduit gratuitement durant cette journée, se répandre et s'améliorer en terme d'autonomie. Le journaliste en conclue que « les professionnels ne voient pas ces véhicules d'un mauvais oeil, ils y sont même plutôt attentifs ». Après la diffusion du reportage, sur le plateau, le journaliste avoue qu'il pensait rencontrer des habitants goguenards. Au lieu de cela, il a pu s'apercevoir que des personnes pouvaient discuter entre elles de la pertinence de l'expérience. Le journaliste commente : « Dans les rues, c'est un forum permanent où rien n'est ou tout blanc, ou tout noir, où les personnes peuvent être à la fois intéressées et gênées par l'expérience. » Le reportage fait aussi état de quelques petits désagréments comme un ouvrier obligé de transporter ses outils avec une brouette ou un motard ne voulant pas garer sa moto sur les parkings mis à sa disposition de peur qu'on lui la vole. Le cas des petits commerçant est un peu plus critique car leurs clients, habitués à mettre leurs achats dans le coffre de leur voiture, ne se sont pas déplacés. Envoyé spécial, 25-09-1997, 21h15, « La Rochelle, l'utopie ? », Les rues de La Rochelle sont un « forum permanent. » 1- « On fait de La Rochelle une ville de vieux. Marcher à pied, c'est retourner au Moyen-Âge ! » 2- Des personnes contestent. 3- La dame a été mise en congé sans solde pour la journée, mais elle est contente car elle peut se reposer et flâner. Mais dans l'ensemble, le reportage met l'accent sur l'ambiance festive : des personnes à cheval, des mamans se promenant avec leur poussette, un grand bi, des skates, des rollers, des voitures électriques. Tout le monde se croise et l'organisation des transports s'en trouve d'ailleurs perturbée. Michel Crépeau, revenant sur l'expérience après la diffusion du reportage, dit avoir été un peu déçu par le tournant qu'a pris l'expérience qu'il souhaitait mener. Il aurait préféré que la journée se soit passée comme à l'ordinaire ; son objectif était avant tout de tester des solutions et modes de transports alternatifs au véhicule particulier à essence. Au cours du reportage, l'adjoint au maire détaille ainsi de nombreux projets ayant pour vocation de donner une suite à ce qu'il considère, lui aussi, comme une expérience grandeur nature. Il propose, entre autres, une mise à disposition de voitures individuelles électriques municipales, d'un terminal hors de la ville pour éviter que les camions n'encombrent le centre ville. Le journaliste signale et montre que la ville s'est récemment dotée de capteurs. Il ajoute que la pollution atmosphérique et sonore, causée par la circulation automobile, touche les agglomérations de toutes tailles, et pas seulement les plus grandes. Le journaliste tire, en fin de reportage, un bilan de l'expérience devenue manifestation : si les émissions de sons et de gaz d'échappement ont chuté, la qualité de l'air ne s'est évidemment pas améliorée d'un seul coup. Pour donner encore un exemple du statut conféré au journaliste, en tant que juge et observateur, nous avons remarqué deux séquences permettant de comparer le bruit d'une ville avec et sans voitures. La première est signalée par le journaliste : au cours du reportage, il fait une pause dans son commentaire, intentionnellement, pour que le téléspectateur écoute le bruit des rues. La seconde est laissée à l'attention du téléspectateur, en conclusion du reportage, après que les voitures aient réinvesti le centre de La Rochelle. Dans la première séquence, on entend les personnes parler, rire, le bruit des vélos et le doux bruit des voitures électriques, bref une diversité sonore que couvre le bruit monotone des moteurs, dans la seconde. Il n'est donc pas fait seulement appel à l'intellect mais aussi à la sensibilité du téléspectateur. En cela et sur d'autres points énoncés précédemment, cette opération permet, d'abord sur place, une sensibilisation des personnes aux nuisances causées par l'automobile. Elle permet ensuite la sensibilisation des téléspectateurs, ceux-ci pouvant poursuivre chez eux la conversation engagée par les personnes interrogées dans les rues de La Rochelle et pourquoi pas demander à leur municipalité de tenter l'expérience dans leur ville respective.
* 109 [auteur inconnu], « Journée sans voiture », Wikipedia, (encyclopédie accessible gratuitement sur Internet) ; informations recoupées avec divers sites officiels sur la « journée sans voiture » * 110 Cf. notre entretien avec Paul Nahon et Bernard Benyamin. * 111 Stengers Isabelle, « Le développement durable, une nouvelle approche ? », Alliage, n°40, automne 1999, p. 33 |
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