8.2 La participation paysanne dans la mise en place des
innovations
La participation de la population est souvent vue comme une
manière de réaliser un développement rural plus efficace
et visant davantage à résoudre les problèmes des
bénéficiaires (van den Ban et al, 1994). De plus en plus, elle
est perçue comme une stratégie qui facilite l'adoption des
innovations.
8.2.1 Qu'est ce que la participation
?
La participation suppose que la responsabilité du
processus de décision au sujet de l'identification et de la mise en
place d'une innovation soit partagée entre les divers acteurs (le
paysannat, la recherche et la vulgarisation). Ainsi, il y a une parfaite
intégration des différents compartiments à toutes les
phases de la conduite de l'innovation. Lavigne Delville et Nour-Eddine (1999)
ont distingué sept niveaux de participation des populations aux
programmes et projet de développement (de la participation passive
à l'initiative locale).
Combien de technologies issues des stations de recherche n'ont
pas été purement et simplement rejetées par les paysans
parce que, ne répondant pas à leurs préoccupations ?
Les innovations proposées au paysannat doivent prendre
en considération l'expérience des agriculteurs. Dans la
réalité, ces acteurs locaux sont détenteurs de
technologies appropriées, forgées au cours des siècles et
résultant de leurs propres recherches (expériences) et des
innovations introduites. Les producteurs, le plus souvent font des
sélections selon la perception qu'ils ont de l'innovation, ce que
constate aussi (1994). C'est dans ce sens que beaucoup de producteurs ont
préféré l'approche traditionnelle d'observation des
plants, qui permet de gagner du temps à celle recommandée par la
méthode LEC. Il y a alors une réadaptation de la technologie
à la réalité sociale du milieu. Le temps utilisé
pour compter les insectes dans le champ peut être utilisé pour
d'autres activités dans l'exploitation. Les paysans ont adopté
alors les intrants LEC et y ont ajouté leur approche locale. Le paquet
n'a pas été adopté entièrement.
Si toujours est-il qu'avant de s'approprier une technologie,
le paysan y apporte des modifications résultant de son niveau technique
et des contraintes socio-économiques vécues, l'idéale
aurait été que les innovations proposées aux agriculteurs
prennent en considération leurs expériences pour s'approcher plus
de leur réalité sociale. Sinon, très rapidement,
l'innovation se trouve en marge de leurs attentes.
8.3.2 Quel type de participation a t-on besoin pour
la conduite des innovations ?
La participation du paysan au processus de décision
concernant l'identification, la méthode et l'organisation de
l'innovation permet de mieux s'approcher des réalités sociales
des acteurs locaux, pour qui la technologie est destinée.
Le rejet de nombreuses innovations pourrait être
lié à l'absence d'une participation véritable des paysans.
Et quand ces derniers sont associés, ils sont plutôt
utilisés comme des «instruments» au lieu d'être
considérés comme de véritables acteurs qui doivent
être impliqués (Eponou, 1994). Dans certains cas, on les associe
sans conviction, juste pour satisfaire aux exigences des bailleurs de fonds
(Eponou, op cit). Dans ce contexte, comme leur participation, qui se limite
d'ailleurs à une fourniture d'informations, est vue comme une
nécessité pour satisfaire les exigences du bailleur,
l'utilisation qui en est faite ne leur est pas souvent utile.
L'élaboration de la technologie de la LEC a
été faite conjointement avec le paysannat. Ces acteurs ont
participé à la conduite des expérimentations de la
technologie. Malgré cette implication des paysans, la technologie se
trouve réadaptée soit parce que la participation n'a
été que virtuelle et non effective ou soit pour répondre
aux réalités socio-culturelles du milieu, comme l'annonce
d'ailleurs Eponou (op. cit) .
![](liberalisation-filiere-coton-benin-n-dali20.png)
Photo 2 Les paysans participant à la
collecte des données dans le champ de coton
8.3.3 Rôles et motivations de chaque acteur
dans la génération des innovations
agricoles participatives
Le rôle que la recherche, la vulgarisation et le
paysannat peuvent jouer au moment de l'élaboration d'une innovation
dépend d'une part, des connaissances dont dispose chaque
catégorie d'acteurs et d'autre part, du pouvoir de décision
accordé à chacun d'eux (van den Ban et al, 1994).
Dans la conduite conjointe du processus, chaque classe a la
liberté de donner son opinion ou avoir ses critères propres pour
évaluer l'innovation identifiée. Les échanges entre ces
groupes pourraient permettre de s'accorder sur les résultats. Cette
confrontation constitue une véritable difficulté en ce sens que,
ce que un acteur trouve pertinent et efficace pourrait ne pas l'être pour
l'autre.
Dans le cas pratique du "learning group" étudié
dans le cadre de cette étude, certaines expérimentations (cas des
essais en bande : coton-mil) ont été jugées inefficaces
par les producteurs alors que les résultats se sont
révélés intéressants pour la recherche.
La motivation des paysans à participer au learning
group mis en place reste principalement la « recherche de la connaissance
» ou la « curiosité de découvrir ». Mais cette
forme de perception des paysans laisse croire « qu'ils sont venus en se
mettant dans une position d'apprenant ». Dans la réalité,
l'idée de base est de considérer ces acteurs locaux comme
détenteurs de technologies appropriées forgées au cours
des siècles ou résultant de leurs propres recherches. Ainsi,
l'évolution convergente de ces connaissances (endogène et
scientifique) aurait permis de créer une synergie interactive entre les
acteurs et d'identifier la communication sociale. Cet environnement facilite
une complicité agissante dans l'analyse des problèmes,
l'élaboration et la mise en oeuvre des solutions les plus
appropriées. Cette réalité ne semble pas être encore
précise chez les acteurs locaux : pour eux, ils n'ont rien à
apprendre aux autres acteurs. Les paysans ne sont pas encore convaincus de leur
rôle dans le système. Dans le learning group étudié,
seulement trois (03) paysans sur dix (10), soit un poids de 30% reconnaissent
que dans la recherche conjointe menée avec les autres acteurs
(recherche, vulgarisation), ils ont aussi des connaissances à
transmettre à ces acteurs.
La recherche participative rencontre de nombreuses
difficultés qui ne permettent pas
![](liberalisation-filiere-coton-benin-n-dali21.png)
Photo 3 : Une séance d'observation des
attaques dans le champ de coton échange entre chercheurs, vulgarisateurs
et paysans
sa mise en oeuvre effective.
8.3.4 Les obstacles à la
participation
Les obstacles liés à la participation peuvent
être d'ordre culturel ou du fait de la divergence des points
d'intérêts.
Les obstacles à la participation peuvent être
directement liés à chaque catégorie d'acteurs. Mais dans
cette rubrique, nous allons nous appesantir sur les barrières
liées au paysannat, surtout avec l'environnement institutionnel au
niveau de la filière coton, après la libération.
8.3.4.1 les divergences dans les
intérêts
Dans le "learning group" où se conduit une forme de
recherche participative, nous avons identifié deux catégories de
producteurs mues par des intérêts divergents.
La première catégorie regroupe ceux qui sont
intéressés par les intérêts financiers de
l'approche, « en travaillant dans le groupe, on peut obtenir des faveur
d'ordre financiers ». Mais très tôt, ne sentant pas un tel
intérêt en jeu, ces paysans se sont retirés du groupe,
parce que « le temps perdu n'est pas rémunéré ».
Pour ce groupe, l'élément déterminant reste le soutien
financier qui accompagne la participation, alors que la « vraie
participation» serait l'engagement dans le soucis de comprendre et de
contribuer en vue de faire correspondre l'innovation aux réalités
sociales vécues, ce qui facilite son adoption.
Dans la deuxième catégorie, nous retrouvons les
paysans qui se sont engagés à la « recherche du
savoir». Mais est-ce la recherche du savoir, la vraie clé de la
participation ? En se plaçant dans une telle position où le
paysan suppose que le savoir vient de l'autre, il se trouve dans
l'incapacité de partager sa connaissance avec les autres acteurs, parce
que pour le paysan, il ne connaît rien. La collaboration dans le
"learning group" a amené à briser cette barrière qui se
pose aux paysans.
8.3.4.2 Pesanteurs culturelles :les
inégalités sociales
Les inégalités ethniques au niveau des
communautés ne sont pas de nature à rendre la participation
effective. Alors que dans de nombreux contextes, une participation
significative ne peut se produire que si toute la population cible est reconnue
partagée les mêmes droits (Eponou, 1994), en milieu Bariba, toutes
les couches ethniques n'ont pas les mêmes importances dans la
société (cf. section 4.3.2). Cette différence sociale fait
par exemple qu'il serait difficile pour un Bariba de considérer pour
vrai et de suivre ce que développe un Somba parce qu'entre ces deux
ethnies, il a existé une relation de maître à sujet. Cette
image transparaît encore dans la société et rend difficile
la cohabitation entre individus.
L'inégalité entre le sexe (entre l'homme et la
femme), surtout dans les communautés rurales constitue une pesanteur qui
entrave l'efficacité de la participation. A cet effet, nous avons
observé que tous les membres du learning group ne participent pas au
même degré, ceci étant imposé par le système
culturel. Après, plusieurs séances de discussions, nous avons
établi le diagramme de la figure 9 qui traduit la position de chaque
membre du "learning group" au cours d'une prise de décision.
Nous avons évalué le nombre de fois que chaque
membre du groupe a pris la parole pour faire une proposition ou pour
défendre une réponse. Pour des discussions, les membres n'ont pas
des positions fixes mais la tendance reste répétitive. Les femmes
ont souvent l'habitude de se placer en retrait du groupe, parce que, dans la
société bariba, la femme ne doit pas occuper la même place
ou même se prononcer après l'homme.
Il serait opportun de rechercher des moyens pour aller
au-delà de ces barrières culturelles sans créer de
frustration au sein du groupe, pour une réelle participation.
![](liberalisation-filiere-coton-benin-n-dali22.png)
A= atacorien - B= bariba - () = degré d'intervention -
Trait plein = homme Trait creux = femme
B (10%)
B (20%)
A (10%)
B
B (40%)
B (10%)
A
A
B (10%)
B
Figure 10: Positionnement et degré
d'intervention des membres du learning group
8.3.4.3 La divergence des intérêts des
réseaux paysans
La dissidence dans les mouvements paysans a amené la
création de divers réseaux (AGROP, FENAPRA,...). Les innovations
agricoles concernent tous ces groupes et il faut
une collaboration de paysans des divers réseaux pour la
mise en place de ces innovations. Dans la réalité, les pratiques
varient d'un réseau à un autre, surtout au niveau des pesticides
chimiques ( cf. histoire de vie 2).
Entre les paysans même, il y a des rivalités: le
retrait d'un groupe de producteurs, des GV a entraîné des manques
à gagner au groupement (les ristournes sont diminués parce qu'il
y a une fuite des tonnages vers les nouveaux groupements, avec le départ
des producteurs). Alors que c'est sur ces ristournes que fonctionnent les GV et
les UCP. Le climat de dissidence qui subsiste entre les réseaux ne
crée pas un environnement favorable à la collaboration entre les
paysans.
Tableau 8: Analyse SWOT de la filière
coton au Bénin
Paramètres
|
FORCES
|
FAIBLESSES
|
Techniques
|
- Climat des zones de forte production est propice à la
culture (en moyenne 900-1 100mm, saison sèche marquée) - Terre
n'est pas une contrainte
- Seule filière organisée, ce qui mobilise tous les
producteurs
|
- Rendement assez faible surtout dans la zone-centre
(ZouCollines)
- Humidité plus élevée dans la zone sud, ce
qui augmente la pression parasitaire
|
Socio-économique
|
- Les recettes coton constituent une part importante des revenus
dans les zones de production
- La vente est garantie aux producteurs
- Accès facile aux intrants de production
- Secteur contribue beaucoup à l'économie nationale
- Participe aux réalisations socio-communautaires
|
- Retard dans le paiement des recettes coton aux producteurs
- Mauvaises gestions des producteurs ce qui entraîne des
endettements dans les groupements villageois
- Appui insuffisant aux initiatives paysannes
- Augmentation des coûts de production
- Forte dépendance du secteur des marchés
internationaux
|
Institutionnel
|
- Bonne innovation de la libéralisation/ privation
- Intégration du secteur privé dans la gestion de
la filière
|
- Faible pouvoir de négociation des organisations
paysannes vis-à-vis des autres acteurs
- Naissance de dissidence dans les groupes professionnels -
Intervention des acteurs politiques qui débouche sur le non-respect des
principes de la réforme
|
Analyse SWOT de la filière coton au Bénin
(suite)
Paramètres
|
OPPORTUNITES
|
MENACES
|
Technique
|
- Potentialité pour augmenter la superficie
cotonnière (terre étant disponible dans les zones de forte
production)
|
- Augmentation des pertes de production si les IDI ne sont pas
soumis à de contrôle rigoureux
|
Socio-économique
|
- Potentialité pour améliorer les services de
vulgarisation à travers le Farmer Field School, les approches
participatives d'identification des méthodes de contrôle des
ravageurs.
- Bonnes potentialité pour la production biologique (en
limitant les dommages causés à l'environnement et à la
santé des producteurs).
|
- Baisse du prix de coton sur les marchés internationaux -
Distorsion du prix au marché mondial par des subventions à la
production (USA, Europe et Asie)
- Augmentation des coûts de production
|
Institutionnel
|
- Les arrangements en cours dans le secteur créent un
environnement favorable à l'intégration des acteurs
privés. - La libéralisation et la privatisation peuvent conduire
à plus de transparence dans la gestion de la filière
|
- Risque de rupture d'accès aux intrants à cause de
la libéralisation.
- Le non-respect de la prise de décision collective risque
de miner tout le secteur
- Le retrait complet de l'Etat risque de miner tout le secteur
|
Source : Enquête, 2004
|