2.2.3. Diffusion du maraîchage à Kinshasa
Comme dans la plupart des grandes villes africaines, Kinshasa
voit se poser le problème de l'approvisionnement alimentaire d'une ville
connaissant une véritable explosion démographique.
2.2.3.1. Période avant l'indépendance
La crise généralisée constatée
dans la ville de Kinshasa se traduit aussi par l'extrême
raréfaction des biens et des services produits par l'économie
« moderne » (capitaliste) et par l'appareil administratif de
l'État. Le secteur informel exploite les opportunités qu'offre la
pénurie, en mettant sur le marché des produits et des services
alternatifs ou de substitutions.
Pour assurer un certain auto-approvisionnement, on
commença à s'intéresser tôt au développement
de cultures compatibles avec l'urbanisation. Ainsi, dès l'époque
coloniale, on s'occupait déjà de maraîchage, exigeant moins
de place que la culture de plantes vivrières et occupant de façon
privilégiée des zones humides peu favorables à
l'habitat.
C'est en 1954 que le projet d'aménagement de la rive
droite de la vallée de la N'djili a été lancé pour
assurer l'approvisionnement de Léopoldville (actuellement Kinshasa) en
légumes frais. Le projet était réalisé sur une
superficie de 28 ha répartis en parcelles de 21 ares. En 1957, le projet
fut étendu à Kimbanseke où les aménagements
concernaient 293 lots de 16 ares chacun. Dans chacun des deux centres, une
coopérative de soutien à la production et à la
commercialisation a été organisée, et les maraîchers
ont été largement encadrés. Mais, il y a lieu de signaler
que la production de ces deux périmètres maraîchers
concernait essentiellement des légumes de types européen pour
répondre à la demande des nombreux Européens
présent dans la ville. A côté de ces sites, l'on
rencontrait des jardins spontanés et anarchiques, situés entre
les quartiers industriels, le pool Malebo, ainsi qu'à N'dolo, qui
assuraient la production de légumes- feuilles de types africains pour
faire face à la demande émanant de la population locale.
2.2.3.2. Années après l'indépendance
(1960-1993)
La colonisation a été une grande productrice de
villes en Afrique et ces villes ont une double fonction : le contrôle
politique et le drainage des produits. Ces deux fonctions sont fondamentales
pour comprendre la crise actuelle des grandes villes. En Afrique, les villes
sont « filles de l'État », avec une finalité de
contrôle politique. La fonction « drainage » selon Poutier,
cité par Tourot (1999), est à l'origine du système
dominant catastrophique : le système rentier à l'occurrence.
Beaucoup d'États ont une économie directement
héritée du système colonial, une économie
rentière. Ces économies rentières sont d'une extrême
fragilité. Or, ce qui fait vivre la ville, c'est la rente
redistribuée en partie par l'État et qui fait vivre le
système politique. Une ville reste suspendue à cette
distribution, et comme cela ne fonctionne plus, la population est
exposée à une crise multiforme. Mais on constate que les troubles
qui ont suivi l'indépendance ont rapidement désorganisé
certains périmètres maraîchers. L'encadrement ainsi que
l'approvisionnement en compost (en provenance d'une usine de compostage qui
traitait des gadoues de la ville et qui était située à
Masina) et en semences (de légumes de types européen) n'ont plus
pu être assurés. Comme en plus les débouchés pour
les légumes européens avaient fortement baissé avec le
départ de la majorité des européens après la
colonisation, les maraîchers se sont reconvertis à la production
de légumes- feuilles locales dont la vente était davantage
assurée.
En 1964, a eu lieu l'expulsion des Congolais de l'autre rive
du fleuve (Congo - Brazzaville). Ceux ci constituaient la moitié des
maraîchers du périmètre de N'djili et Kimbanseke ; la
désorganisation s'est donc encore accrue. Les autorités ont
essayé de les
remplacer par des manoeuvres inexpérimentés mais
les résultats ne se sont pas avérés satisfaisants.
En 1965, le calme politique se rétablit et le pouvoir
ayant fait de l'agriculture « priorité des priorités »,
a essayé de relancer le maraîchage kinois5 . Il fit
appel à la coopération française pour rendre efficace sa
politique en cette matière. Dès le début des années
70, les cultures de légumes - feuilles tropicales ont repris de
l'ampleur. Ces légumes indigènes constituent, encore à ce
jour, avec environ 80% de la production officielle, la plus grande part de la
production maraîchère kinoise.
En 1972, l'aire maraîchère de Kinshasa
était estimée à 101 ha (estimation CECOMAF6
1972). Selon le département de l'agriculture, il y avait 4. 300
producteurs ayant la production de légumes comme activité
principale en 1981. La superficie moyenne par cultivateur variait
généralement entre 0,09 et 0,11 ha.
Au cours des années 70 et 80, des nouveaux
périmètres maraîchers sont mis en place et le recensement
de l'époque indique jusqu'à 9 périmètres officiels.
Il s'agit notamment de :
· la vallée maraîchère de la Funa,
située un peu à l'écart des autres au Sud de la ville,
· le centre maraîcher de Lemba- imbu, auquel on
rattache le centre de Kinsenso, le centre de N'djili ; le centre de Kimbanseke
; le centre de Manzanza ; la vallée de la Tadi ; la vallée de la
Tshangu ; la vallée de la Mango ; le centre de Mokali, auquel on
rattache le centre de Bono.
En plus de ces centres «encadrés», on trouve
encore quelques centres « non encadrés » notamment dans la
vallée de la Bumbu (près de la vallée de la Funa), la
vallée de la LukungaIkusu (à l'Ouest de la ville) et un centre
aux abords de l'aéroport.
Il y a lieu de remarquer aussi, partout en ville, aux abords
des rues, des routes et sur les terrains vagues, de petites parcelles
«spontanées» couvertes de cultures maraîchères.
La production de ces jardins est difficile à évaluer, mais n'est
certainement pas négligeable. On constate aussi qu'une grande partie de
cette production est destinée à la vente et participe donc de
façon certaine à l'approvisionnement en légumes du centre
de Kinshasa.
5 Kinois : relatif à la population habitant
Kinshasa
6 Centre de commercialisation des produits
maraîchers et fruitiers de la vallée de la N'djili .
L'année 1972, marque une étape importante dans
l'évolution du maraîchage à Kinshasa. Il s'agit de la
création, par arrêté Ministériel, du CECOMAF.
Nonobstant sa dénomination plutôt restrictive, cet organisme
intervient également, de façon partielle sinon de façon
essentielle, dans l'aménagement des sols, la gestion des installations
collectives, l'approvisionnement des exploitants et la diffusion des techniques
culturales modernes. Les conditions du marché local ne lui permettent en
effet pas d'intervenir directement dans la commercialisation, et son rôle
dans ce domaine se réduit finalement à un service de
transport.
En 1978, la pisciculture a été relancée
sous initiative du CECOMAF par l'introduction d'une espèce de poisson
« Tilapia nilotica ». Le centre sera quelques temps
après remplacé officiellement par le Projet Maraîchage et
Pisciculture (PMP) mais la dénomination CECOMAF continuera à
être utilisée.
En 1986, les infrastructures de la CECOMAF sont
léguées au PASMAKIN7 . Cependant sa fonction semble
fortement réduite suite à un manque de moyens et de personnel. A
ces causes, il faut ajouter malheureusement les pillages de 1991 et 1993 ainsi
que les conséquences de la guerre de 1997. Cette dernière avait
particulièrement déstabilisé l'organisation de ces
vallées.
Le changement de projet CECOMAF au projet PASMAKIN entre 1972 et
1996 a amené à la mise sur pied du Service National d'Appui au
Développement de l'Horticulture Urbains et Péri Urbaine en sigle
« SENAHUP » qui est un service spécialisé du
Ministère de l'Agriculture et de l'Élevage relevant du
Secrétariat Général au Développement Rural.
Crée par arrêté Ministériel N°
026/CAB/MIN/ AGRIDRAL/96 du 18/09/96, SENAHUP a pour objectifs :
l'intensification des productions maraîchères et
fruitières en milieux urbain et péri - urbain par
l'intégration de l'horticulture dans la gestion des espaces verts ;
la restauration des techniques culturales et de
l'élevage ;
la réhabilitation les périmètres
maraîchers pour assurer une régularité des
approvisionnements urbains et ruraux à toute période de
l'année et augmenter le revenu de l'horticulteur ;
l'éducation coopérative ;
7 Projet d'Appuie et de Soutient aux Maraîchers
de Kinshasa
l'identification des ressources humaines capables d'assurer le
suivi de la politique nationale en la matière ;
l'implantation progressive des structures
autogérées à travers le territoire national.
De ce qui précède, l'évolution rapide de
cette agriculture urbaine à Kinshasa bien que le résultat de
l'absence d'une politique agricole cohérente et efficace, et l'absence
d'une politique sur le développement du milieu rural Congolais, la crise
politique et socio économique, elle permet des multiples fonctions.
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