B. Chapitre IIème : La conciliation en tant
que résolution amiable de litiges par le rapprochement des parties :
146. Comme pour la Transaction, l'étude de ce mode se
fera en deux temps. En premier nous étudierons et présenterons la
Conciliation en tant que Modes Alternatifs de Règlement des Conflits
(section Ière). Puis nous transposerons ce mode au droit locatif qui
connaît, contrairement à la Transaction par exemple, une
importante pace en la matière (section IIème).
Section Ière : La Conciliation .
Nous présenterons d'abord la Conciliation (I), puis nous
rappellerons sa qualité de contrat (II), préciserons ces
caractéristiques (III) pour enfin conclure sur son domaine de
compétence (IV).
I. Définition et présentation .
147. Du latin : Conciliatio, dérivé de
conciliare : à proprement parler assembler, d'où
concilier.
C'est l'accord par lequel les parties mettent fin à un
litige, cet accord résulte des parties elles- mêmes. Il en
provient deux possibilités : soit elles abandonnent
unilatéralement ou réciproquement toutes prétentions, soit
elles concluent une transaction.
La conciliation est régie par les articles 127 et
suivants du Nouveau Code de Procédure Civile. La conciliation, devant le
tribunal d'instance, constitue la procédure ordinaire.
148. Son avantage est d'être simple, rapide et
gratuite. Le but n'est pas de régler le litige selon les règles
de droit, il est d'aboutir à un accord entre les parties. La
présence d'un avocat est évidemment facultative. En 2001, on
comptait 1728 conciliateurs de justice en France, et un taux de conciliation de
47 %.
149. Succinctement, l'évolution de la conciliation peut
se résumer en quatre étapes90 :
· C'est une institution ancienne puisqu'elle était
connue des 1790.
De 1790 à 1949, la première étape de
l'évolution de la conciliation est marquée par le recours
obligatoire à la conciliation devant la plupart des juridictions et par
son caractère préalable au procès.
Le décret des 16-24 août 1790 en son titre 10 a
créé le préliminaire obligatoire de conciliation pour
toutes les affaires portées devant les tribunaux de district. Tous
litiges de la compétence des tribunaux de district devaient au
préalable être soumis au tribunal de paix pour une tentative de
conciliation des parties. Le domaine de cette obligation ne pouvait être
plus vaste puisqu'elle était exigée en appel comme en
première instance et qu'aucune dispense n'était prévue ni
pour les personnes incapables ni pour les affaires urgentes ou insusceptibles
de transaction. D'après des statistiques en 1834, les affaires
étaient conciliées dans 65 % des cas91. Mais au fil
des années la pratique se perd, les parties ne répondent pas la
citation de conciliation ou elles se font représenter par un
mandataire.
· La seconde étape, de 1949 à 1973,
connaît le recul de l'idée de conciliation obligatoire et
intègre progressivement la conciliation comme éventuel
préalable à l'instance. La loi du 9 février 1949 marque
incontestablement un tournant. L'idée est que l'essai de conciliation
n'est sérieusement souhaitable que dans les petites affaires. La
tentative de conciliation ne constitue plus un préalable, elle est
intégrée à l'instance sous la forme d'une faculté
conférée au juge.
90 Edition du Juris-Classeur 2003, procédure
civile, fascicule 160.
91 Bioche, « Dictionnaire de procédure ;
voir conciliation », p.456, n°2.
Dans tous les cas, le procès-verbal de conciliation qui
sera dressé aura force exécutoire.
· La troisième étape, de 1973 à 1995,
se distingue par une promotion textuelle au sein de l'instance mais qui ne
correspond peut-être pas nécessairement à une promotion
pratique. Le décret du 17 septembre 1973, consacré
essentiellement à l'administration judiciaire de la preuve, a
ajouté les articles suivants :
« Le juge peut toujours entendre les parties
elles-mêmes » ; « Il entre dans la mission du juge de concilier
les parties ». Respectivement retranscrit aux articles 20 et 21 du nouveau
code de procédure civile.
Cette étape, passée inaperçue, est
très importante : la conciliation trouve sa place. C'est-à- dire
dans les dispositions liminaires du code et plus particulièrement dans
les principes directeurs du procès.
Dans le même temps, la tentative préalable de
conciliation avant assignation devient une simple faculté pour le
demandeur. La phase préalable et obligatoire de la conciliation
disparaît même devant le tribunal d'instance.
· La quatrième étape est la vision de la
loi du 8 février 1995, qui autorise le juge à désigner un
conciliateur tiers pour procéder aux tentatives préalables de
conciliation prescrites par la loi ; ce qui pourrait apparaître comme un
certain renouveau.
Cette même loi introduit légalement la
médiation judiciaire dans le paysage processualiste.
II. La conciliation : un contrat .
150. S'il y a conciliation, l'accord sera constaté
dans un procès-verbal signé par les deux parties et le
conciliateur. Cet accord aura une valeur contractuelle. Il n'y a donc aucune
voie de recours. L'action en nullité sera la seule contestation
possible.
151. Seule l'homologation du juge d'instance lui donnera
force exécutoire. Le juge a seul le pouvoir de s'assurer de la
qualité de l'accord intervenu entre les parties, et de vérifier
que la convention ne porte aucune atteinte à l'ordre public.
152. En cas de conciliation, l'objet litigieux
disparaîtra et par voie de conséquence éteindra le lien
juridique d'instance. L'accord partiel éteindra le différend sur
cette part, qui sera hors débat, et laissera subsister l'instance pour
le surplus.
S'il remplit les conditions, l'accord pourra aussi prendre la
forme d'une transaction.
153. En cas d'échec de la conciliation, la
procédure contentieuse suit son cours. Seul l'accord, même
partiel, doit faire l'objet d'un constat par le juge.
Il est à noter que les parties doivent se présenter
en personne à la tentative de conciliation.
III. Caractéristiques .
Nous tenterons de déblayer succinctement les
différents aspects procéduraux de la Conciliation : judiciaire ou
non (A), la clause de conciliation (B) et la force exécutoire en
matière de conciliation (C).
A. La Conciliation : soit judiciaire, soit extrajudiciaire.
1) Conciliation judiciaire.
154. Soit c'est une phase de procédure obligatoire,
comme la tentative de conciliation obligatoire devant le Conseil des
Prud'hommes ou en matière de divorce devant le Tribunal de Grande
Instance.
Soit c'est une initiative du juge avec l'accord des parties,
c'est alors une tentative possible de conciliation (article 127 du Nouveau Code
de Procédure Civile).
155. Il y a deux formes de conciliation judiciaire : soit le
juge tente lui-même de la réaliser, soit le juge confie à
une tierce personne cette mission qui restera sous la responsabilité du
juge. Donc le conciliateur peut être une tierce personne, recrutée
spécialement pour la mission, ou le juge lui-même.
156. L'article 21-1° de la loi n° 95-125 du 8
juillet 1995 autorise le juge, quel qu'il soit, à désigner une
tierce personne pour procéder aux tentatives préalables de
conciliation prescrites par la loi, sauf en matière de divorce de
séparation de corps. Ils sont intégrés au monde judiciaire
et sont devenus auxiliaires de justice. C'est pour cette raison qu'ils sont
appelés « conciliateurs de justice » depuis le décret
du 13 décembre 1996.
C'est le décret n° 96-652 du 22 juillet 1996 qui
précise, pour le tribunal d'instance92, que ce tiers ne peut
être qu'un conciliateur remplissant les conditions prévues par le
décret du 20 mars 1978 modifié.
157. Dans le cas d'une conciliation judiciaire, la mission du
conciliateur est simple : elle consiste à remplacer le juge dans son
rôle de conciliateur dans la phase considérée de
l'instance, cette mission lui est confiée expressément par le
juge lui-même.
158. Précisons que l'initiative de la conciliation ne
provient pas nécessairement du juge. Elle peut très bien
être due aux parties elles-mêmes ou pas leurs représentants.
L'article 127 précise clairement que les parties peuvent se concilier
d'elle-même.
159. Le juge a la faculté de tenter lui-même la
conciliation en tout lieu et à tout moment d'instance. L'article 128 du
NCPC dispose : « la conciliation est tentée, sauf disposition
particulière, au lieu et au moment que le juge estime favorables
».
160. Il n'est pas question pour le juge d'imposer une
conciliation. Elle ne peut être que tentée puisqu'elle implique
l'accord des parties. Pour le juge c'est une simple faculté, il n'est
pas obligé d'y recourir. Il est souverain en la matière.
92 Article 831 du Nouveau Code de Procédure
Civile.
161. Cette conciliation judiciaire, telle qu'elle est
réglée par les articles 127 à 131 du Nouveau Code de
procédure civile, est un contrat judiciaire.
Le contrat judiciaire est un contrat conclu par les parties
devant le juge pendant le procès sur une question litigieuse.
2) Conciliation extrajudiciaire, avant tout procès.
162. Il est loisible, par exemple, aux parties de
prévoir une clause de conciliation dans leur contrat afin de
régler les conflits ultérieurs éventuels. La conciliation
se réalise, ici, en dehors de tout procès.
163. Les parties peuvent se concilier d'elle-même. Elles
sont libres. Elles peuvent agir sans intermédiaires ou par
l'intermédiaire de leurs conseils : le plus souvent, cette conciliation
se traduira par une transaction.
La mission du conciliateur dans ce cadre n'est plus de remplacer
le juge, mais comme dans le cas d'une conciliation judiciaire, il tente de
rapprocher les parties.
La saisine du conciliateur ne nécessite aucune
procédure particulière.
3) Synthèse : intervention du conciliateur de justice dans
trois situations distinctes.
164. - Sur saisine directe des parties avant tout procès
et aux fins de concilier les
parties.
- Sur délégation du juge d'instance qui lui
délègue son pouvoir de conciliation et
là encore avant toute procédure.
- Enfin sur délégation du juge, le conciliateur
peut être désigné en qualité de
médiateur lorsque l'instance est en cours.
165. La conciliation, qu'elle soit judiciaire ou extrajudiciaire,
partielle ou totale, suppose bien un accord de volontés93.
166. Puisque le recours à la tentative de conciliation est
une faculté, on n'a pas à constater son échec. En cas
d'échec la procédure suit son cours, elle n'a d'ailleurs pas
été interrompue.
Seule la réussite mérite d'être
constatée, qu'elle soit partielle ou totale, dans un procès
verbal94.
B. La clause de conciliation .
167. Les parties ont pu inclure dans le contrat une clause de
conciliation préalable. Par cette clause les parties prévoient
qu'en cas de différend elles devront tenter de se concilier avant de
saisir un juge. Cette clause fait naître des obligations contractuelles
mais elle a avant tout une efficacité procédurale plutôt
que contractuelle95.
93 V. Estoup, Pratique de la conciliation, D. 1986,
chron. p. 161. Ruellan, Médiation, conciliation : JCP G 1999, I, 135.
94 Article 130 du Nouveau Code de Procédure
Civile.
95 X. Lagarde, « L'efficacité des
clauses de conciliation ou de médiation », Revue Arbitrage,
2000, n°3.
168. En effet, si un tribunal est saisi au mépris de
cette clause, c'est-à-dire avant tout tentative de conciliation, la Cour
de Cassation considère que l'inobservation de la clause ne constitue pas
un vice de compétence mais une fin de non recevoir qui s'impose au juge
uniquement si les parties l'invoquent96. Le tribunal saisi avant
tentative de conciliation, ne sera pas déclaré
incompétent.
169. La fin de non-recevoir qui peut être
soulevée en tout état de cause, le cours de la prescription est
suspendu le temps de la tentative de conciliation et il faudra constater une
impossibilité de se concilier avant de saisir le juge.
C. Conciliation et force exécutoire.
170. Les parties peuvent exprimer leur accord dans un acte
authentique devant notaire, ou dans un simple acte sous seing privé.
Elles ont la possibilité de demander au juge de donner
force exécutoire à cet acte. « Il appartient au juge de
donner force exécutoire à l'acte constatant l'accord des parties,
que celui- ci intervienne devant lui ou ait été conclu hors sa
présence »97.
171. En cas de conciliation judiciaire, la conciliation est
formalisée dans un procès-verbal. Selon l'article 131 du Nouveau
Code de Procédure Civile, des extraits du procès-verbal
constatant la conciliation devant le juge peuvent être
délivrés et valent titre exécutoire. Si les engagements
pris n'étaient pas respectés, l'autre partie pourrait en vertu du
titre procéder à une mesure d'exécution sans avoir besoin
d'obtenir un jugement sur ces points98.
172. L'acte du juge est un simple constat destiné
à formaliser l'accord dont le fondement exclusif reste la volonté
des parties. Elle n'a donc pas de valeur juridictionnelle et n'est pas
susceptible de recours99. Le procès-verbal de conciliation
n'a pas à être signifié.
173. La signature du procès-verbal par les parties est
obligatoire pour sa validité100, sauf rares exceptions
jurisprudentielles101. Le juge appose aussi sa signature sur le
procès-verbal.
IV. Le domaine de compétence .
174. On peut procéder à la conciliation pour tous
les litiges liés à des droits dont les intéressés
ont la libre disposition. Sont exclus ceux concernant l'état des
personnes et l'ordre public.
175. Le conciliateur peut être saisi dans de nombreuses
situations comme par exemple le recouvrement des créances, les
problèmes de voisinage, les conflits familiaux, les rapports entre
copropriétaires, les rapports entre bailleurs et locataires, les
rapports entre commerçants
96 Chambre mixte Cour de Cassation, 14 février
2003, Procédure, 2003, n°93.
97 Article 384, dernier alinéa, du Nouveau Code
de Procédure Civile.
98 Edition du Juris-Classeur, procédure civile,
fascicule 160, p.13.
99 Cass. 3è civ., 10 juillet 1991 : Bull. civ.
III, n°208.
100 Article 130 du Nouveau Code de Procédure Civile.
101 Tribunal de commerce de Châlons-sur-Marne, 1 juin 1978,
Gaz. Pal. 1978, 1, jurispr. P.555, note P. Decheix.
et consommateurs. D'une façon générale, il
est compétent pour toutes les difficultés d'exécution des
contrats.
Leur compétence territoriale est cantonale.
176. Dans cette section les acteurs de la conciliation, les
conciliateurs, ont volontairement été mis de côté
afin de pouvoir leur consacrer un développement conséquent et
complet dans la seconde section qui suit.
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