a- Pollution domestique et enjeux politiques.
Le premier reportage consacré aux substances toxiques
dans l'espace domestique est diffusé le 12 janvier 1995. En 1985, le
transformateur d'un immeuble de Reims brûle, les pompiers interviennent
sans protection particulière et les habitants de l'immeuble
réintègrent peu après leur appartement. Or le
transformateur contient du pyralène, substance utilisée dans les
années 1960 et 1970. Trois mois après l'incident, les habitants
doivent quitter leur appartement tandis que leurs meubles sont
évacués par des hommes en combinaison blanche.
L'étonnement et l'inquiétude des premiers temps se sont
transformés en colère face à une administration incapable
de les informer sur les risques qu'ils ont pu encourir. En 1986, une directive
européenne a interdit la production de pyralène. La France s'est
engagé en 1992 à détruire d'ici l'an 2000 les quelques
50 000 transformateurs de ce type encore en circulation.
Or de nombreuses entreprises possèdent des
transformateurs de la sorte sans toujours le savoir. Outre les risques encourus
en cas d'accident, les condensateurs, radiateurs et
l'électroménager contenants du pyralène sont souvent
envoyés chez le ferrailleur ou jetés dans une décharge
(contribuant lors de leur désagrégation à la pollution de
la terre et des eaux de ruissellement). Ce reportage met en évidence
plusieurs carences de l'Etat : un défaut flagrant d'information des
populations, le caractère dissuasif de la démarche à
entreprendre pour se débarrasser d'un appareil contenant du
pyralène (il en coûte 1000 Francs au particulier qui doit
contacter la DRIR ou la préfecture), l'absence de questionnement vis
à vis de l'usage toujours plus répandu et de la toxicité
de nouvelles substances chimiques.
Envoyé spécial, 19-09-1996, 21h02,
« Amiante, 50 ans de mensonge », au début du
reportage : montage-cut de diverses épitaphes servant à
montrer le cynisme de l'usine Eternit (fabricant d'amiante) qui a
« sacrifié » (le mot est de George Golberine) ses
ouvriers.
Le 28 septembre 1995, un autre reportage est diffusé
à propos d'un produit dont on va entendre parler beaucoup plus
longuement et qui va marquer l'esprit des Français : l'amiante.
L'amiante est matériau de construction des années 1960 et 1970
employé un peu partout des écoles aux immeubles, des
entrepôts aux maisons individuelles. Au cours de l'introduction du
reportage, Bernard Benyamin avance des estimations propres à faire
paniquer : d'après lui et le pneumologue
interrogé au cours du reportage, si aujourd'huis de
2000 à 3000 personnes meurent chaque années des suite d'un cancer
provoqué par l'ingestion d'amiante, on pourrait passer, après
l'an 2000, à 10 000 personnes par an (plus que les accidents de la
route, précise-t-on dans le reportage). Le reportage a
nécessité huit mois d'enquête, ajoute Bernard Benyamin.
Envoyé spécial, 19-09-1996, 21h07,
« Amiante, 50 ans de mensonge », image extraite d'un
débat télévisé. Jean-François Girard,
Directeur Général de la Santé, affirme qu'il n'existe que
des mésothéliomes professionnels et que le
mésothéliome environnemental n'existe pas. On entend, des hommes
placés hors champ autour de lui, hurler : « c'est
faux , c'est faux ! »
Le problème n'est pas récent, il date des
années 1970. Georges Golberine, rédacteur en chef de la revue
Sciences et Avenir et auteur du reportage, a recensé 4222
études scientifiques, depuis les années 1970, confirmant que
l'amiante est un produit toxique et cancérigène. Le défi
pour le journaliste est de faire reconnaître aux autorités
publiques qu'il existe un mésothéliome (cancer dû à
l'amiante) environnemental à côté du
mésothéliome professionnel (reconnu quant à lui par le
Ministère de la santé). L'ouverture du reportage débute
ainsi sur les images d'un enseignant alité, décédé
peu après les pises de vue, qui dit avoir ressenti les symptômes
bien après avoir été mis en contact avec l'amiante.
De nouveau se pose le problème de l'information des
intéressés, à commencer par un ancien ouvrier qui dit
n'avoir jamais été mis au courant des risques qu'il encourait. On
voit en effet les images d'ouvriers manipulant l'amiante sans protection
(images d'archives et images récentes). Au dilemme emploi/santé,
Georges Golberine oppose les cas de l'Italie et de l'Allemagne qui ont interdit
l'utilisation de l'amiante et l'ont remplacé par d'autres
matériaux. L'ensemble du reportage est enfin articulée autour de
l'histoire d'un homme ayant un peu plus de 30 ans et boucher de profession. Le
téléspectateur apprend que lorsque cet homme était plus
jeune, il jouait dans le jardin de ses voisins. La mère de ce voisin
secouait souvent les habits du père qui travaillait alors à
l'usine fabricant l'amiante. C'est là qu'il aurait ingéré
l'amiante, cause de sa maladie quelque vingt années plus tard. Le
téléspectateur voit décliner la santé de cet homme
tout au long du reportage. A la fin du reportage, écrit en blanc sur
fond noir, on apprend que l'homme est mort avant que le reportage ne soit
diffusé.
Envoyé spécial, 19-09-1996, 21h05,
« Amiante, 50 ans de mensonge », image extraite de la
séquence sur le plateau d'Envoyé spécial,
après la diffusion du premier reportage, « Mortel
Amiante ». La Ministre de la Santé invite les personnes
atteintes du mésothéliome environnementale à saisir la
justice afin que leur mal soit reconnu et indemnisé.
A la suite du reportage, interviennent tour à tour, le
ministre de la santé Elisabeth Hubert et l'auteur du reportage, Georges
Golberine. Elisabeth Hubert rappelle qu'il existe une législation et une
réglementation auxquelles doit se conformer le milieu professionnel.
Elle promet des inspections renforcées dans les usines. Concernant les
établissements publics, un dossier est en cours depuis mai 1995 et
devrait aboutir à une sanction pénale d'ici fin 1999. Enfin
concernant l'usage domestique, un rapport a été commandé
à l'Inserm avec des résultats attendus pour 1996. Georges
Golberine, insatisfait des réponses apportées au problème
qu'il pose, s'insurge contre la lenteur de toutes ces démarches
administratives alors que l'urgence lui semble absolue. Emu par le fait que les
personnes qu'il a interrogées, soient mortes avant la diffusion du
reportage, Georges Golberine demande une interdiction immédiate de la
production et de l'usage de l'amiante.
Il semble que ce reportage ait eu un impact
significatif ; d'autant plus que la presse s'empare de cette affaire alors
que Georges Golberine fait paraître, dans la revue Sciences et
Avenir du mois d'octobre 1995, un dossier sur la présence d'amiante
dans les lycées. Pour se convaincre de l'impact de ce reportage, voyons
ce que le sénateur Henri Révol écrit en 1996, de
l'évolution du rapport intitulé « L'amiante dans
l'environnement de l'homme : ses conséquences et son
avenir ». Dans l'introduction de ce rapport, il explique que l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a
été saisi d'une demande d'étude par le Bureau de
l'Assemblée Nationale à partir du 21 juin 1995. L'Office
parlementaire rencontre des problèmes d'organisation interne qui
empêchent la mise en place rapide d'une commission. Autrement dit, au
mois de septembre, le groupe chargé de traiter ces problèmes
commence à peine à travailler. Le sénateur Henri
Révol précise que le travail de cette commission
« s'est inscrit dans un contexte un peu particulier et
controversé, celui de savoir s'il fallait ou non interdire
l'amiante » et alors que la commission « n'en était
qu'au préliminaires de son étude, la décision d'interdire
l'amiante a été prise le 3 juillet 1996 ». Cette
décision a été prise par Jacques Barrot, nouveau Ministre
des Affaires Sociales, échaudé par l' « affaire du sang
contaminé », annonçant l'interdiction de la
fabrication, de l'importation et de la mise en vente de produits contenant de
l'amiante à compter du 1er janvier 1997. Il n'est pas anodin
de remarquer que le nom de Georges Golberine est inscrit dans la liste de ceux
qui se sont exprimés devant le groupe de parlementaires en charge du
dossier.
Cela n'empêche pas George Golberine de préparer
durant ce temps un autre reportage intitulé « Amiante, 50 ans
de mensonges ». Et tandis que le sénateur Henri Révol
salue dans son rapport la prise de conscience salvatrice du gouvernement
Juppé, éconduit lors des législatives anticipées de
1997, George Golberine met à jour un scandale dans lequel de nombreux
ministères ont été impliqués. En effet, des
membres de ces ministères s'étaient associés
officiellement à des industriels de l'amiante et à des
scientifiques pour créer un bureau, dans les années 1980, qui
permette de défendre les intérêts de l'amiante. Bernard
Kouchner (en tant qu'ancien ministre de la Santé) et Brice Lalonde (en
tant que ministre de l'environnement) déclarent ignorer tout de cette
affaire. L'incapacité et les limites de la gestion par l'Etat d'un
problème, pourtant connu depuis les années 1970 et mis au jour
dès 1975, sont donc prouvées.
Envoyé spécial, 19-09-1996, 21h25,
« Amiante, 50 ans de mensonge », la locataire d'une maison,
appartenant à Domofrance, dit qu'il n'y a pas de danger. La preuve, elle
s'en est débarrassée avec son mari (parcequ'elle trouvait le
matériau inesthétique) il y a longtemps et elle n'est pas
tombée malade. Ce que la presse raconte, c'est du vent.
George Golberine retrace aussi les étapes des
débats qui ont suivi la diffusion du reportage. Elisabeth Hubert avait
appelé sur le plateau d'Envoyé spécial les
victimes de l'amiante à se constituer en associations, ce qu'ils font en
1996. Le reportage est donc l'occasion de rassembler une galerie des portraits
de victimes. Georges Golberine décline encore la liste de toutes les
précautions à prendre afin de se débarrasser de l'amiante.
A cet effet, il va notamment voir le responsable de Domofrance ayant
proposé à ceux qui le voulaient des travaux de
désamiantage (à leur frais). Pour lui, l'amiante n'est qu'une
menace psychologique : il estime donc avoir fait une opération de
communication plutôt qu'une opération de santé publique.
George Golberine, lors de son entretien avec Paul Nahon, revient sur le dossier
de l'Inserm remis à Jacques Barrot en juillet 1996. Il lui reproche son
manque de clarté à propos de l'estimation des doses mortelles
d'amiante. Et au final, en dépit de la campagne de presse que cette
affaire a suscité, George Golberine s'inquiète du fait que les
personnes ne fassent pas plus le lien entre l'amiante et la maladie.
Remarquons, pour terminer, que ce lien n'est
évident pour personne. Un article paru dans le journal Le Monde
du 17 juin 1997, rend compte de l'émergence d'une nouvelle discipline,
la « santé environnementale » introduite par le
rapport, rendu public la veille, de l'Institut National de l'environnement
industriel et des risques (Ineris). Pour cet institut, si les problèmes
de toxicité aiguë sont en passe d'être
maîtrisés, ce qui les inquiète, ce sont plutôt les
effets sur la santé d'une toxicité chronique, provoquée
par de faibles doses d'exposition répétée dans le temps.
Etant donné la difficulté de mettre en évidence cette
toxicité au long cours, vue la complexité des substances
incriminées, l'Ineris admet, le 16 juin 1997, que
« L'affirmation d'une relation de cause à effet, prête a
discussion voire à spéculation. ». Pendant ce temps,
les journalistes et Envoyé spécial essaient, dans la
limite de leurs moyens d'appliquer l'adage « Mieux vaux
prévenir que guérir ».
|