5.2 Cadre institutionnel de la filière coton et son
fonctionnement après la libéralisation
5.2.1 Les choix stratégiques du gouvernement en
matière de réforme de la filière
Dans le cadre des réformes économiques
entamées au début des années 90, l'Etat a engagé un
processus progressif de libéralisation de la filière
cotonnière. Ce processus a commencé par l'ouverture de la
filière au secteur privé de l'importation et de distribution des
intrants agricoles (engrais et insecticides).
L'activité d'égrenage a ensuite été
ouverte aux opérateurs privés qui détiennent aujourd'hui
une capacité d'égrenage d'environ 47% de la production nationale
(AIC, 2004). Au cours de l'année 2000, ce processus de
libéralisation a connu une nouvelle avancée décisive avec
le choix par le gouvernement d'une filière privée
autogérée au niveau national. Cette réforme repose sur les
principes suivants :
Le transfert des responsabilités de l'Etat aux acteurs
privés, dans le domaine de la gestion de la filière, a
été consacré à travers deux décrets et deux
arrêtés d'application. Il s'agit du :
- Décret N°99-537 du 17 Novembre 1999 portant
transfert au secteur privé de la responsabilité des consultations
pour l'approvisionnement en intrants ;
- Décret N°2000-294 du 23 Juin 2000 portant
suppression du monopole de commercialisation du coton graine par la SONAPRA.
;
- L'arrêté interministériel
N°2003-016/MICPE/MAEP/MFE/DC/SG/DCCI du 14 mars 2003 qui fixe les
conditions d'importation et de distribution des intrants coton au Bénin
;
- L'arrêté interministériel
N°2003-023/MICPE/MAEP/MFE/DC/SG/DCCI du 07 mai 2003 portant organisation
en République du Bénin de la commercialisation du coton
graine.
Ces choix du gouvernement sont sous-tendus par un schéma
de fonctionnement (fig 2) qui s'articule comme suit :
- Les producteurs, pour mener leurs activités de
production, expriment leurs besoins en intrants à savoir, engrais et
insecticides auprès de la Coopérative d'Approvisionnement et de
Gestion des Intrants Agricoles (CAGIA).
- Les intrants sont livrés à crédit par
les sociétés agréées et remboursés au moment
de la commercialisation du coton graine par la Centrale de Sécurisation
des Paiements et de Recouvrement (CSPR).
- Les égreneurs assurent le placement du coton fibre sur
le marché mondial.
Le fonctionnement de ce schéma qui met en relation les
différentes familles professionnelles de la filière, repose sur
des accords et des conventions connus par tous les groupes professionnels.
FUPRO
CAGIA
IDI
GPDIA
BANQUES
CSPR
AIC
APEB
EGRENEURS
FENAPRA
AGROP
GV (Producteurs)
ADIAB
Source : Enquête-2004 Flux de produits Flux financier
Figure 2: Schéma simplifié du
cadre institutionnel après libéralisation
5.2.2 Les acteurs de la
filière
D'après le développement fait dans la
première partie, il ressort que le processus de privatisation /
libéralisation de la filière était largement
engagée depuis 1992 avec l'ouverture du sous-secteur intrants aux
acteurs privés. La fonction de l'égrenage lui en a
emboîté le pas à partir de 1995.
· Proposition de répartition du coton-graine
· Paiement en avance de 40 % d'acompte
· Egrène le coton-graine
· Place le coton-fibre à l'exportation
· Alimente les industries locales en graines et coton-
fibre
· Organise le cadre légal et réglementaire de
la filière
· Signe l'accord-cadre de partenariat entre l'Etat et les
acteurs privés
· Contrôle le bon fonctionnement du système
APEB
BANQUES
- Gestion de la commercialisation primaire - Réception
état décadaire et délivrance des
ordres d'enlèvement du coton-graine - Paiement des
producteurs
- Récupération et dénouement des
crédits d'intrants
AIC
(Familles des producteurs et égreneurs)
CSPR-GIE
ETAT (Ministères
et directions
FUPRO-BENIN GV-UCP-UDP
CAGIA-BENIN
- Importer et distribuer les intrants
- Formation à l'utilisation des intrants agricoles
Famille Importateurs- Distributeurs
privés d'Intrants
GV
· Représente les acteurs de la filière
auprès de l'Etat et signe les accords et prestations de service
· Cadre de concertation entre familles professionnelles
· Elaboration du plan de campagne
· Gestion des fonctions critiques (recherche, semences,
encadrement, qualité, pistes, fixation des prix)
- Cadre de concertation des
producteurs
- Commercialisation
primaire du coton-graine -
Signature des accords de
campagne et de vente du
coton-graine
- Sélection par appel d'offre des Importateurs
et Distributeurs d'Intrants coton
- Formation des
producteurs sur
l'utilisation des intrants
- Suivi de la mise en place
Figure 3 : Schéma détaillé
de gestion de la filière coton
Pour parachever ce double processus de privatisation et de
libéralisation qui nécessite le passage d'une gestion
concentrée aux mains de l'Etat à une gestion Interprofessionnelle
de la filière, il convient de créer un cadre réglementaire
et institutionnel de négociation entre acteurs. Ainsi, différents
groupes professionnels sont engagés dans la gestion actuelle de la
filière.
5.2.2.1 Le Groupement Professionnel des Distributeurs
d'Intrants Agricoles
Créé en 1992, à l'ouverture du sous
secteur aux opérateurs privés, il est constitué de douze
membres avec un bureau exécutif de cinq représentants élus
de la profession. Ce bureau assure la coordination entre les différents
membres du groupement et représente la profession au cours des
concertations Interprofessionnelles.
Suite à la sélection des appels d'offres pour
l'acquisition et la distribution des intrants agricoles au titre de la campagne
2002-2003, de graves dissensions sont apparues entre les distributeurs au sein
du GPDIA et ont conduit à la constitution d'un autre groupe de
distributeurs dénommé ADIAB (Association des Distributeurs
d'Intrants Agricoles du Bénin).
5.2.2.2 La Fédération de l'Union des
Producteurs du Bénin (FUPRO-Bénin)
Cette fédération a été mise en
place en 1995 par l'ensemble des soixante-dix-sept USPP du Bénin. La
FUPRO est une association de coopératives multifilières
même si la filière la plus en vue, au niveau de la
fédération reste la filière coton.
Elle est chargée de contribuer à l'autopromotion
paysanne en défendant les intérêts de ses adhérents
au sein des différentes structures. La FUPRO représente
l'ensemble des organisations à la base d'une part, au sein de
l'Association Interprofessionnelle du Coton dont elle est membre fondateur et
d'autre part, lors des négociations avec l'Etat.
Les dissensions au sein de la FUPRO ont débouché
sur la naissance des réseaux parallèles dont FENAPRA et AGROP qui
mènent leurs activités en dehors du contrôle de la
FUPRO.
5.2.2.3 La Coopérative d'Approvisionnement et de
Gestion des Intrants Agricoles (CAGIA)
La principale mission de la coopérative est d'assurer
l'approvisionnement de ses membres en intrants de qualité à bonne
date et à des prix compétitifs. Plus spécifiquement, elle
est chargée de procéder à la collecte et à
l'estimation des expressions de besoins en intrants des producteurs. Elle
organise aussi la sélection des fournisseurs d'intrants et
participe à la négociation des prix de vente avec
les égreneurs. La coopérative a été mise en place
par les UCP.
5.2.2.4 Association Interprofessionnelle du Coton
L'Association Interprofessionnelle du Coton (AIC) est
créée en 1999 par deux groupes professionnels, l'APEB et la
FUPRO. L'AIC représente le seul cadre de concertation des acteurs de la
filière coton au Bénin. Mais la base de l'interprofession semble
être biaisée du moment où elle exclue les distributeurs
d'intrants qui constituent de potentiels acteurs de la filière. Etant un
cadre de concertation entre les différents acteurs, elle ne devrait pas
en exclure. La principale mission de l'interprofession consiste en :
- La coordination technique des activités relatives
à la gestion de la filière.
- L'arbitrage économique et financier entre les
différentes familles professionnelles avec la création d'une
chambre arbitrale et de conciliation.
- La gestion des fonctions critiques et des accords
professionnels.
En dehors de certaines activités exercées par
l'AIC par l'intermédiaire des structures d'accompagnement que sont la
CSPR, la CAGIA et la FUPRO, l'Interprofession assure l'essentiel des fonctions
critiques par contrat de production de service en s'appuyant sur la
compétence des structures étatiques et professionnelles.
5.2.2.5 L'Association Professionnelle des égreneurs
du Bénin
L'Association Professionnelle des égreneurs du
Bénin (APEB) a été créée en 1999 par les
égreneurs privés et la SONAPRA. Cette structure est
chargée d'assurer la coordination entre ses membres et la
représentation de la profession au sein des institutions mises en place
dans le cadre de l'Interprofession (AIC, CSPR, CAGIA). L'APEB est membre
fondateur de l'AIC et de la CSPR.
Il convient toutefois de signaler qu'à la veille de la
campagne de commercialisation 2000-2001, la première de la CSPR, des
dissensions internes au sein de cette association ont conduit au retrait de
certains de ses membres. En effet, à la création de la CSPR,
l'organisation de la commercialisation du coton graine, contrairement à
la gestion de la SONAPRA devrait obéir à un mécanisme
rigoureux qui exigeait des conditions non- négociables aux
égreneurs pour entrer en campagne.
5.2.2.6 La Centrale de Sécurisation des Paiements et
de Recouvrement (CSPR)
La CSPR a été créée dans le double
souci de sécuriser d'une part, les producteurs pour le paiement effectif
et à temps réel du coton vendu aux égreneurs et d'autre
part, le remboursement du crédit intrants pour garantir les besoins des
producteurs en intrants. Elle joue alors un rôle d'interface entre les
producteurs et les importateurs d'intrants d'une part et les producteurs et les
égreneurs d'autre part.
La CSPR-Gie est un groupement d'intérêt
économique à statut de droit privé créée par
trois groupes au sein de la FUPRO; les Importateurs-Distributeurs d'Intrants
organisés au sein du GPDIA et les égreneurs de coton
regroupés dans l'APEB.
5.2.3 Fonctionnement et enjeux au niveau des
nouvelles structures 5.2.3.1 Le sous secteur de la
production
> Fonctionnement des groupements paysans
Les groupements paysans qui interviennent aujourd'hui dans la
production du coton sont de plusieurs ordres : les réseaux FENAPRA et
AGROP, mouvements parallèles au système FUPRO.
Les groupements villageois (GV-FUPRO), structures mises en
place sur initiative des CARDER pour faciliter la gestion à la base de
la filière coton, sont des prestataires vis-à-vis de leurs
membres. Ces structures s'occupent principalement des fonctions
d'approvisionnement en facteurs de production et de la collecte primaire du
coton graine.
Au niveau de l'approvisionnent en facteurs de production, les
besoins en intrants agricoles sont recensés dans les groupements (par
les secrétaires) et transmis au gérant de l'UCP (Union Communale
des Producteurs, ex-USPP). Les responsables des GV-FUPRO réceptionnent
ces intrants, lors de leur livraison et les distribuent aux membres.
Dans les différents groupements enquêtés,
seulement les secrétaires dirigent les diverses activités et
quelques fois en association avec les trésoriers et les
présidents; ce qui leur offre une large marge de manoeuvre dans la
gestion. Cette concentration des activités au niveau de ce cercle
réduit (surtout au niveau des secrétaires), au sein des
groupements, leur confère un pouvoir dans la société
rurale et favorise aussi les détournements. Les secrétaires des
mouvements paysans deviennent ainsi des leaders dans ces communautés
agricoles.
Dans la collecte primaire autogérée du coton
graine, chaque groupement met en place, en fonction des pistes d'accès,
un certain nombre de «marchés» correspondant au GPC
(Groupement des Producteurs du Coton, une fragmentation des
GV-FUPRO). La programmation des marchés pour l'achat de coton est faite
par les secrétaires en collaboration avec le gérant de l'UCP et
l'agent de commercialisation de la CSPR. Les responsables des groupements
paysans assurent la préparation des marchés et la pesée du
coton de chaque producteur dans le marché, fonctions qui revenaient
autrefois au CARDER. La mauvaise lecture des poids du coton et la
difficulté de la tenue des documents de charge multiplient les
mécontentements dans ces groupements.
Dans le cadre du transfert de compétences au milieu
rural, la prise en charge de l'organisation de la commercialisation primaire
reste assez stratégique. La société rurale telle que
conçue dans les communautés béninoises, avec un faible
niveau d'instruction, semble ne pas être encore prête pour prendre
en charge cette responsabilité. Ce transfert à des acteurs peu
préparés se traduit aujourd'hui par les problèmes de
conflit de leadership et de mauvaise gestion.
Compte tenu du fait que tous les producteurs (de coton ou non)
se retrouvent dans les GVFUPRO, ce qui pose d'ailleurs de réels
problèmes de suivi et de gestion, les producteurs ont initié des
GPC (Groupements des Producteurs de Coton) de taille plus restreinte (une
trentaine en moyenne). Ces groupements sont constitués seulement des
producteurs de coton qui se regroupent par affinité. Ce regroupement
facilite le contrôle et la gestion des cautions solidaires. Chaque GPC
est conduit par un responsable choisi par les membres du groupement. Il y a
alors au niveau du GV-FUPRO une redistribution des pouvoirs pour limiter ou
pour faire efficacement face aux difficultés rencontrées dans les
GV-FUPRO.
Il a été remarqué au niveau des divers
groupements, que les producteurs même maîtrisent très peu
les mécanismes, assez complexes de la filière ou même les
fonctions de chaque membre du Conseil d'Administration des groupements paysans,
avec pour conséquences, des conflits d'attribution et des cumuls de
charges au niveau de certains responsables.
Vu le fait que les groupements villageois se soient
retrouvés avec des responsabilités sans s'y attendre
(pesée du coton, distribution des fonds coton, enregistrement des
demandes en intrants,...), ils n'intègrent pas encore le principe de
fonctionnement. Ainsi, depuis sept ans, aucun groupement villageois
enquêté n'a tenu une assemblée générale. Les
nouveaux groupements formés (GP-FENAPRA et GP-AGROP) fonctionnent aussi
à l'image des GVFUPRO avec les mêmes normes. Depuis trois ans que
le premier réseau est installé dans la commune, seulement un GP
de ceux enquêtés (1/4) a tenu une fois une AG pour faire le bilan
des activités menées.
> Statut social des secrétaires des GV / GP
Compte tenu de l'importance marquée aux
secrétaires des mouvements paysans, nous nous sommes
intéressés à l'étude du statut social de ces
acteurs spécifiques afin d'identifier leurs intérêts dans
les organisations villageoises.
D'après Schaefer (1989), le statut social
désigne la gamme de toutes les positions sociales définies dans
un groupe ou une société. L'auteur distingue trois niveaux de
statut social : le statut «obtenu», le statut
«attribué» et le statut maître».
Le statut obtenu est celui acquis par l'individu de par ses
efforts ou sa position dans la société. C'est par rapport
à cette considération que nous analyserons la fonction ou
l'importance sociale des secrétaires GV / GP des zones
cotonnières.
L'image que confère la société à
ces acteurs reste très diversifiée. « Les secrétaires
GVFUPRO, ce sont ceux qui nous tuent, nous volent dans les villages ; Ce sont
eux qui tirent profit de tout le coton ». C'est l'image que la plupart des
producteurs de N'Dali se font de cette responsabilité de
secrétaire GV/GP. Cette conception prouve combien les producteurs
restent conscients des intérêts liés à cette
position.
Pour un responsable de la CSPR, les « secrétaires
sont les lettrés des villages, lettrés qui détruisent tout
au niveau des groupements ». Ceci vient compléter la vision
paysanne par rapport à la mauvaise gestion des secrétaires
(détournement) dans les groupements. Les secrétaires dirigent
toutes les activités stratégiques du groupement (demande et
distribution d'intrants agricoles, demande de crédits, gestion des
ristournes,...). Cette implication dans les diverses activités leur
laisse une marge de manoeuvre dans la conduite de toutes ces activités
du groupement, face à des membres (GV / GP) peu lettrés, ce qui
limite tout contrôle.
Ce poste est perçu comme un canal pour s'enrichir, ce qui
fait qu'il reste très convoité dans les zones
cotonnières.
Encart 2 : Importance de la
responsabilité «du secrétaire GV» selon un responsable
de la FENAPRA.
Demandez à un élève aujourd'hui, quelle
carrière voudrait-il choisir après sa formation, il vous dira
certainement «secrétaire GV».
Entretien n°2, N'Dali le
12/07/04
Les secrétaires GV/GP ne sont pas
considérés au même niveau social que les autres membres des
groupements parce qu'ils acquièrent un prestige qui les place dans une
position au-dessus des autres. Il existe ainsi, un intérêt
économique et culturel qui est lié à cette
responsabilité de secrétaire. Pour les producteurs, le
secrétaire s'enrichit plus aisément avec
un privilège qui fait qu'il est impliqué dans des
prises de décision, même en dehors du secteur agricole.
Dans la plupart des domiciles des secrétaires GV
visités, le décor reste assez frappant : meubles,
télévision, groupe électrogène qui sont des
éléments de prestige dans la région. Sans trop
prétendre expliquer les dessous des secrétaires, ces
éléments ne manquent pas de renseigner sur le niveau d'aisance de
ces responsables.
Ces divers intérêts en jeu au niveau des
groupements font que les acteurs locaux cherchent à se maintenir au
«pouvoir», ce qui débouche sur des guerres de leadership au
niveau de ces mouvements paysans.
> Limites de la gestion des groupements villageois
La rapidité du désengagement et du transfert de
compétence à des acteurs peu préparés reste une
contrainte majeure qui explique la désorganisation des mouvements
paysans aujourd'hui. La conséquence a été que ces acteurs
du monde rural, n'ont pas disposé de suffisamment de temps pour
s'organiser efficacement. Cela se traduit par des problèmes
d'endettement liés à la mauvaise gestion des intrants, l'absence
de contrôle des opérations liées au crédit, caution
solidaire devenue inefficace en raison du grand nombre d'adhérents au
GV. Cette mauvaise gestion a entraîné une crise de confiance des
paysans qui ont pour certains abandonné la production
cotonnière.
Le but visé par ce transfert de responsabilité
est de favoriser une meilleure organisation des producteurs afin de jouer un
rôle économique majeur et constituer ainsi une force de
partenariat avec l'Etat. Mais pour ces producteurs « mal partis », la
gestion des activités au niveau local est devenue un atout ou une «
porte » pour subvenir aux besoins personnels au profit de
l'intérêt commun. Cette perception de la libéralisation a
débouché sur la mauvaise gestion au niveau des groupements
villageois.
Plusieurs mécontents sont sortis de ces points de
conflits, dans le rang des paysans. De nombreux producteurs à bout de la
mauvaise répartition des fonds coton ou épuisés par les
conflits de pouvoir, se retrouvent dans les organisations dissidentes.
5.2.2.4 Les enjeux du réseau FUPRO
Malgré l'organisation du monde paysan depuis le niveau
village jusqu'au niveau national, les producteurs restent les maillons faibles
du système parce qu'ils n'ont pas su profiter de cet environnement
favorable (transfert de compétences, revenus cotonniers,...) pour
s'imposer comme interlocuteurs devant «négocier en
partenariat» avec les pouvoirs
publics. Toutefois, il est clair que la base de ce
«partenariat» s'est avérée a priori
déséquilibrée, avec un pouvoir public fortement
intellectuel face aux producteurs en grande majorité
analphabètes.
Si la force reconnue aux mouvements de producteurs de coton,
du fait de leur structuration, de la garantie de production, est un atout pour
faciliter, grâce à la caution solidaire, l'accès des
producteurs au crédit de campagne (FECECAM) et au crédit intrants
(distributeurs d'intrants), depuis quelques années, ces organisations
rencontrent des difficultés dont notamment l'endettement
(difficulté d'honorer les engagements vis-à-vis des institutions
de micro-crédit, des distributeurs d'intrants) et la mauvaise gestion
des responsables.
Mais l'utilisation de plus en plus marquée de cadres
techniques salariés pour la gestion des familles professionnelles mise
en place pourrait fragiliser ces mouvements de producteurs. Ils ont
été pour la plupart, employés dans des institutions dont
la mauvaise gestion a conduit à la libéralisation de la
filière. En effet, le problème vient surtout du fait que la
plupart de ces cadres ne sentent pas leur vie liée à celle des
producteurs et ne sont pas non plus acquis à leur cause à tout
moment.
Au regard de ces enjeux et de la puissance des acteurs en lice
face à la FUPRO, la maîtrise ou le contrôle de la gestion de
la filière ne lui est sans doute pas facile avec les réseaux
dissidents.
> Stratégie développée par les
«mécontents» : Naissance des réseaux
parallèles
Face aux différents problèmes rencontrés
dans le réseau FUPRO (mauvaise gestion des cautions solidaires,
détournement), une catégorie d'acteurs, les
«mécontents» du système, s'est retrouvée pour
mettre en place l'Association des Groupements de Producteurs Economiques
(AGROPE-Bénin). Cette association a pris forme dans la commune de
Bembérékè (à 50 Km environ de N'Dali).
De nombreuses versions ont été obtenues sur les
raisons de la mise en place de cette association. Pour certains, elle aurait
été suscitée par les politiciens en vue de se garantir un
électorat et se constituer un capital. Pour d'autres, elle serait
l'oeuvre des distributeurs d'intrants dans le but de se garantir un
marché. Le but visé par ces distributeurs d'intrants,
rejetés du réseau de la CAGIA, serait de mettre la main sur une
catégorie de producteurs pour livrer facilement leurs intrants. Pour
d'autres acteurs, ce serait certains égreneurs qui auraient
incité les producteurs à mettre en place cette association pour
se garantir un stock de coton graine hors du circuit de la CSPR.
Pour l'une ou l'autre de ces versions, les enjeux
d'intérêts restent à la base de la création de cette
association dissidente au réseau FUPRO.
A la première campagne, les membres de l'Association
ont bénéficié des intrants du complexe CSI-Fruitex. Les
intrants mis en place cette campagne, par Tankpinnou et da-Silva, auraient
été ceux destinés à la Lutte Etagée
Ciblée (LEC) parce que, la campagne précédente, ils
étaient agréés pour livrer ces intrants à la
recherche. Mais compte tenu de leur retard dans la livraison des produits, la
recherche a rejeté les intrants (Totin, CRA-CF, comm pers.). Ces
distributeurs se sont retrouvés avec des insecticides sur le bras et il
leur faut trouver un marché pour leur écoulement. Ils auraient
ainsi, suscité la naissance de cette association pour leur fournir les
intrants.
A la campagne suivante, les responsables de l'AGROPE, ont pris
des contacts avec le distributeur SCPA pour avoir des intrants de production.
Mais au sein de ces responsables, un groupe, en fonction des
intérêts propres, a signé des engagements avec la DFA, une
autre compagnie de distribution d'intrants. Cette situation de tension a
conduit à l'éclatement de l'association en AGROPE-Madougou
(Secrétaire du groupement) et AGROPE-Amidou (président du
groupement). Par la suite, AGROPE-Amidou est devenu AGROP (Association des
Groupements de Producteurs) et l'autre bord s'est transformé en FENAPRA
(Fédération Nationale des Producteurs Agricoles). Aujourd'hui, on
apprend encore la naissance d'un autre réseau «FENAGROP» qui
serait parti de la réunion des producteurs venant des deux premiers
réseaux (AGROP et FENAPRA). Ces différents réseaux se sont
étendus aujourd'hui, dans toutes les zones de production
cotonnière du Borgou-Alibori.
La genèse de ces mouvements paysans montre que ce sont
des intérêts propres qui soutiennent les dynamiques au sein de ces
réseaux, devenus des « arènes de négociation »,
comme l'a su bien dire Bierschenk (1988), où chaque acteur vient
satisfaire ses besoins. Les parties qui ne sentent par leurs
intérêts pris en compte ou qui se sentent menacés, sortent
du système.
> Motivations des producteurs à se retrouver dans
les groupements dissidents
Trois principales raisons expliquent la reconversion des paysans
dans les groupements parallèles au réseau FUPRO.
La source la plus évoquée par les producteurs
reste le retard que connaissent les paiements des fonds coton dans les GV (cf.
histoire de vie 1). Dans les zones de production, le revenu cotonnier est la
principale «source financière» qui est utilisée dans la
résolution des
problèmes sociaux et économiques du producteur
(Ahouissoussi, 1998). Tous les enquêtés ont reconnu l'importance
des fonds coton dans leur ménage (Fig 4).
40
20
80
60
0
Coton Maïs Niébé Autres
Spéculations
Zone Nord Zone Sud
Source : Adapté de Ton (2004)
Figure 4 : Part des spéculations dans la
formation des revenus agricoles des producteurs
Il paraît alors évident que l'absence ou le retard
de ces fonds crée une désorganisation ou des perturbations
sociales.
Encart 3 : Importance du revenu-coton
dans la vie du producteur, propos d'un producteur de Suanin
L'année surpassée, en 2002, ma femme est
morte d'une petite maladie parce que je n'avais pas l'argent. Cette
année là, j'ai vendu 2 tonnes de mon coton dans le GV et on nous
a dit que l'argent n'est pas venu. Personne n'avait d'argent dans le village
pour me venir en aide parce qu'on était tous dans la même
situation. Avec FENAPRA, l'argent est cash.
Entretien n°3, N'Dali le
04/07/04
Une autre catégorie de producteurs regroupe ceux qui
sont victimes de la mauvaise gestion des cautions solidaires. Ces cautions
solidaires sont prélevées directement au niveau du GV, ce qui
affecte tous les producteurs du groupement. Au cours de la répartition
des fonds-coton au niveau du GV, les responsables font aussi des retenues chez
les parents des producteurs qui sont en impayés.
Encart 4 : Conséquence de la mauvaise
gestion des cautions solidaires (propos d'un gros producteur de
Kori)
Pour la campagne dernière, j'ai fait 4 tonnes de
coton mais j'ai seulement eu 75.000 f CFA pour toute ma production parce que
mon frère est tombé dans l'impayé. Cette année,
j'ai décidé d'aller dans FENAPRA parce que là bas, il n'y
a pas de crédit CLCAM. C'est le crédit CLCAM qui nous tue
ici.
Entretien n°4, N'Dali le
04/07/04
La dernière catégorie de producteurs qui se
retrouvent aujourd'hui dans les groupements dissidents est celle des
producteurs qui sont reliés par des liens de parenté avec les
responsables de ces mouvements. A partir de ce noyau familial, le groupement
grandit progressivement et gagne les amis et finit par prendre forme.
Tableau 3 : Répartition des
producteurs suivant leurs motivations à quitter les GV-FUPRO
Paramètres
|
Catégorie 1
|
Catégorie 2
|
Catégorie 3
|
Producteurs
|
55%
|
40%
|
5%
|
Source : Enquête, N'Dali-2004
Catégorie1 : Producteurs partis du GV pour retard du
paiement des fonds coton Catégorie2 : Producteurs partis du GV pour
mauvaise gestion des cautions solidaires Catégorie3 : Producteurs partis
du GV pour liens familiaux
Nous avons remarqué au cours de notre étude que
ce sont les personnes âgées (au delà de 40ans) et las
parents proches (femmes, enfants) des responsables qui restent, malgré
les dissidences, dans les groupements villageois (GV-FUPRO). Selon ces
personnes âgées ces mouvements de naissance ressente (AGROP et
FENAPRA) sont « des projets qui vont finir bientôt ».
> Conflits et cohésion
sociale
La divergence des idéologies paysannes quant à
l'organisation de la production cotonnière pourrait laisser penser qu'il
n'y a pas beaucoup de relations à l'échelle villageoise. Mais
quand on se rapproche des villages, on se rend compte que le tissu social,
même si quelque peu affaibli par les conflits de leadership ou de
mauvaise gestion, tient encore bon. Cette cohésion sociale s'effrite
certes, sous l'effet des conflits mais cela n'empêche pas la
solidarité en cas de coups durs. Ainsi, les paysans s'échangent
des intrants entre groupements. Un producteur FENAPRA/AGROP qui n'a pas eu des
intrants dans son groupement pourrait en bénéficier auprès
de ses pairs du réseau FUPRO. La multiplication des réseaux
parallèles n'a pas engendré une « balkanisation » des
liens sociaux. Il est courant de rencontrer dans une même famille, des
frères se retrouver dans différents groupements et cela n'a pas
de répercussions sur l'affection sociale.
L'identité commune qui subsiste au niveau des villages
et en milieu Batonou en particulier, ne permet pas de punir les responsables
des mouvements paysans parce que disent-ils « après tout, ce sont
nos frères ou nos enfants ». Cette logique collective donne une
garantie pour des actions «peu honnêtes»,
parce qu'il n'est pas possible d'être rejeté du système
social. Il y a une cohabitation aujourd'hui des responsables ayant
détourné des fonds (le cas précis du gérant de la
FENAPRA qui aurait détourné plus de 5 millions dans le GV) avec
la société, sans une discrimination.
Est-ce cette tolérance sociale qui permet à ces
« anciens mauvais gérants » de devenir, aujourd'hui, dans les
nouveaux mouvements, des responsables ?
> Qui dirigent ces réseaux dissidents ?
Les acteurs retrouvés à la tête de ces
mouvements proviennent de deux catégories.
- Ceux qui veulent accéder à des postes de
responsabilité, dans le réseau FUPRO et qui n'y parviennent pas.
Ce blocage est dû au fait que les responsables actuels, en fonction des
intérêts qu'ils en tirent, ne veulent pas laisser ces postes. Il
se développe ainsi entre ces deux parties une guerre de leadership qui
va jusqu'à des menaces de mort. Dans cet environnement de tension qui
fait des «mécontents», le perdant ou le moins fort quitte le
système et se reconvertit dans les nouveaux réseaux. Cette
tension de leadership prévalait depuis le transfert de
compétences au secteur agricole et l'arrivée de ces
réseaux a été une occasion attendue
pour ces acteurs
«mécontents».
- Une deuxième catégorie de responsables des
mouvements paysans, regroupe les débiteurs des caisses locales. Ces
acteurs trouvent ces réseaux comme des points de refuge pour
échapper au remboursement des crédits. Dans ce groupe, nous nous
sommes rendus compte que le gérant de la FENAPRA reste devoir plus de
cinq millions à la CLCAM. Ainsi, au-delà de l'engagement des
acteurs dans les mouvements, il y a des intérêts non avoués
qui expliquent leurs motivations et ce choix paraît une stratégie
pour satisfaire ces intérêts implicites.
> Naissance des réseaux dissidents : le
salut ou autre engrenage pour les producteurs
Les nouveaux mouvements dissidents ont mis en place des
mécanismes pour limiter les mauvaises gestions connues dans les GV. Ces
groupements sont constitués par affinité avec un effectif
réduit et parfois sur base ethnique, pour une meilleure
efficacité.
Pour faire face au retard du paiement de coton, ces mouvements
sont en relation directement avec des égreneurs qui achètent le
coton au « cash ». L'argent cash soulage les producteurs et constitue
un point d'attraction qui les amène à choisir ces groupements.
Pour résoudre les problèmes d'impayés des
crédits de campagne, ces mouvements ne prennent pas d'engagement pour
les cautions CLCAM. Mais toutefois, chaque producteur a la possibilité
de demander directement des crédits auprès de ces institutions
sans l'aval du groupement, ce qui ne réussit pas souvent. En effet, les
institutions n'accordent pas souvent les crédits individuels, surtout
aux petits producteurs, à cause des nombreux risques qui y sont
attachés, ce qui limite l'accès des paysans à ces
prêts. En intégrant les mouvements dissidents, les paysans se
trouvent alors privés d'autres avantages. Mais il convient de se
demander si la suppression des cautions aux membres reste
bénéfique pour les producteurs ?
Tel que ces réseaux fonctionnent, même s'ils
donnent l'impression de favoriser les producteurs, en ce sens qu'il leur permet
d'avoir à temps leurs fonds, ils ne manquent pas de privilégier
les intérêts des responsables, perturbant ainsi le
mécanisme mis en place dans le cadre de la libéralisation. Dans
ce système, les responsables s'enrichissent sur le «dos» des
paysans. Les parts critiques destinées à l'AIC pour la recherche,
la vulgarisation et autres, sont partagées entre ces responsables ; ce
qui explique la guerre que l'Interprofession mène à ces
réseaux. Les fonctions critiques, à raison de 15 F/ kg de coton
graine vendu (au cours de la campagne 03-04), restent d'importantes sommes que
se partagent ces divers responsables. A côté de ces fonds, ils
bénéficient des faveurs d'une part, auprès des
égreneurs à qui ils garantissent la production de leurs membres
et d'autre part auprès des distributeurs d'intrants pour
l'écoulement des intrants. Dans cette arène, toutes les parties
tirent leurs profits du jeu : les égreneurs parviennent à obtenir
une quantité de coton graine au-delà de celle obtenue dans le
système CSPR. Cette négociation entre
producteurs-égreneurs a conduit à une spécialisation des
différentes compagnies d'égrenage : la MCI à qui est
garantie la production du réseau AGROP et SODICOT a le coton graine de
la FENAPRA.
De même, ces responsables permettent à certains
distributeurs, ne remplissant pas les conditions de la CAGIA, d'écouler
leurs produits à travers leurs groupements ; échappant ainsi au
contrôle de la CAGIA. Le système leur offre ainsi une marge de
manoeuvre pour livrer toute gamme de produits, dans le milieu paysan. De
nombreux producteurs ont encore en mémoire leur expérience de la
campagne 2003-2004 où ils ont eu des insecticides peu efficaces avec
pour conséquences des chutes de capsules dans tous les
groupementsFENAPRA.
Dans ce réseau, les responsables des groupements
paysans, les égreneurs et les distributeurs d'intrants restent les
principaux bénéficiaires et les producteurs deviennent des
instruments du système. Ils sont utilisés par les responsables
pour jouer le «jeu» des égreneurs (avoir le maximum de stock
en coton graine) et aussi celui des distributeurs
d'intrants agricoles (faire écouler les intrants quelle
que soit leur qualité). En retour, ces responsables
bénéficient de nombreuses faveurs de la part de ces
acteurs.
Encart 5 : Intérêts en jeu au
niveau des nouveaux réseaux
1-? Allez à Bembérékè, vous serez
étonné par la gigantesque maison que se construit un responsable
du réseau AGROP! Tout ça avec l'argent du coton, sur le dos des
paysans.
2-? Le président communal d'un réseau
parallèle de N'Dali, l'année surpassée, aurait eu un
million chez un distributeur pour lui permettre de livrer ses intrants aux
producteurs de la commune.
Entretien n°5, N'Dali le
17/08/04
1- Confession d'un responsable de l'UDP Borgou-Alibori
2- Confession d'un sage de la commune, correspondant de la radio
nationale à N'Dali
Dans cette arène où le producteur se trouve
coincé entre les enjeux de leurs dirigeants, des égreneurs et
ceux des distributeurs, on pourrait se demander ce qu'il en tire en
étant producteur.
> Production cotonnière : activité rentable
ou manque d'alternative
Le manque de sources alternatives de revenus et les besoins
croissants des ressources monétaires pour la consommation et la
production agricole sont les principales motivations des producteurs à
faire le coton. « Le coton est une spéculation très
exigeante ». Les paysans n'apprécient généralement
pas la culture, comme l'a montré aussi Ton (2002), tel est le cas de 74%
de notre échantillon. Ils reconnaissent que la culture cotonnière
est exigeante en travail et en investissement pour les intrants. Toutefois,
elle constitue la principale source de revenu en gros, donc susceptible de
financer des investissements importants (Cf. Figure 4, page 48 ).
La production cotonnière ne pourrait plus être
considérée comme une stratégie de constitution de revenus.
Le coût de production ne cesse de croître (tableau 4), amenuisant
ainsi le revenu du producteur.
La culture cotonnière reste jusque-là, la seule
spéculation dont le débouché est garanti (LARES-APEIF,
1996). Le problème de débouché constitue la principale
difficulté que les producteurs évoquent pour expliquer leur
engouement actuel pour la culture du coton. Il s'agit là d'un
problème épineux en raison de ses implications. En effet, il
n'existe pas autre spéculation qui bénéficie d'une
organisation pareille à celle du coton, ce qui fait qu'il est
utilisé comme «culture enveloppe» parce qu'elle fait
bénéficier aux autres cultures
(notamment le maïs) de ces intrants à travers les
arrière-effets et les reconversions d'intrants coton en intrants
maïs.
Encart 6 : Stratégie de production
coton-maïs développée par un producteur du réseau
FUPRO
Je fais le coton pour avoir l'engrais pour mon maïs.
Quand je vends le coton, j'arrive à payer les crédits d'engrais
et le maïs constitue mon bénéfice. Parfois, je vends
jusqu'à dix-huit sacs à raison de 15.000 f le sac.
Entretien n°6, N'Dali le
15/06/04
Le producteur ne fait pas seulement le coton parce qu'il
procure de l'argent mais il utilise son canal pour valoriser d'autres
spéculations. L'accès au crédit de campagne et aux
intrants ainsi que le développement de la culture attelée
liés à la production cotonnière, ont favorisé
l'expansion d'autres cultures, en l'occurrence les vivriers
intégrés dans le système d'assolement et de rotation avec
le coton.
Les producteurs arbitrent entre deux catégories de
produits : les cultures vivrières et le coton, comme culture de rente.
Cette forme d'arbitrage a un double intérêt. Il y a le souci de
garantir l'alimentation du ménage et celui de pouvoir faire face aux
besoins financiers pour les dépenses sociales.
Le cas rapporté ci-dessus (encart 6), prouve que des
cultures autres que le coton, pourraient permettre de se constituer des revenus
(cas du maïs par exemple) pour faire face aux divers besoins. Mais les
producteurs ne parviennent pas à garder leur stock jusqu'à la
période de soudure, où le prix monte. Comme cette
spéculation ne bénéficie pas d'un prix garanti, le prix
varie suivant les périodes (chute en période d'abondance et monte
en période de soudure) et les producteurs à court de
liquidité, n'arrivent pas à supporter jusqu'à la
période de cherté. La promotion de cette spéculation se
heurte alors à la limite des débouchés disponibles, compte
tenu des aléas du marché des vivriers. Les producteurs doivent
faire face à ce dilemme : les coûts de production du coton vont
sans cesse croissants et le marché des vivriers, de l'autre
côté, se trouve asphyxié par manque de
débouchés (LARES-APEIF, 1996). Dans ces conditions, quelle
alternative peuvent-ils choisir ?
Tableau 4 : Rentabilité économique
de la production cotonnière (en CFA/Ha)
Paramètres
|
95-96
|
96-97
|
97-98
|
98-99
|
99-00
|
00-01
|
01-02
|
02-03
|
Rendements1
|
1.465
|
1.101
|
1.023
|
853
|
1.069
|
1.261
|
1.282
|
1.202
|
Prix (prod)
|
165
|
200
|
200
|
225
|
185
|
200
|
200
|
180
|
Revenu brut2
|
241.725
|
220.200
|
204.600
|
191.925
|
197.765
|
252.200
|
256.400
|
216.360
|
Evolution du coût des intrants
agricoles
|
Engrais
|
38.000
|
38.000
|
38.000
|
38.000
|
38.000
|
38.000
|
41.000
|
39.600
|
Insecticides
|
25.200
|
24.000
|
21.600
|
28.400
|
33.600
|
33.600
|
36.000
|
36.000
|
Labour
|
18.000
|
18.000
|
18.000
|
18.000
|
18.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
Sarclage
|
15.000
|
15.000
|
15.000
|
15.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
Récolte
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
20.000
|
TOTAL
|
116.200
|
115.000
|
112.600
|
119.400
|
129.600
|
131.600
|
137.000
|
135.600
|
Revenu net3
|
125.525
|
105.200
|
92.000
|
72.525
|
68.165
|
120.600
|
119.400
|
80.760
|
Source : CRA-CF, 2004
Revenu brut et coût de production
Revenu brut
Coût de production
300000
250000
200000
150000
100000
50000
0
1995-
1996
1996-
1997
1997-
1998
Campagne cotonnière
1998-
1999
1999-
2000
2000-
2001
2001-
2002
2002-
2003
Source :Adapté du tableau 4
Figure 5 Evolution des revenus bruts et des
coûts de production cotonnière 5.2.3.2 Sous secteur
égrenage, dans le nouveau système
La libéralisation du secteur a favorisé
l'entrée de nouvelles compagnies privées. Regroupées dans
l'Association Professionnelle des Egreneurs du Bénin (APEB), les
égreneurs et l'Interprofession ont dégagé un consensus sur
les modalités de répartition du coton graine entre les compagnies
en fonction de leur capacité d'égrenage. Le mécanisme mis
en place fait obligation entre autres, aux Sociétés d'Egrenage du
Coton (SEC) de reverser un acompte de 40% de la valeur du quota
sollicité avant le début de la campagne pour solder le
crédit intrant. Mais il faut qu'elles disposent aussi
d'un quitus de la CSPR attestant qu'elles n'ont aucune facture en instance
(CSPR-GIE, 2003). Or, certains égreneurs (MCI, SEICB et SODICOT), ne
remplissent pas entièrement ces conditions pour pouvoir s'approvisionner
en coton.
En effet, avant la mise en place de la Centrale de
Sécurisation des Paiements et de Recouvrement, les égreneurs
privés s'approvisionnaient en coton graine auprès de la SONAPRA
qui organisait la commercialisation primaire. Ces égreneurs payaient le
coton acheté à la SONAPRA après la vente du coton
égrené sur les marchés internationaux.
Profitant de la marge de manoeuvre que laisse ce
mécanisme, certains égreneurs retardaient ou même
manquaient de reverser les fonds coton à la société
d'approvisionnement. Cette situation a entraîné des perturbations
d'une part dans le recouvrement des crédits intrants et d'autre part,
dans le paiement des producteurs. Mais toutefois, ces perturbations
étaient de moindre intensité ou moins ressenties qu'aujourd'hui
parce que, la SONAPRA étant une société d'Etat, ces
impayés sont greffés sur les charges de la société,
charges dénouées par l'Etat. Ceci fait que l'ampleur du
phénomène n'était pas ressentie par les acteurs, comme le
cas aujourd'hui, où l'Etat n'intervient plus pour couvrir des dettes.
> Enjeux et les stratégies développées au
niveau des égreneurs
La plupart des égreneurs , sauf la MCI et la SODICOT
s'approvisionnent en coton graine suivant le mécanisme de la CSPR. La
non implication de ces dernières dans le processus de commercialisation
selon le mécanisme de la CSPR s'explique selon les responsables de la
CSPR par le fait qu'elles restent devoir des factures de campagnes
antérieures. Pour la MCI et la SODICOT, le boycott du système
CSPR est lié au fait qu'il profite plus à des acteurs tels que la
SDI qui sont à la fois égreneurs et distributeurs d'intrants. En
effet, les 40% d'acomptes versés par les égreneurs pour leur
approvisionnement en coton graine sont en partie reversés à ces
acteurs (à la fois égreneurs et distributeurs d'intrants) pour
régler les frais des intrants mis en place. Ce règlement
étant prioritaire, les égreneurs que sont la MCI et la SODICOT se
trouvent moins favorisés que ces acteurs qui sont à la fois
égreneurs et distributeurs d'intrants.
Le non approvisionnement en coton graine auprès de la
CSPR entrave le fonctionnement normal des usines de la MCI et de la SODICOT.
Pour fonctionner, les responsables de ces usines s'approvisionnent directement
en coton graine auprès de la SONAPRA qui en retour est alimentée
par le système CSPR. Le mécanisme mis en place pour assurer la
répartition du coton graine entre les usines n'est plus ainsi
respecté et le non
paiement des dettes des ces acteurs dissidents ne permet plus
à la centrale d'honorer ses engagements vis-à-vis des
producteurs.
Comment comprendre que la SONAPRA, membre de la CSPR
coopère avec des acteurs reconnus par l'ensemble du système comme
des «dissidents» ? Les raisons qui motivent ce partenariat n'ont pas
n'ont pas pu être élucider au cours de cette étude.
La MCI et la SODICOT ont développé une autre
manière pour s'approvisionner qui consiste à susciter la
naissance des organisations paysannes, autres que celles existantes (GV) pour
que ces dernières les approvisionnent directement en coton graine. Pour
y parvenir, ces acteurs attirent l'attention des producteurs sur les conflits
latents au niveau des GV, conflits liés à la gestion des
intrants, au pouvoir de décision, à la mauvaise gestion des
ristournes. Ils motivent aussi les leaders d'opinions par les dons de diverses
natures.
Au niveau de la compagnie MCI, on constate que cet acteur
garantit les intrants aux producteurs chez qui il s'approvisionne en coton.
Mais la mise en place des intrants seuls ne suffit pas pour assurer une bonne
production, il faut aussi d'autres facteurs des production (le crédit,
des technologies appropriées donc la recherche et la vulgarisation).
Mais ces derniers facteurs cités nécessitent plus
d'investissements et l'égreneur pourrait ne pas sentir directement ces
intérêts. Ce qui pourrait justifier l'abandon de ces domaines par
ce dernier qui se concentre plus sur les engrais et les insecticides.
En réalité si les producteurs qui se trouvent
aujourd'hui sous ces acteurs dissidents savaient, ce qu'ils perdaient (en
vulgarisation, en recherche et autres) il n'est pas évident qu'ils
accepteraient ce système. Ces acteurs qui utilisent juste comme
appât l'argent cash du coton, profitent de l'ignorance ou du manque
d'informations au niveau de la masse paysanne pour asseoir leur influence.
Les égreneurs influences aussi les élus locaux,
en mettant en exergue le rôle social que peut jouer par le coton dans la
construction de leur localité. Ainsi, toute insuffisance en
matière première affecte la rentabilité des usines et par
à coups, a des effets négatifs sur les gains en ressources des
localités dans lesquelles ces usines sont installées.
Une autre approche consiste à détourner le camion
chargé de coton sur les voies pour leur prendre leur chargement,
destiné à une autre usine.
Cette situation est encouragée par des facteurs tant au
plan national qu'international. En effet, les prix du coton sont très
élevés sur le marché international et le coton se trouve
ainsi très recherché.
Au niveau national, la capacité d'égrenage des
compagnies (production nationale moyenne est de 400.000 tonnes alors que la
capacité d'égrenage des usines est plus de
700.000 tonnes) pourrait expliquer ce rapport de «à
qui mieux-mieux » où chacun se bat pour élever le plus haut
possible son stock.
5.2.3.3 Nouveau système de recouvrement
La création de la Centrale de Sécurisation des
Paiements et du Recouvrement (CSPR) a été la première
mesure prise par l'Interprofession pour corriger les
irrégularités de la SONAPRA dans le recouvrement des
crédits et le paiement des producteurs. Cette centrale est
constituée juridiquement comme une association sans but lucratif avec
pour mandat, l'exécution de deux fonctions importantes du système
SONAPRA : (i) le paiement du coton graine aux producteurs et (ii) le
recouvrement du crédit intrant par les distributeurs et leurs banques de
prêts. Ce nouveau mécanisme élimine ainsi les effets
pervers liés à la mauvaise gestion de la SONAPRA.
La CSPR constitue un cadre de concertation aux acteurs
privés et publics que regroupe la filière. Sous sa forme
centralisée actuelle, la CSPR mène trois groupes principaux
d'activités. Elle enregistre les prêts et crédits
liés à l'importation et à la distribution des intrants ;
organise la commercialisation du coton graine et assure enfin, la gestion de
tous les mouvements de capitaux au niveau de la filière.
Selon le mécanisme, chaque compagnie d'égrenage
dépose auprès de la centrale, une avance correspondant à
40% de la valeur totale du quota qui lui est attribué pour la campagne
et paye les 60% restant, au fur et à mesure que la livraison du coton
graine est faite. La CSPR utilise ces avances pour rembourser aux banques, le
crédit consenti pour l'approvisionnement en intrants et faire des
avances de paiement aux producteurs. Une fois que toute la demande en coton
graine est livrée aux usines d'égrenage, les producteurs
reçoivent aussi la totalité des fonds coton.
Mais si le mécanisme fonctionne aussi efficacement,
pourquoi le problème d'impayé reste toujours posé au
niveau des producteurs ?
> Les enjeux de la centrale
Les failles au niveau de la centrale peuvent se situer à
différents niveaux.
Depuis que la libéralisation prône
l'intégration des acteurs dans la gestion de la filière, il ne
faudrait pas perdre de vue, que ce soit au niveau de l'Interprofession ou des
conseils d'administration des différentes organisations, les paysans
restent les «maillons faibles» de la chaîne.
Aujourd'hui, cette centrale, comme toutes les autres mises en
place après la libéralisation du secteur, reste toujours
dirigée par une classe technique constituée des « anciens
responsables » des structures avant la libéralisation (SONAPRA,
CARDER,...), ceci en fonction des différents intérêts
liés à la filière (primes et indemnités). Cette
classe technique intellectuelle, pourrait se sentir moins concernée par
les intérêts des acteurs servis (producteurs, distributeurs
d'intrants et égreneurs) et développer à côté
des intérêts du secteur, des intérêts propres
à satisfaire, intérêts qui se retrouvent en front
d'opposition avec les intérêts du mécanisme et qui les
contraignent à s'écarter des normes fixées.
L'idéale aurait été que les acteurs concernés
prennent en charge, leur propre affaire. Mais toujours est-il que les
intérêts implicites de ces derniers vont s'y impliquer, entravant
ainsi l'évolution normale du
mécanisme.
La classe paysanne constitue aussi une pesanteur qui freine le
mécanisme fonctionnel de la centrale. Un grand nombre de paysans
prennent des intrants pour la production cotonnière et les
détournent vers d'autres buts. Dans la plupart des cas, ils les
utilisent pour les vivriers ou les revendent à moindre prix, ce qui ne
leur permet pas d'atteindre la production prévue pour couvrir les
charges en intrants, alors que la centrale paie entièrement les
distributeurs d'intrants sur les avances reçues pour la demande en coton
auprès des égreneurs. La production obtenue chez les paysans ne
permet plus à la CSPR de dégager suffisamment de marge,
après recouvrement des crédits intrants, pour assurer le paiement
de tous les producteurs et couvrir totalement la demande des
égreneurs.
Une analyse du comportement des producteurs face aux intrants
agricoles pourrait être faite sous deux angles. D'abord, l'orientation
des intrants vers les vivriers, parce que ces spéculations ne
bénéficient pas d'un système de crédit intrants
alors que les sols se retrouvent de plus en plus épuisés par les
pratiques cotonnières. Les paysans en marge d'alternatives,
reconvertissent alors ces intrants coton vers les vivriers. Cette pratique
reste fréquente dans la zone sud-Borgou, comme l'a montré une
étude du LARES-APEIF (1996) parce qu'elle est reconnue pour sa fonction
de « grenier du Nord ». Elle nourrit toutes les zones
spécialisées dans la production cotonnière, c'est ainsi
une zone à potentialité vivrière.
En second lieu, les producteurs bradent les intrants agricoles,
soit pour faire face aux contraintes financières, en début de
campagne, à la sortie de la longue période de soudure, soit pour
se venger des situations d'impayés dont ils ont été
victimes une campagne précédente. Les compagnies
d'égrenage ne restent pas non plus sans affaiblir le mécanisme de
la centrale. Certaines d'entre-elles, ne remplissant pas les exigences de la
CSPR, surtout par rapport aux
acomptes des 40% en avance, achètent le coton hors du
système géré par l'Interprofession. En effet, le principe
d'acompte de 40% à verser pour s'approvisionner en coton, constitue un
facteur qui limite l'accès aux compagnies d'égrenage. Cette
contrainte suppose que si un acteur ne dispose pas des acomptes, il ne pourrait
pas s'engager dans la commercialisation. C'est face à ce goulot
d'étranglement que certaines compagnies se sont
désolidarisées du réseau formel. Dans ces conditions, deux
situations se rencontrent :
- Ces compagnies parfois, achètent le coton graine,
directement auprès des producteurs ayant bénéficié
d'intrants coton mis en place hors du système CAGIA-CSPR, par des
sociétés privées. Dans ce cas, les pertes sont
limitées à la centrale et ne concernent que les fonctions
critiques à verser à l'Interprofession (AIC).
- Dans d'autres cas, l'achat s'effectue directement
auprès des producteurs ayant pris des intrants dans le système de
la CAGIA. Les pertes sont grandes dans ces conditions parce que le recouvrement
des intrants pose d'énormes problèmes (impayé, conflits
sociaux,...).
Ces écarts observés au niveau de la
filière ne font que fragiliser le mécanisme de la centrale et
multiplier les foyers de conflits entre les acteurs. En contournant le
système CSPR, les égreneurs empêchent d'autres qui
utilisent le canal de la CSPR, d'avoir le stock demandé. Ainsi, la
répartition de la production reste une source de tension et oppose la
centrale à certains égreneurs. C'est dans ce cadre que s'inscrit
le contentieux opposant la compagnie d'égrenage SEICB à la CSPR
en 2001-2002, campagne durant laquelle, la compagnie, après s'être
acquittée de toutes ces obligations vis à vis de la Centrale, n'a
été approvisionnée qu'à hauteur de 18.000 tonnes
sur un quota de 25.000 tonnes allouées. Pour préserver ses
intérêts, la compagnie a assigné la centrale en justice.
> Autre stratégie qui fragilise le mécanisme
CSPR: commerce du coton avec le Nigeria
La vente du coton au Nigeria se pratique, au départ,
dans les régions frontalières. Mais de plus en plus, le
phénomène s'étend vers les autres zones de production, tel
le cas de N'Dali.
Encart 7 : Stratégie
développée pour la vente illicite du coton à Kori, un
village de N'Dali révélée par un producteur GV-FUPRO.
L'année surpassée, j'ai caché une
partie de ma production et quand notre GV a vendu son coton, mon fils est venu
du Nigéria prendre le stock pour le vendre là-bas. Deux semaines
après, il est revenu avec 3 motos «Quinko» que nous avons
revendues à 250.000F chacune. Beaucoup le font dans notre village, mais
personne n 'en parle, si jamais le CARDER l'apprend, on est perdu...
Entretien n°7, N'Dali le 0
7/08/04
Depuis la persistance du «retard de paiement» des
fonds-coton, le phénomène de vente de coton au Nigeria s'est
considérablement développé. En effet, plusieurs
motivations soutendent cette opération clandestine.
L'achat du coton au Nigeria se fait au cash. Ce facteur est
d'autant plus important qu'au cours de la campagne 00/01, certains producteurs
de la commune ont vendu leur production au Nigeria alors que le prix au Kg
était en moyenne de 180F, contre un prix officiel de 200F au
Bénin. Ce cash permet aux producteurs de faire face à des besoins
sociaux immédiats.
La vente du coton au Nigeria permet aussi aux paysans
d'échapper aux retenues forfaitaires qui s'élèvent, dans
certaines régions à 2F / Kg de coton graine. De même, sur
le marché nigérian, il n'y a pas une catégorisation de la
production (coton de 1er ou de 2e choix). Cette absence
du contrôle sur la qualité du coton livré encourage les
producteurs à choisir le marché nigérian.
Cette fuite de la production nationale pose le problème
des réalisations sociocommunautaires, le plus souvent fondées sur
les ristournes et rend difficile la récupération des
crédits intrants. Ce phénomène fragilise le
mécanisme de la CSPR et renforce davantage le retard du paiement des
fonds coton aux producteurs. Ils entretiennent aussi le «cercle
vicieux» de la mauvaise conduite de la filière qui dégrade
les relations entre les divers acteurs du secteur.
5.2.3.4 Importance de l'AIC dans le secteur
cotonnier
Le mandat de l'AIC comporte deux volets, l'un d'ordre technique
et l'autre institutionnel.
A travers son mandat technique, l'Interprofession organise et
coordonne le processus de consultations et de négociation entre le
secteur privé et le gouvernement, avec pour objectif de permettre au
secteur privé de prendre en charge les diverses « fonctions
critiques »
autrefois assurées par la SONAPRA. Toujours au titre de
son mandat technique, l'AIC met en place les mécanismes de
médiation et d'arbitrage entre tous les acteurs de la filière.
Dans le cadre institutionnel, l'Interprofession veille au
respect des mesures définies entre les acteurs pour assurer le bon
fonctionnement du secteur. Mais parvient-elle réellement à
assurer la synergie, au niveau de tous les acteurs ?
> Performance de l 'AIC
L'AIC, vu ses multiples responsabilités (techniques et
institutionnelles) apparaît comme l'organe pivot du secteur après
la réforme. Elle coordonne à elle seule, toutes les
activités au niveau de la filière. Mais actuellement, avec la
naissance des regroupements dissidents, l'autorité de l'Interprofession
reste très peu partagée par les différents acteurs de la
filière. L'AIC n'arrive plus à s'autogérer par cause de
non-respect des engagements pris par ses membres.
Ce nouveau mécanisme mis en place ne permet plus
à un certain groupe d'acteurs de satisfaire des intérêts
propres. En prévision à cet obstacle aux intérêts,
les premiers responsables de l'Interprofession se sont opposés à
la constitution de ce nouveau cadre institutionnel de la filière (CSPR,
CAGIA,...) parce qu'il ne permet plus d'avoir la marge de manoeuvre que
garantissait l'ancien système, avec le monopole de l'Etat.
> Les handicaps de l'Interprofession
Suite à la réforme du secteur, l'Etat a pour
mandat de définir un cadre législatif qui servirait de pilier
à l'AIC dans la conduite de la filière. Mais faute de cet accord
cadre qui jusque-là n'est pas encore défini, l'Interprofession se
trouve sans maintien, ce qui permet à certains acteurs de contourner
l'autorité de l'institution. L'absence de ce cadre réglementaire
reste aujourd'hui la principale «goutte d'eau» qui fait
déborder continuellement le vase au niveau de la filière, parce
qu'il laisse une marge de manoeuvre à ces différents acteurs. Les
différentes parties qui trouvent leurs intérêts
menacés par le nouveau système, profitent alors de l'inexistence
de ce cadre législatif pour sortir du système. Il existe
aujourd'hui un véritable gap entre les fonctions normatives de
l'Interprofession et ces fonctions réelles du fait que tous les acteurs
n'adhèrent pas à ses idéologies. Elle n'a pas encore
réussi à faciliter l'arbitrage avec les divers groupes
professionnels de la filière.
Il faudrait ajouter que l'intervention de politiciens
participe à la fragilisation du système AIC. Le pouvoir politique
garantit une position «d'intouchable» à certains acteurs qui
se trouvent au-dessus des actes normatifs ou des autres acteurs du
système. Ils disposent
aussi d'une liberté qui leur permet de s'imposer ou
même d'outrepasser l'autorité de l'Interprofession. Cette
implication de la force politique nourrit la dissidence à laquelle doit
faire face l'institution.
5.2.3.5 Importateurs et Distributeurs d'Intrants
> Organisation de la mise en place des intrants
La libéralisation du secteur a permis de briser la
position monopoliste et centralisée de l'Etat et de rendre ce secteur
plus compétitif à travers son ouverture à plusieurs
acteurs privés. Conscients de l'importance et des nombreux
intérêts liés au sous-secteur intrants, ces
opérateurs économiques l'ont pris d'assaut. Cette affluence vers
ce secteur a amené les producteurs et distributeurs d'intrants à
mettre en place la CAGIA pour assurer leur approvisionnement en intrants de
qualité à bonne date et à des prix compétitifs.
Plus spécifiquement, la CAGIA procède à la collecte et
à l'estimation des besoins en intrants agricoles de ses membres,
participe, en temps que représentant des producteurs au sein de la
commission intrants agricoles, à la sélection des fournisseurs
d'intrants.
Le mécanisme d'importation et de distribution des intrants
agricoles repose sur les principes suivants :
- La commercialisation des intrants est assurée
seulement par les sociétés sélectionnées. - Les
ventes des intrants aux producteurs d'une même commune sont
assurées par une et une seule société.
- Les distributeurs sélectionnés disposent de 120
jours maximum pour livrer les intrants, aux groupements.
- La définition de la nature, de la compétition,
de la qualité, du conditionnement des intrants à livrer,
relève de la compétence exclusive du CRA-CF. A cet effet, avant
leur mise en consommation, les intrants sont contrôlés par la
recherche et les services de protection des végétaux. Seulement
les résultats de contrôle pourraient autoriser la mise en
circulation de ces
intrants.
- Les intrants sont vendus au même prix unique sur tout le
territoire.
Ces divers principes fixent les normes de conduite du
sous-secteur intrant de la filière. Mais la sélection des
distributeurs par la CAGIA reste souvent l'objet de vives contestations. Les
opérateurs ne remplissant pas les normes fixées ont dû
créer en Novembre 2001, leur propre association dénommée
ADIAB (Association des Distributeurs d'Intrants Agricoles du Bénin),
association dissidente du GPDIA (Groupement Professionnel des Distributeurs
d'Intrants Agricoles). Ces distributeurs de l'ADIAB (Fruitex
et CSI) fournissent des intrants aux groupements de producteurs dissidents
à un prix légèrement en baisse par rapport au circuit des
distributeurs de la GPDIA. Mais les intrants livrés ne sont pas
identiques à ceux recommandés par la recherche. D'ailleurs leurs
intrants échappent au contrôle des normes phytosanitaires.
La libéralisation du sous-secteur intrant est source
d'effets pervers qui contribuent à la détérioration du
système de distribution, entraînant une hausse des coûts des
intrants, un manque de professionnalisme des distributeurs et finalement une
baisse de la qualité des intrants importés. L'ouverture de la
filière au secteur privé a permis l'entrée sur le
marché des opérateurs n'ayant pour toute qualification que leur
affinité politique. La politique ne semble pas rester également,
au niveau de ce sous-secteur, en marge de ces divergences.
Les acteurs ADIAB n'étant pas reconnus par la CAGIA, ni
la CSPR, le recouvrement de leurs crédits intrants pose de
véritables problèmes. De même, les distributeurs du GPDIA
craignent de livrer des intrants aux producteurs hors du crédit FUPRO du
fait des difficultés de recouvrement.
> Problématique des intrants et recouvrement du
crédit intrants
La mise en place des intrants est réalisée par
les distributeurs privés séLECtionnés au titre de la
campagne, par la CAGIA. Cette opération se déroule à
crédit à partir du mois de février dans les GV auxquels
incombe le rendement du crédit durant la commercialisation.
Le mécanisme prévoit d'une part, la
sécurisation de ce crédit aux producteurs et d'autre part, son
remboursement par ces derniers au profit des Importateurs et Distributeurs
d'Intrants. Mais, la récupération des crédits
auprès des producteurs posent des problèmes : les
quantités mises en place dans les GV étant, le plus souvent en
inadéquation avec leurs besoins réels. Selon le SOP de la
région « les paysans déclarent de grandes superficies et
reçoivent les intrants en conséquence, mais dans la
réalité, ils ne respectent pas les superficies
déclarées ». Cette situation est due au fait que les paysans
utilisent une partie de l'engrais pour d'autres cultures.
Le détournement de l'engrais constitue alors une
stratégie développée par les producteurs pour faire face
au manque d'appui aux vivriers. Cette stratégie que développent
les producteurs ne permet pas au mécanisme de recouvrer à 100%
les crédits intrants, les capacités de remboursements des
groupements étant en-déça des valeurs des intrants mis en
place. Alors que les crédits consentis aux distributeurs d'intrants par
les banques sont dénoués
à 100% par la CSPR, au plus tard à la fin du mois
de décembre, donc avant le démarrage effectif de la
commercialisation
Tableau 5: Evolution des chiffres relatifs aux
crédits intrants et aux taux de recouvrement
Campagne
|
Crédits intrants
|
Montant récupéré
|
Taux recouvrement
|
00-01
|
20.628.839.000
|
20.297.254.385
|
98,39%
|
01-02
|
25.950.807.550
|
25.452.021.241
|
98,08%
|
02-03
|
27.541.549.855
|
24.966.792.530
|
90,65%
|
Source : CSPR, enquête (2004)
Ce tableau montre que la récupération des
crédits intrants se solde de plus en plus par des impayés, non
prévus dans le mécanisme de recouvrement. Les gaps de ces
crédits sont supportés par la centrale et ceci entraîne les
retards dans le paiement des fonds-coton aux producteurs. Les taux de
recouvrement ne cessent de baisser d'une campagne à l'autre, fragilisant
ainsi les équilibres financiers du mécanisme.
Dans ce contexte, où les impayés se multiplient,
les distributeurs d'intrants ne perdent aucune partie, leur créance leur
étant versée en totalité par la CSPR, même avant la
commercialisation. Par contre, les victimes les plus affectées par ces
irrégularités sont les paysans, avec les retards des fonds
coton.
5.2.3.6 Organisation institutionnelle du secteur cotonnier:
perception des parties prenantes
Dans cette partie, nous analyserons la perception de chaque
acteur sur les liens institutionnels au niveau de la filière. Ainsi,
nous pourrons évaluer le degré de connaissance de la
structuration de la filière au niveau de chaque acteur et les
interrelations entre les parties.
Flux de produits ou de paquet technologique
> Perception paysanne
AIC
CAGIA
RECHERCHE
FUPRO
CSPR
BANQUES
EGRENEURS
IDI
Flux financier
Source : discussion de groupe, N'Dali le
20/08/04
Figure 6: «Diagramme participatif»
réalisé par les producteurs du réseau
FUPRO
Le réseau FUPRO reste en relation avec diverses autres
structures / institutions (Fig 6). L'AIC
Photo1 Réalisation d'un «diagramme
participatif» au cours d'une discussion de groupe avec les paysans du
réseau FUPRO
vient en appui aux initiatives de la FUPRO. De même, la
recherche identifie les besoins en technologies au niveau des producteurs et
les soumet à l'AIC pour financement. Les résultats de la
recherche sont restitués à l'AIC qui implique ses techniciens
(TS/ AIC), dans la diffusion en milieu rural. La relation directe entre la
recherche et le paysannat intervient au cours de l'identification des besoins
en technologies et pendant la conduite de la recherche. Certaines innovations
sont expérimentées aussi bien en station qu'en milieu réel
(cas de la Lutte Etagée Ciblée).
La CAGIA intervient dans le système pour
sélectionner les distributeurs d'intrants et organiser la formation des
producteurs sur l'utilisation des intrants agricoles. Il faudrait signaler que
le rôle clé de la CAGIA dans les interrelations avec le paysannat,
n'a pas fait
l'unanimité des membres du groupe au cours de la
conception du diagramme. Ce désaccord pourrait être compris d'une
part, comme l'absence directe de relation entre la CAGIA et les producteurs et
d'autre part, comme l'effet de déception qu'ont connu les producteurs
quant à l'efficacité des produits chimiques mises en pace dans
les GV. Pour certains producteurs, « si la CAGIA est une bonne chose, les
producteurs n'auraient pas les problèmes qu'ils ont aujourd'hui avec les
produits », ceci pour témoigner de tout leur mécontentement
par rapport à la gestion de ce sous-secteur intrant.
Une autre faiblesse de la CAGIA réside dans le fait que
sa fonction de formation des producteurs sur les intrants est
reléguée au second rang. Cette tâche est prise en mains
directement par les distributeurs d'intrants, c'est d'ailleurs la relation qui
relie les fournisseurs à la FUPRO.
La CSPR reste le «carrefour» entre les producteurs,
les distributeurs d'intrants et les égreneurs. En effet, la CSPR
s'approvisionne en coton au niveau des producteurs et le livre aux
égreneurs contre un acompte de 40% dont une partie est utilisée
pour payer les distributeurs d'intrants. La relation CSPR-producteurs reste
assez forte parce que, pour plusieurs producteurs « l'argent du coton
dépend de la CSPR », ceci en raison du contrat monétaire
entre les deux parties.
Au cours de cette étude, nous nous sommes rendus compte
que, parmi les différentes institutions qui interviennent au niveau de
la filière, la CSPR est la structure que les producteurs connaissent le
mieux et pour beaucoup (65% de notre échantillon), les
difficultés rencontrées par les acteurs sont dues à
l'inefficacité de la centrale.
La FECECAM (banque locale), à travers les caisses
locales, intervient dans la filière pour garantir les crédits de
campagne aux producteurs. Mais au niveau du paysannat, le manque de suivi et la
mauvaise gestion n'ont pas permis aux producteurs d'évaluer
l'utilité de ces crédits. Ils révèlent souvent que
« les crédits CLCAM tuent les producteurs». Le système
solidaire en vigueur dans ces groupements fait que les producteurs qui
utilisent correctement ces crédits se sentent défavorisés
par rapport aux producteurs indélicats qui «tombent en
impayés».
L'organisation de la filière, selon la perception des
paysans des réseaux FENAPRA et AGROP, est assez simplifiée (Fig
7) parce que les nombreuses structures qui se greffent à la
filière sont la cause de sa désorganisation, et elles ne «
sont que des figurations ». Ces réseaux se sont
débarrassés de ces diverses institutions qui entrent dans la
gestion du réseau FUPRO pour se retrouver avec ce schéma
simplifié. Pour ces divers acteurs des réseaux parallèles,
plus il y a d'intermédiaires dans le système, plus le partage est
réduit.
a-
Fournisseur
d'intrants S di
Flux de produits ou de paquet technologique Flux
financier
FENAPRA
GP-
b-
MCI (égreneur)
CAGIA CSPR
AGROP
MCI
MCI (fournis- intrants
AIC
Source : discussion de groupe, N'Dali le
20/10/04
Figure 7: «Diagramme participatif'' des
interrelations au niveau de la filière réalisé par les
producteurs des réseaux FENAPRA
(a) et AGROP (b)
Au niveau de la FENAPRA, les responsables entrent directement
en contact avec les fournisseurs pour avoir les intrants et ils convoient toute
leur production vers la compagnie d'égrenage de la SODICOT (Fig 7-a),
pendant que le réseau AGROP prend ces intrants et livre sa production
à la compagnie MCI (Fig 7-b).
Dans ces deux systèmes, les mécanismes de
recouvrement sont autogérés par ces acteurs. Les distributeurs
d'intrants et égreneurs retrouvés dans ces réseaux sont
ceux qui sont sortis du mécanisme mis en place par l'Interprofession.
Ces réseaux regroupent donc les divers acteurs qui ne retrouvent pas
leurs intérêts dans le système mis en place par l'AIC.
Dans ce nouveau cadre institutionnel, ces acteurs
(égreneurs, distributeurs «dissidents» et responsables des
mouvements parallèles) parviennent à satisfaire les
«attentes» que ne garantissait pas le système de
l'Interprofession. L'intervention de l'AIC/CSPR dans «leurs
réseaux» est perçue comme une menace des
intérêts en jeu, menace parce que l'AIC exigerait d'une part, les
fonctions critiques qui sont devenues des «intérêts d'un
petit groupe» et d'autre part, le passage par le canal de la CSPR et de la
CAGIA, ce qui n'arrange plus les distributeurs et les égreneurs. Ainsi
les intérêts visés par les différentes parties
s'échapperaient avec l'implication de l'Interprofession qui est devenue
un potentiel adversaire.
Encart 8 : Extrait de la lettre adressée
au présidium par les représentants des réseaux FENAPRA et
AGROPBénin à la fin des états généraux de
juillet 2004 à Parakou4;
Compte tenu des constats faits lors des différents
ateliers, nous, producteurs des réseaux précités, rejetons
fermement la responsabilité de la CSPR, AIC et CAGIA, dans la gestion de
notre coton graine et ceci jusqu'à nouvel ordre; car nous ne voulons pas
de casses, du désordre et de la mafia dans la gestion de ce
coton.
Cet extrait ne manque pas de renseigner sur la situation de
conflit d'intérêts qui subsiste au niveau de la filière.
Mais est-ce vraiment les intérêts de simples producteurs qui sont
en jeu ici ? Derrière ces déclarations, n'y a t-il pas plusieurs
autres acteurs du réseau ?
La dynamique institutionnelle dans le réseau FUPRO ou
dans les réseaux parallèles, n'améliore pas autrement le
revenu des producteurs. Par rapport à ce contrat, le réseau
FUPRO, avec un grand nombre d'acteurs (CAGIA, CSPR, AIC, ...) présente
l'avantage d'offrir d'emplois à plusieurs groupes. Ainsi, le partage
« du gâteau de coton » se fait entre plusieurs acteurs alors
qu'au niveau des réseaux parallèles, les bénéfices
du coton sont partagés entre un petit groupe d'acteurs
(égreneurs, distributeurs d'intrants, responsables des
mouvements paysans,...), écartant ainsi les
producteurs. > Perception et linkage de la
recherche
La recherche reste en relation avec diverses institutions de
la filière (Fig 6). Elle recommande à la CAGIA, après
expérimentation, les produits à mettre en place par les
distributeurs. Avant cette phase, la recherche conduit les protocoles des
firmes, sur les matières actives identifiées. Après
l'expérimentation, la DIFOV, à travers les CARDER, prend la
relève pour la vulgarisation de la technologie identifiée par la
recherche. De plus en plus, la limite du partenariat entre la recherche et la
DIFOV n'est plus nette. Les fonctions de l'un chevauchent sur celles de
l'autre.
4 Lettre co-signée par Madougou (FENAPRA) et
Amidou (AGROP)
SDI
AIC
FUPRO
CAGIA
Recherche
Firmes phytosanitaires
DIFOV
Egreneur
Carder
Flux de produits ou de paquet technologique
Flux financier Source : discussion de groupe, N'Dali
le 25/10/04
Figure 8: «Diagramme participatif'' des
interrelations au niveau de la filière réalisé par la
recherche
La recherche entretient aussi des relations avec les
distributeurs nationaux et un intérêt particulier est reconnu
à la SDI (compagnie de distribution des intrants) pour plusieurs causes.
La SDI a une importance économique qui fait dire « on ne peut pas
faire le coton au Bénin sans Talon ! ». Cette force
économique la place au-dessus de plusieurs acteurs, mais malgré
cette importance, elle est restée dans le système de
l'Interprofessionnel. Au niveau de la recherche, la SDI finance certains
projets de protection phytosanitaire. Ce privilège accordé
à cette société peut provenir des diverses relations
qu'elle a tissées avec la recherche. Depuis la libéralisation
où le désengagement de l'Etat a posé une lacune, la
recherche est menée en partenariat avec des structures nationales (dont
la SDI) et internationales qui prennent en charge le financement. Ce
partenariat renforce les relations entre ces institutions. Ce sous- secteur
collabore aussi avec des égreneurs pour l'identification des
variétés qui améliorent les produits d'égrenage.
Les différents responsables rencontrés dans le
domaine de la recherche ont reconnu que la filière fait face à
plusieurs difficultés. Sur le plan international, les gros producteurs
(Chine, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union Européenne) causent
de nombreuses pertes aux producteurs du sud en subventionnant leur production.
Au plan national, la difficulté majeure est la création
récente d'organisations professionnelles qui mènent leurs
activités en dehors du cadre réglementaire ; ce qui perturbe le
caractère «de filière intégrée' 'et
entraîne des manques à gagner à l'Etat. Ces
difficultés restent liées au rôle ambigu de l'Etat qui n'a
pas défini
clairement avec l'Interprofession le protocole d'accord devant
conduire à un cadre réglementaire au niveau du secteur (Djihinto,
CRA-CF comm. pers).
La politique n'est pas restée en marge des
difficultés que rencontre la filière ; elle utilise les failles
de l'Etat (profite de l'absence de l'accord cadre) pour inciter la
désorganisation de la filière en raison des divers
intérêts en jeu.
5.2.7.3 Catégorisation des acteurs
Suivant la distinction des acteurs d'un système, telle
effectuée par Jiggins et al (2003), nous distinguerons trois
catégories d'acteurs regroupés dans le tableau 6.
Tableau 6 : Répartition des acteurs des
différents réseaux selon les perceptions
Paramètres
|
Perception FUPRO
|
Perception FENAPRA
|
Perception AGROP
|
Acteurs de premier ordre
|
AIC- CSPR- CAGIA
|
Egreneurs, distributeurs d'intrants agricoles
|
Egreneurs, distributeurs d'intrants agricoles (MCI)
|
Acteurs du second ordre
|
Producteurs, Egreneurs, distributeurs
d'intrants agricoles
|
Producteurs
|
Producteurs
|
Acteurs intermédiaires
|
Source : Enquête, N'Dali (2004)
L'AIC, la CSPR et la CAGIA sont regroupées comme
acteurs primaires au niveau du système FUPRO, parce que chargées
d'initier les activités ou de définir les itinéraires
à suivre au niveau du mécanisme mis en place. En dehors de
l'Etat, ce sont les institutions qui ont en charge la gestion de la
filière coton au Bénin. ils prennent des décisions pour la
conduite du secteur. Dans les réseaux dissidents où ces
institutions sont exclues, ce sont les distributeurs et les égreneurs
qui ont ce pouvoir. Mais notons qu'ici, il ne s'agit pas d'un pouvoir formel
mais c'est en complicité avec les responsables de ces organisations
paysannes que ces acteurs secondaires (du système FUPRO) ont pu se
positionner comme primaires.
Dans les réseaux parallèles où il
n'existe plus l'autorité de l'Interprofession, n'est-il pas possible aux
producteurs de se positionner en acteurs primaires où ils pourront
s'imposer aux autres acteurs du système ? Cette
éventualité n'est pas envisageable a priori parce que les
égreneurs et les distributeurs d'intrants ont une force
économique qui fait que les producteurs se placent dans une position de
dépendance. D'abord pour la production, ils ont besoin
d'intrants que les distributeurs leur livrent à
crédit parce qu'ils n'ont pas souvent la capacité de les prendre
au cash. Ce contrat de crédit entre les deux parties, placent les
producteurs dans une situation de dépendance vis à vis des
fournisseurs.
Dans la classe des acteurs intermédiaires, nous
retrouvons, dans le réseau FUPRO, aussi les égreneurs et les
distributeurs d'intrants. Dans cette catégorie, il y a des acteurs qui
soutiennent les itinéraires définis par l'Interprofession parce
qu'ils retrouvent un avantage dans le mécanisme. Par contre, ceux qui ne
retrouvent plus leurs intérêts en jeu s'opposent à ces
mécanismes et se sont reconvertis dans les systèmes dissidents en
se positionnant dans la classe du premier ordre, tel le cas de MCI, CSI,
Fruitex,...
Les producteurs, en fonction de leur limite (capacité
financière), se retrouvent dans la basse couche parce que n'ayant pas
une autonomie dans le système. Que deviendrait le système quand
les producteurs auront une force de négociation où ils seront
considérés comme de vrais partenaires ?
Même si les réseaux parallèles, ont
réussi à briser la charpente institutionnelle imposée par
l'Interprofession, ils se trouvent parfois contraints à retourner dans
le système formel. C'est le cas, cette année avec les producteurs
FENAPRA, qui, par manque d'intrants agricoles, ont été
obligés d'être approvisionnés par la SDI, une compagnie du
système formel. A la commercialisation, c'est le distributeur qui leur
imposerait le circuit dans lequel ils doivent vendre leur coton. Tout le jeu
semble ainsi être joué par les distributeurs d'intrants qui
détiennent la «force» du système. Les producteurs
restent les maillons faibles parce qu'ils disposent d'un faible contrôle
du secteur intrant.
5.2.3.8 Performance du système de financement du
secteur cotonnier
Jusqu'à la levée du monopole de l'Etat, les
activités de production et la commercialisation du coton étaient
financées par trois principales sources :
- Prêts aux distributeurs d'intrants pour leur permettre
d'importer les intrants, dont la SONAPRA garantissait le recouvrement aux
banques ayant consenti les prêts, grâce à son monopole sur
le coton graine.
- Prêts aux compagnies d'égrenage pour leur
approvisionnement en coton graine auprès de la SONAPRA. Dans certains
cas, ces compagnies peuvent recevoir du coton à crédit et
rembourser la SONAPRA après la vente des fibres.
- Crédits de campagne pris par la SONAPRA auprès
des banques pour assurer le paiement des producteurs, après
déduction des coûts des intrants.
Ces différents éléments du système
de financement du secteur qui reposaient sur la situation de monopole de la
SONAPRA se sont avérés assez performants pour la
sécurisation du crédit intrant. En effet, les crédits de
campagne de la SONAPRA ne comportaient aucun risque parce que, d'une part, ils
étaient accordés sur la base de la production nationale et
d'autre part, en l'absence d'autres acheteurs, la société
cotonnière n'avait pas à craindre de concurrence au niveau de
l'approvisionnement en coton graine.
Le mécanisme de recouvrement des intrants était
alors assez efficace non seulement à cause du monopole de la SONAPRA
mais aussi parce que les acteurs engagés dans la filière
étaient peu nombreux. Mais cette performance du système
n'était pas sans effets pervers, très coûteux.
Le fait que la SONAPRA garantisse entièrement le
crédit aux distributeurs d'intrants a non seulement peu incité
ces acteurs à mieux gérer leurs ressources, mais a aussi
encouragé l'entrée sur le marché d'intrants, d'acteurs peu
qualifiés sous protection politique. A cause de cette situation, le
système de distribution d'intrants s'est détérioré
avec des pertes financières répétées au niveau de
la SONAPRA.
Au niveau des compagnies d'égrenage privées, la
livraison entièrement à crédit, du coton graine a
entraîné non seulement des retards considérables dans le
paiement des producteurs mais aussi des «manques à gagner»
fréquents pour la SONAPRA.
Tout le système se retrouve ainsi dans l'impasse,
coincé entre les dettes au niveau de la société
cotonnière et les intérêts des acteurs en place
(égreneurs, distributeurs d'intrants et responsables des
sociétés publiques).
5.2.3.9 Performance de la dynamique institutionnelle de la
filière
Le secteur cotonnier béninois a connu de nombreuses
réorganisations conduisant aujourd'hui à sa
libéralisation.
Dans un premier temps, l'élément marquant de la
dynamique institutionnelle a été l'organisation de la
filière sous une forme intégrée de l'amont à l'aval
autour de sociétés d'Etat. Cette organisation a permis de
sécuriser l'environnement socio-économique des producteurs en
matière d'approvisionnement à crédit et de
commercialisation du coton graine. Ainsi, l'obstacle de l'accès au
crédit a été surmonté pour les petits prêts,
à court terme pour l'achat d'intrants, dans le cadre d'une caution
solidaire de groupes de producteurs et de la sécurisation du
remboursement lors de l'achat du coton graine. De même, les
itinéraires techniques cotonniers ont été mis à
disposition de la vulgarisation grâce à la collaboration entre les
sociétés agro-industrielles cotonnières et la recherche ;
Malheureusement ces appuis
se sont très vites essoufflés, comme le note
aussi Dévèze (2004) faute de financement sécurisé
et d'une étroite association à l'innovation des producteurs.
Face à ces divers obstacles, de nouvelles orientations
ont été prises dans le secteur. En cas de réussite, ces
réformes entreprises dans le cadre de sa libéralisation,
renforceront la compétitivité de la production nationale sur les
marchés internationaux et permettront au pays de
bénéficier de l'augmentation probable de la demande mondiale du
coton. Cette augmentation de la productivité et de la
compétitivité devrait se traduire par des revenus plus
élevés dans le secteur. Ainsi, plus de transparence et
d'efficacité dans la gestion de la filière entraînerait
à coup sûr une meilleure redistribution des revenus, non seulement
dans le secteur coton mais aussi dans les autres secteurs productifs tant dans
le monde agricole qu'ailleurs.
Si à ces débuts, la réforme était
avant tout, une réaction à une crise majeure dans la
filière, elle a dépassé ce stade et l'on assiste
aujourd'hui dans le secteur, à une profonde crise de confiance entre les
acteurs. Certains distributeurs d'intrants n'acceptent plus les règles
et procédures d'agrément et mettent en place des intrants hors
système. Dans le même temps, certains égreneurs
achètent du coton graine soit auprès des OP qui se sont
retirées de l'Interprofession. En clair, comme le fait remarqué
Berkani (2002), le système se retrouve dérouté de sa ligne
de départ et asphyxie tous les acteurs. Certains groupes jugent ainsi
que les autres ne leur donnent pas leur part d'intérêts qu'ils
méritent, et ils s'en approprient alors en dehors du système
reconnu par l'Interprofession, fragilisant ainsi le mécanisme.
Le clivage des groupes qui débouche aujourd'hui sur la
désorganisation du secteur ne serait survenu si l'Etat jouait le
rôle qui lui a été confié dans le cadre de ces
réformes. L'environnement peu spécifié dans lequel a
été conduite cette libéralisation, a entretenu tous les
débordements observés actuellement dans la filière.
5.2.3.10 Les enjeux autour de la privatisation de la
SONAPRA
Le projet de privatisation de la SONAPRA a en effet
été annoncé par le gouvernement, dans le cadre de la
restructuration du secteur coton depuis 2000. Mais, c'est seulement en Juin
2003 qu'un appel d'offres a été lancé pour
sélectionner les adjudicataires. Or, cet appel d'offres a vite
été interrompu puis annulé par le gouvernement parce
qu'étant perçu comme peu transparent et trop avantageux pour
certains opérateurs au détriment d'autres. Après
révision de la procédure de privatisation des outils industriels
de la SONAPRA, l'appel à la manifestation d'intérêt
lancé par le Ministère du Plan, de la Prospective et du
Développement (MCPPD) prévoit la cession des usines en quatre
lots d'actifs distincts.
En réalité, de nombreuses compagnies reconnues
être des débiteurs de la SONAPRA, enregistrées comme
soumissionnaires aux appels d'offres ont été
écartées du marché par la commission de
dénationalisation. Face à cet acte, la commission aurait
été dépossédée du dossier par des
responsables politiques au profit d'une commission interministérielle.
On pourrait percevoir une volonté de ces responsables de faire racheter
des débiteurs dans le groupe des soumissionnaires. C'est à dire
que tout semble avoir été fait, avec la bénédiction
de hauts responsables, pour permettre à certains soumissionnaires
débiteurs de se tirer d'affaire et de se retrouver parmi les
adjudicataires. Mais quel peut bien être les intérêts qui
soutendent la volonté politique qui veut toujours faire racheter les
débiteurs de la société ? est-ce pour des buts politiques
ou mieux des intérêts économiques ?
Au bout de nombreuses tractations, la commission a pu
identifier quatre soumissionnaires (Sci de Kagnassy pour le lot 1, Promodec de
Talon pour le lot 2, de Jbi-Sa filiale d'un groupe Suisse pour le lot 3 et
enfin Cdi de Christopher pour le lot 4). On pourrait se croire au bout du
tunnel puisque la situation des appels d'offres a été finalement
décantée au niveau des soumissionnaires si l'affaire Jbi-Sa
n'avait pas resurgi. Alors que cette société a été
retenue sur la dernière liste des commissionnaires, ses
difficultés ont commencé lorsque la banque qui devrait lui servir
de caution n'a pu honorer ses engagements dans les délais prescrits par
la commission de dénationalisation. Désormais dans l'impasse, ce
soumissionnaire ne pouvait plus rien faire d'autre que de recourir aux grands
moyens. La commission était face à cette situation quand lui
parvient la lettre du gouvernement qui demandait un moratoire de 20 jours
à Jbi-Sa. Mais pourquoi cette faveur spéciale à Jbi-Sa
?
L'intervention du gouvernement aurait été
surtout décidée par la présence dans l'ombre de Jbi-Sa de
l'un de ses proches, un homme d'affaire que l'on cite parmi les gros
débiteurs de la SONAPRA (Tossou, 2004). Cette notification devrait
amener la commission de dénationalisation à violer ses propres
textes, donnant ainsi des prétextes de nouvelles revendications aux
soumissionnaires qui avaient déjà été
définitivement écartés. La forte implication des
politiciens témoigne des multiples enjeux du secteur coton.
Mais la commission vient de passer outre cette instruction du
gouvernement parce que voulant respecter scrupuleusement les dispositions du
règlement d'appel d'offres. Elle a jugé scandaleux et plein de
risques pour l'Etat, le « piétinement » jusqu'à un tel
point des « règles établies ». La commission a dû
notifier la défaillance de la Jbi-Sa et a fait appel au commissionnaire
immédiat du lot 3. Ainsi la société Sofidec de Tankpinou
vient d'être repêchée et devrait faire partie
désormais des soumissionnaires définitivement retenus dans le
cadre de la privatisation de la SONAPRA.
Reste à voir si cette compagnie ne serait pas
confrontée aux mêmes difficultés que JbiSa quant à
la caution bancaire et aussi quelle pourrait être la réaction du
gouvernement dont les instructions en faveur du Jbi-Sa ont été
passées outre.
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