DEUXIEME PARTIE : Résultats et discussions
5. ACTEURS ET INTERFACES
A travers ce chapitre, nous présentons une
évolution des diverses fonctions des acteurs de la filière. Une
analyse des performances nous a permis de déboucher sur les « gains
» ou les « pertes » engendrés par le cadre institutionnel
actuel du secteur. Ainsi, nous avons mieux perçu les divers foyers de
conflits entre les acteurs de même que les interrelations au niveau de la
filière. Ces différents points d'analyse nous ont permis de
répondre à nos deux premières questions de recherche.
5.1 Restructuration du secteur agricole au Bénin:
Différentes réformes engagées dans le secteur coton
La filière coton a connu diverses phases de
réformes. Ces réformes visent d'une part la recherche de
compétitivité qui exige une forte productivité dans la
filière, et d'autre part la réorganisation des structures de
gestion de la filière afin de les adapter au nouveau contexte
économique international (CAPE, 2004).
5.1.1 Diverses phases de gestion de la
filière
La première phase visait à accroître
l'efficacité de la filière, à réduire les
coûts de production du coton fibre et à améliorer les
procédures et les recettes d'exportation. Elle a débuté
dans les années 80 avec l'appui de la banque mondiale dans le cadre du
projet Borgou et de l'AFD. Cette première phase a été
placée d'abord sous le contrôle des CARDER et ensuite sous le
contrôle de la SONAPRA.
5.1.1.1 Secteur cotonnier sous le contrôle des
CARDER
Après la concluante expérience
enregistrée par les Centres d'Action Régionaux pour le
Développement Rural (CARDER) en 1975, toutes les composantes du
sous-secteur cotonnier étaient confiées à ces institutions
de l'Etat représentées dans les départements qui
abritaient les usines d'égrenage à l'époque (Borgou, Mono
et Zou). L'organisation des activités dans les mouvements paysans, la
production du coton graine et sa transformation relevaient de la
compétence des CARDER.
Suite à la crise cotonnière de 1987 due à
une production qui dépassait les capacités d'égrenage des
usines et la chute inattendue des cours mondiaux sur le marché
international, des mesures subséquentes ont été prises.
Ainsi, les outils industriels du secteur ont été retirés
de la tutelle des CARDER pour être placés sous la coupe de la
SONAPRA. Les CARDER
sont devenus des prestataires de services pour la SONAPRA dans
le cadre de l'organisation de la commercialisation du coton graine et de la
gestion des intrants agricoles.
Ce schéma de prestataire de services entre les deux
structures a duré jusqu'en 1992 où la libéralisation du
secteur a démarré. Dans ce cadre, les CARDER ont
été écartés de toutes les activités
commerciales; ils n'avaient que des tâches régaliennes notamment
celles liées à la vulgarisation agricole, l'appui aux
organisations paysannes et la formation. L'importance des CARDER a
évolué de façon régressive au niveau de la
filière, ce qui fait évidemment perdre des faveurs aux acteurs
concernés.
5.1.1.2 Secteur cotonnier sous le contrôle de la
SONAPRA
La SONAPRA a été mise en place pour assurer la
promotion des produits agricoles à travers l'approvisionnement en
facteurs de production, la stabilisation, le soutien des prix et la
commercialisation des produits. Elle a constitué pendant longtemps
au-delà des GV et USPP, la structure chargée de l'exploitation de
la filière coton béninoise.
Ce système de monopole permettait à la SONAPRA
de contrôler la commercialisation et l'égrenage du coton graine,
ainsi que l'exportation de la fibre et des graines de coton. Elle
contrôlait la distribution des intrants agricoles, l'attribution des
agréments et des passations de contrats avec les fournisseurs. La
SONAPRA assure également le recouvrement des crédits et le
paiement des producteurs et des fournisseurs.
Avec la politique de désengagement de l'Etat, les
nombreuses fonctions contrôlées par la SONAPRA ont
été transférées au secteur privé ou à
d'autres acteurs du secteur public. Aujourd'hui, la SONAPRA se limite seulement
à l'égrenage et est en voie de privatisation. En levant le
monopole de cette structure, l'Etat vise à rendre plus compétitif
le secteur cotonnier. Ce transfert des multiples fonctions, autrefois
assurées par la SONAPRA, à d'autres acteurs, reste aussi un
transfert de pouvoir. Ainsi, le désengagement de l'Etat est une
véritable source d'enjeux pour les agents et les responsables des
structures.
ETAT
SONAPRA
CARDER
Groupements Villageois
Producteurs
Flux de produits, de paquet technologique ou Flux financier
Source : Enquête, 2004
Figure 1 : Schéma d'organisation de la
filière coton avec le monopole de l'Etat
5.1.2 La pression pour la libéralisation et
la privatisation du secteur cotonnier
Vers la fin des années 80, les problèmes
financiers des Etats d'Afrique de l'Ouest ont conduit à repenser le
rôle des gouvernements dans le développement rural. Ainsi, le
Bénin, à l'instar des autres pays de l'Afrique de l'Ouest, a
dû accepter les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) du FMI et de la
Banque Mondiale. Ceux-ci les ont contraints à réduire leurs
dépenses et leur personnel, à rationaliser les politiques
d'investissement et à augmenter les recettes d'exportation (PNUD, 2002).
De ce fait, tous les gouvernements Ouest-africains ont commencé à
se retirer de certains secteurs économiques dans lesquels ils
étaient fortement impliqués, en particulier ceux qui
n'étaient pas subventionnés.
Le secteur cotonnier béninois n'a pas pu
échapper complètement à cette première vague de
restructuration. Les subventions sur les intrants ont considérablement
été réduites, le
transport du coton a été rationalisé afin
de réduire les frais; les mécanismes de fixation des prix ont
été adaptés pour mieux tenir compte de leur fluctuation
sur le marché mondial.
Vers le milieu des années 90, enfin, l'approche de
« filière intégrée » qui consiste en un ensemble
d'interventions à presque tous les stades des différents maillons
de la filière, a subi, elle aussi de sérieuses attaques de la
part de la Banque Mondiale. Selon cette dernière, l'efficacité et
la pérennité du secteur cotonnier ne pourraient être
assurées à travers une forte implication des gouvernements
nationaux. La Banque juge l'intervention des Etats, dans la plupart sinon
à toutes les étapes de production, inefficace et peu
transparente.
La pression de la Banque Mondiale et du FMI pour la
libéralisation et la privatisation du secteur cotonnier fait partie
intégrante de leur politique de réduction des interventions et
des dépenses de l'Etat, de libéralisation du commerce et de
développement du secteur privé. Vu sous cet angle, ces
institutions semblent ignorer la position stratégique du secteur
cotonnier dans l'économie des pays producteurs. Ceci explique que la
Banque Mondiale se heurte actuellement aux politiques et aux
intérêts de plusieurs acteurs du secteur (en particulier les
intérêts de la Compagnie Française de Développement
des Textiles) (Ton, 2001). Ainsi, au niveau macro, la libéralisation et
la privatisation du secteur cotonnier menacent les intérêts des
agents des sociétés cotonnières et de divers responsables
politiques qui en dépendaient. Au niveau micro, l'épanouissement
du milieu rural pourrait en prendre un coup.
5.1.3 Déroulement du processus de
désengagement de l'Etat de la gestion de la
filière
La deuxième phase de la réforme qui se poursuit
actuellement a débuté en 1992 avec pour objectif de
résoudre certains problèmes découlant de la phase
précédente des réformes. Il s'agit du transfert du
monopole de la SONAPRA en matière de commercialisation pour aboutir
à une «agriculture contractuelle». Cette phase de la
restructuration a pour but de libéraliser la filière, de
privatiser les secteurs des intrants et de l'égrenage afin d'aider
l'Etat à se dégager des activités de la filière.
5.1.3.1 Sous-secteur intrants
Le processus de désengagement de l'Etat a
commencé d'abord par l'ouverture du secteur intrant aux distributeurs
privés. Au cours de la campagne 1992-1993, la Société de
Distribution Intercontinentale (SDI) a réalisé avec
succès, lors de la phase test, une expérience d'approvisionnement
et de distribution directe aux producteurs à hauteur de 20% des besoins
nationaux en engrais et insecticide.
Cette réussite a encouragé l'Etat à
déclencher le processus de désengagement. Ainsi, un comité
de suivi national a été mis en place et 60% des besoins nationaux
sont assurés par la SONAPRA par appel d'offres internationales et 40%
sont fournis par des opérateurs privés nationaux.
L'évolution de la participation des acteurs
privés dans ce sous secteur s'est poursuivie à hauteur de 60% en
1996 et de 80% jusqu'à la campagne 2000-2001, avec treize
sociétés. C'est à partir de 2001-2002 que le sous secteur
est revenu entièrement aux mains des acteurs privés.
5.1.3.2 Le sous-secteur égrenage
Dans le domaine de l'égrenage, la libéralisation
a commencé au cours de la campagne 1994-1995 par l'agrément
accordé par l'Etat béninois aux usines de première
génération. Cet acte qui traduit la volonté de l'Etat
d'aller au bout du processus a porté en trois ans sur huit usines
privées pour une capacité nominale additionnelle de 255.000
tonnes de coton graine portant ainsi la capacité totale
d'égrenage à environ 575.500 tonnes au lieu de 312.500 tonnes
pour la SONAPRA seule. Ainsi, à partir de la campagne 1998-1999, les
usines ne parvenaient plus à garder leur rythme d'égrenage. Ceci
n'aurait été possible que si la production nationale passait
à 460.000 tonnes au moins. En dessous de ce seuil, les charges fixes
étant maintenues et les cours mondiaux de la fibre en régression,
l'ensemble des Sociétés d'Egrenage du Coton (SEC) risque
d'aboutir à un bilan déficitaire en fin de campagne. Il se pose
alors un problème d'augmentation de la production nationale pour
satisfaire toutes les usines en tenant compte de leur capacité nominale.
Si au lieu de donner l'agrément d'égrenage à tous ces
acteurs en si peu de temps, l'Etat l'avait organisé sur une longue
durée en tenant compte du niveau de la production nationale, il n'y
aurait peut-être pas de conflits entre les égreneurs aujourd'hui
quant à la répartition de la production..
5.1.3.3 Le transfert des compétences aux
organisations paysannes
Il est important de souligner que toutes ces mutations
intervenues dans le secteur agricole ont été soutenues par
l'idée selon laquelle, les paysans seraient assez clairvoyants pour
prendre en mains leurs propres affaires. Un programme destiné à
garantir ce transfert, en renforçant la compétence de ces acteurs
a été élaboré avec des démembrements depuis
le niveau national jusqu'au milieu paysan. L'exécution de ce programme
s'est déroulée sur des
GV-test qui ont été créés pour
conduire ce transfert de compétence aux organisations paysannes.
Aujourd'hui, près d'une décennie après,
le constat qui se dégage de ce transfert n'est pas très
reluisant, car au lieu de mieux responsabiliser les structures pour les rendre
indépendantes du point de vue technique et de gestion, il a abouti
à leur fragilité avec pour corollaires, des cas d'endettement
sans précédent.
5.1.4 Performance de la SONAPRA
Le système de monopole, étroitement
contrôlé par la SONAPRA a eu pour effet positif d'accroître
rapidement la production du coton qui, dans la plupart des cas, était
l'unique culture commerciale des petits exploitants agricoles.
Cependant, un examen de sa performance montre que les
mécanismes d'intervention ont défavorisé les producteurs
et autres opérateurs du secteur privé, entraînant ainsi une
diminution considérable de la contribution qu'aurait pu avoir la forte
croissance de la production à l'augmentation des revenus des paysans et
à l'amélioration des conditions de vie dans les zones rurales. Ce
que confirme une étude de la Baffes (2002).
Avec les diverses fonctions d'importation et de distribution
d'intrants, d'égrenage et de recouvrement, la SONAPRA a connu de
nombreuses difficultés surtout financières liées à
sa mauvaise gestion. Cette mauvaise gestion a été à la
base du retard dans le paiement des producteurs. De plus, elle n'arrivait plus
à récupérer ses fonds auprès des égreneurs
privés à qui elle accorde des quotas de coton graine. Cette
situation compromet davantage sa capacité financière, d'où
la libéralisation totale de la filière par l'Etat.
En abolissant le monopole de la SONAPRA, le principal
défi que s'est fixé l'Etat, est de trouver des méthodes et
des mécanismes institutionnels de remplacement qui pourront corriger les
failles du système de monopole.
5.1.5 Retombées du transfert au niveau de la
SONAPRA
Le transfert des fonctions, alors assurées par la
SONAPRA, au secteur privé a engendré des frustrations au niveau
de la classe des dirigeants de cette société. Ces frustrations
constituent des sources de conflits parce qu'il y a des pertes
d'intérêts liés aux fonctions autrefois exercées.
Une fois détaché des fonctions, on perd les avantages ou les
faveurs qui y sont liés.
Encart 1 : Les avantages de la SONAPRA avant
l'entrée des acteurs privés, selon l'inspecteur de la CSPR.
Pendant que la SONAPRA gérait la commercialisation,
les agents avaient au moins 18 mois de salaire par an, les 6 mois
d'excédents sont des primes
Entretien n°1, SONAPRA le
05/07/04
Face à ce transfert, on assiste à un clivage au
sein de ces acteurs. Ce clivage a permis de distinguer deux groupes à ce
niveau. D'abord, ceux qui ont perdu leur poste et par conséquent, les
avantages y afférents. Ensuite, ceux qui sont dans le système
mais positionnés à un poste moins «juteux». Au niveau
de la SONAPRA, ce sont des catégories d'acteurs que nous pouvons appeler
«les mécontents» parce que se sont vus
défavorisés par les réformes engagées.
|