Plusieurs initiatives sont prises par les migrants dans le but
d'assurer la stabilité de leurs droits d'usage sur les terres qu'ils
exploitent. Parmi ces stratégies, nous avons relevé :
· La sécurisation par les relations
sociales
Cette stratégie consiste à maintenir de bonnes
relations avec les propriétaires terriens, notamment ceux qui leur ont
cédé les parcelles qu'ils exploitent. Les migrants tentent de
satisfaire les chefs de terre en leur rendant souvent divers services, par
exemple fournir à ces autochtones la main d'oeuvre dans les champs.
Cette attitude permet de maintenir de bonnes relations qui pourraient leur
épargner des situations de remise en cause de leurs droits d'usage sur
la terre. Par ailleurs, les « étrangers » participent aux
cérémonies des autochtones telles que les mariages, les
funérailles, les baptêmes, etc. Cela leur permet d'entretenir
entre les propriétaires terriens et eux des relations d'amitié et
de confiance. Mais, ces stratégies adoptées par les migrants sont
moins suffisantes pour endiguer certaines pratiques telles que la remise ne
cause des droits d'usage sur la terre.
· La sécurisation par le versement
régulier du loyer en nature
Sur les 150 chefs d'exploitation migrants
enquêtés, 96 soit 64% sont des métayers. Ceux-ci sont dans
l'obligation de verser, outre le « landa », une certaine
quantité de leurs récoltes de céréales après
chaque campagne agricole aux chefs de terre qui leur ont cédé des
parcelles. Le versement régulier ou non de cette redevance est
déterminant dans l'évolution des relations entre les migrants
métayers et les propriétaires terriens. Le non-respect du
versement de ce loyer en céréales peut amener les chefs de terre
à retirer la terre à un métayer
et la réattribuer à une autre personne. En
effet, 34.3% des exploitants agricoles enquêtés
préfèrent verser régulièrement cette rente
céréalière pour maintenir de bonnes relations avec leurs
hôtes, en vue d'empêcher toute tentative de remise en cause de
leurs droits sur les terres qu'ils exploitent.
Dans le contexte de raréfaction de la terre
conjuguée à la forte demande dont elle fait l'objet, les
propriétaires terriens cherchent des moyens pour satisfaire les nouveaux
demandeurs. Par conséquent, l'absence de régularité dans
le versement du loyer par les métayers peut être un alibi pour
remettre en cause leur droit. Conscients de cet état de fait, certains
exploitants qui n'arrivent pas à verser la rente prennent le soin
d'aviser leurs hôtes afin qu'ils leur accordent la possibilité de
s'en acquitter la saison de culture suivante.
· La sécurisation par la plantation
d'arbre
Les arbres sont perçus par les paysans autochtones et
migrants, comme un élément qui garantit la stabilité des
droits d'usage sur la terre. De ce fait, des exploitants agricoles, notamment
les migrants, tentent de consolider leur emprise foncière par la
plantation des arbres. Cette stratégie représente 25.5% des
mesures de sécurisation foncières. Cependant, l'approche
adoptée pour planter ces arbres diffère selon la situation
socio-économique des migrants. Au cours des enquêtes, nous avons
identifié deux stratégies de sécurisation par la
plantation d'arbres à Dèrègouè. Il s'agit de :
- la plantation des arbres par l' « achat » du
droit de planter : il concerne les migrants métayers à qui le
droit de planter a été interdit. Parmi eux, certains
achètent le droit de planter qui leur permet de consolider davantage
leur emprise sur la terre qu'ils exploitent.
- la plantation d'arbres à l'insu des
propriétaires terriens : dans ce cas de figure, l'exploitant plante des
arbres sans prévenir le chef de terre. Ainsi, lorsque celui-ci constate
les faits, il lui est difficile de retirer la parcelle. Lorsqu'il demande
à l'exploitant d'arracher les arbres, il est le plus souvent
convoqué devant les autorités administratives. Une fois
arrivée devant les autorités, un arrangement est conclu pour
permettre au migrant de conserver sa parcelle et ses arbres.
Ainsi, l'arbre n'est donc pas planté pour seulement
des besoins économiques, mais aussi dans le but de prévenir les
situations d'instabilité des droits d'usage sur la terre. Car
très souvent l'exploitant plante quelques pieds d'arbres pour seulement
marquer une présence pérenne.
· La sécurisation par l'achat de
terre
L'une des caractéristiques de l'«achat» de
terre est l'importante somme d'argent versée en échange de la
parcelle acquise. Cette contrepartie en espèces permet de consolider le
contrôle foncier de l'acheteur, qui devient un recours pour le
cédeur lorsqu'il est dans des situations difficiles : besoin d'argent
pour la résolution de certains problèmes. Le rapport qui
naît ainsi entre l' « acheteur » et le « vendeur »
empêche le dernier d'entreprendre des tentatives de remise en cause des
droits d'usage sur la terre de l'acquéreur. Aussi, épargne-t-il
le bénéficiaire des interdits relatifs à la
réalisation d'investissements durable. Tout se passe dans l' «
achat » de terre comme si l'acheteur venait de bénéficier
d'un « droit de propriété ». C'est pourquoi là
où la notion de « vente » intervient, les
bénéficiaires arrivent à réaliser des
investissements pérennes sans que les cédeurs s'y opposent.
Malgré l'assurance qu'engendre cette transaction
foncière en ce qui concerne l'exploitation à long terme des
terres, des réserves sont émises par les
bénéficiaires quant à durée de leurs droits. Pour
eux, l'acquisition de « papiers » qui attestent les transactions est
plus rassurante. Toute chose que les propriétaires terriens refusent. De
ce fait, certains n'hésitent pas à recourir au « fama
» (terme employé pour désigner les autorités
administratives) pour stabiliser leurs droits d'usage sur la terre.
· La sécurisation par l'autorité
administrative
Pour les exploitants migrants, le recours à
l'autorité administrative est aussi un moyen pour sécuriser les
droits d'usage sur la terre. Lorsque les propriétaires terriens
coutumiers manifestent le désir d'interdire l'exploitation d'une
parcelle à un migrant, celui-ci n'hésite pas à interpeller
l'autorité, notamment le préfet. Le plus souvent, c'est lorsque
le migrant se sent victime d'une injustice qu'il recourt à
l'administration ; dans le cas contraire il s'abstient. Deux des migrants
enquêtés ont interpellé l'administration lorsque les
propriétaires terriens ont tenté de retirer leurs parcelles, ce
qui leur a permis de continuer l'exploitation de leurs champs.
· La sécurisation par le morcellement des
terres acquises
Suite à la forte demande de terre dans un contexte de
saturation foncière, des champs font l'objet de réduction en
superficies pour satisfaire les nouvelles demandes. En revanche, pour
éviter que leur parcelle ne fassent l'objet d'une réduction,
certains migrants morcellent leur terres et les cèdent à des
parents à travers des contrats de courte
durée, souvent renouvelables. Cette stratégie
leur permet ainsi de marquer une présence humaine sur leurs
réserves foncières, afin de réduire la probabilité
des réductions de superficies ou de retrait de terres.
Si la cession de droits précaires, c'est-à-dire
de courte durée, constitue un problème d'instabilité pour
certains migrants, pour les cédeurs de ces types de droits, elle
représente une stratégie de consolidation des droits.
Les migrants ne sont pas les seuls à adopter des
stratégies pour garantir leur contrôle foncier à
Dèrègouè. Ces mesures préventives contre toute
situation d'insécurité foncière concernent
également les autochtones. Au fait, ce qui est souvent perçu
comme un élément de sécurité pour les migrants est
appréhendé comme une source d'insécurité pour les
autochtones et vis-versa. Aussi prennent-ils des initiatives pour consolider
leur emprise sur les espaces cultivables relevant de leurs autorités.
Tableau n°8: Fréquence des
stratégies de sécurisation foncière des
migrants