Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).( Télécharger le fichier original )par Yannick Sellier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007 |
b- Une pédagogie du risque ?Pour les hommes politique, selon André Ashiéri, un problème est dit de « santé publique » quand son importance et sa visibilité dépassent l'évidence de la sphère de l'événement individuel. Le pyralène, l'amiante, la « vache folle », ou encore le « sang contaminé, incitent les administrateurs et les universitaires à créer, en 1999, le concept de « sécurité sanitaire environnementale ». Ceci afin de répondre, selon une logique pluridisciplinaire, à la multiplication des sources d'exposition et de contamination de l'homme par son environnement98(*). La mise en évidence des risques sanitaires liés à l'environnement n'est cependant pas une nouveauté. La fin du XIXe siècle a vu se développer, avec le mouvement hygiéniste, de nombreuses règles portant sur l'alimentation en eau, l'habitat insalubre et les établissements dangereux et incommodes. La nouveauté, c'est la mise en évidence et surtout la reconnaissance officielle de l'impact retardé sur la santé humaine de l'imprégnation des milieux par des substances toxiques issues de l'activité industrielle et des matériaux employés au quotidien dans les années 1970 et 198099(*). C'est pourquoi, nous avons pu dire que les reportages associent mobilisation citoyenne et prévention sanitaire. Car sans mobilisation de la population et des médias, les risques sanitaires sont difficilement reconnus par les autorités. Pour le comprendre, faisons un détour par la mise en place des administrations locales chargées de l'environnement. Au début des années 1990, de nombreuses municipalités sont tentées de rebaptiser « environnement » le bureau municipal de l'hygiène. En effet, ce dernier a souvent été chargé de recueillir et traiter les plaintes du voisinage. Autrefois basé sur la salubrité publique, ce service voit élargir ses compétences mais sur une base pas toujours compatible avec l'approche environnementale. Par conséquence se pose rapidement le problème de la (re)qualification des personnels. L'efficacité des bureaux municipaux chargés de s'occuper de l'environnement, s'en ressent dans un premier temps. Or, d'un autre côté, les nouvelles lois amènent à considérer l'environnement comme un problème de santé publique. Et un tel problème relève de l'Etat, au niveau local, du préfet. Il y a donc une interférence, voire une incohérence entre les différents échelons de compétence : ainsi le préfet de Loire Atlantique a pu casser un arrêté de lutte contre le bruit pris par le maire de Nantes pour abus de pouvoir100(*). La structure municipale, ne pouvant jouer un rôle moteur, en est souvent réduite à jouer le rôle de « bureau des plaintes ». Le premier reportage sur le pyralène en rend compte, en mettant en cause l'incapacité de la municipalité de Reims à prendre des mesures efficaces. Cette situation dure au moins jusqu'au milieu des années 1990, le temps que la loi du 6 février 1992 sur la décentralisation (des compétences et responsabilités) fasse ses effets. Nous allons voir qu'à partir de 1997, les municipalités réussissent à prendre de plus en plus d'initiatives, en matière d'environnement, au niveau local. Envoyé spécial, 19-09-1996, 21h13, « Amiante, 50 ans de mensonge » Le journaliste a ramassé un bout d'amiante qu'il effrite. On voit les bouts d'amiante s'envoler dans le vent. Il montre ici les défaillance d'une décharge sensée être aux normes (l'amiante devrait être enfouie sous la terre) et les risques encourus par les personnes résidant ou se promenant autour de la décharge. En attendant, le journaliste assume en 1995 et 1996, un rôle d'évaluation publique de l'état de l'environnement, rôle que ne peut assumer la commune à l'échelon local et que les experts assument au niveau de l'Etat. Il permet véritablement de faire le lien, de jouer le médiateur entre la population et les pouvoirs publics. Le cas de l'amiante est particulièrement exemplaire à ce titre. Le journaliste par l'intermédiaire du reportage qu'il réalise, donne à la population une capacité de se mobiliser. Le journaliste peut aussi l'accompagner si elle est capable de se mobiliser, en mettant à sa disposition des instruments d'évaluation. La pollution atmosphérique associée aux fumées noires du pot d'échappement ou les symptômes décrits en sont des exemples. Par ailleurs, le journaliste exhorte souvent, plus ou moins directement, les téléspectateurs à être plus vigilants vis à vis des prises de décision concernant leur environnement proche ou lointain. C'est pourquoi, nous pouvons parler d'une pédagogie du risque. En utilisant les moyens dont il dispose, c'est à dire le ton et la brièveté des commentaires, ou encore la force des images, le journaliste crée une brèche dans la vision du monde, le modèle de référence, le rapport à la connaissance du téléspectateur. L'angoisse suscitée par le reportage est sensée être salvatrice puisqu'elle implique une discontinuité, préalable de l'éventuelle prise de conscience d'un danger représenté comme immédiat101(*). Le reportage prépare enfin le téléspectateur à un questionnement nécessaire, même si celui-ci est rapidement perçu par les personnes mises en cause comme de la provocation. Or c'est ce questionnement qui permet de passer du discours technique à la prise de postions politiques. Du fait de l'augmentation des reportages du type de celui sur l'amiante, l'homme politique se voit obligé de dépasser l'assurance de maîtrise des éléments dont il pouvait se vanter, pour intégrer la dimensions telles que la non prédictibilité, l'instabilité, l'irrégularité, le non sens et le désordre102(*). Tout ce que les journalistes mettent cependant en valeur comme des erreurs et des défauts de la part des responsables, du simple fait que ceux-ci se présentent encore dans leurs discours, comme des personnes infaillibles. Envoyé spécial, 19-09-1996, 21h08, « Amiante, 50 ans de mensonge », Formation de l'association des victimes de l'amiante. 1- Gros titre sur le journal que lit une personne du public : « La révolte des victimes ». 2- Descriptions des statuts de l'association.
* 98 Ashiéri André, « Santé-environnement, défi pour le troisième millénaire », dans Alliage, n°48-49, automne 2001, p. 171 * 99 Ashiéri André, Art. Cit., p. 179 * 100 Barraque Bernard, « L'action municipale dans le domaine de l'environnement, limitations historiques et perspectives encourageantes. », dans Vinaver Krystina (dir.), La crise de l'environnement à l'est, Paris, l'Harmattan, 1993, pp.. 139-146 * 101 Lagadec Patrick, « Risques et crises : nouvelles frontières, nouvelles responsabilités », Pour une nouvelle culture du risque. Alliage, Automne 2001, p. 27 * 102 Lagadec Patrick, « Risques et crises : nouvelles frontières, nouvelles responsabilités », dans Alliage, n°48-49, automne 2001, pp.. 27-36 |
|