Section IIIème : La Transaction :
108. « De tous les moyens pour mettre fin à
des rapports conflictuels entre les hommes... Le plus heureux dans tous ses
effets est la transaction : ce contrat par lequel sont terminées des
contestations existantes ou par lequel on prévient des contestations
à naître »67.
109. Le Mode Alternatif de Règlement des Conflits qui
répond réellement à la négociation des litiges
maîtrisés par les justiciables est la Transaction.
Principalement par la nécessité pour sa
validité de faire des concessions réciproques par les
contractants.
110. En droit locatif cependant, ce MARC n'est pas le mode le
plus usité. Il n'est pas précisément choisi par les
parties. En fait il intervient généralement une fois que la
saisine d'un autre mode alternatif a abouti à un accord.
La transaction renforce cet accord par ses effets particuliers :
« l'autorité de la chose transigée ».
111. Nombreux sont les dossiers dont la résolution est
survenue suite à l'intervention d'un médiateur ou d'un
conciliateur qui aboutissent à un «accord transactionnel ».
Nombreux aussi sont les dossiers qui après l'intervention de ces
mêmes modes alternatifs, dans lesquels les parties, qui réalisent
la nécessité de s'entendre, saisissent un huissier, un avocat ou
un notaire en vue d'une transaction dont la rédaction implique une
réelle connaissance juridique.
112. Une présentation de ce mode au titre de ses textes
et ses mécanismes sera faite dans un premier temps (I), puis sera suivi
d'un développement sur son influence en droit locatif (II).
I. Présentation.
113. La transaction est un contrat nommé. Ce contrat
figure depuis 1804 au titre XV du livre III du Code civil. C'est un petit
contrat qui a pris de l'ampleur, témoignant ainsi d'un refoulement
croissant du juge étatique.
114. La transaction, par opposition aux modes volontaires
unilatéraux de solution du litige, est une solution
conventionnelle obtenue par accord des parties en cause. Certains
auteurs assimilent parfois conciliation et transaction. En
réalité, si la transaction est une qualification du droit des
contrats, la conciliation est une qualification du droit
judiciaire68.
C'est une technique de règlement des litiges
particulièrement développée en droit du travail et dans le
cadre d'indemnisation de certains préjudices.
67 Bigot De Preameneu, rédacteur du Code
civil.
68 L. Cadiet, « Droit judiciaire privé
», Litec 2000, n°924.
A. Définition .
115. Du latin transactio, de transigere :
transiger.
En droit des obligations, la transaction est un contrat
nommé qui fait l'objet d'un titre entier du livre III du Code
civil69.
La transaction est « un contrat par lequel les parties
à un litige, déjà porté devant un tribunal ou
seulement né entre elles, y mettent fin à l'amiable en se faisant
des concessions réciproques »70.
B. Spécificités .
1) Maîtrise de la transaction par les parties.
116. Contrairement aux autres modes alternatifs de
règlement des conflits, la transaction ne nécessite pas
l'intervention d'un tiers spécialisé de l'alternatif. C'est une
solution élaborée, en vue de satisfaire les intérêts
des parties, par les parties.
Une intervention de tiers peut intervenir puisqu'une
médiation ou une conciliation peut aboutir à une transaction, il
suffira pour cela de remplir les conditions légales et
jurisprudentielles de validité de la Transaction.
117. La Transaction est un acte de disposition. D'où
la nécessité d'avoir la capacité et le pouvoir de disposer
des éléments contenus dans la transaction. L'approbation du
conseil de famille est nécessaire pour un incapable en tutelle et tout
mandataire doit être muni d'un pouvoir spécial.
118. La transaction est un contrat, plus
précisément un contrat synallagmatique. Il a un objet bien
précis : mettre fin à un litige né ou à
naître.
Cependant, cette définition légale est devenue
insuffisante au fil du temps. Elle a été complétée
par la jurisprudence : « la transaction est un contrat par lequel les
parties terminent des contestations nées ou à naître en ce
consentant des concessions réciproques »71.
2) Exigences de concessions réciproques.
119. La Cour de Cassation subordonne la qualification de
transaction à l'existence de concessions réciproques ;
Jurisprudence constante72.
69 Articles 2044 à 2058 du Code civil.
70 G. Cornu, « Vocabulaire juridique
», association Henri Capitant, édition Puf.
71
Cass. Com., 22 novembre 1988, Bull. civ.
IV, n°320.
72 Cass. Civ., 3 janvier 1883 : DP 1883, 1, p.457.
Cass. Civ., 13 mars 1922 : DP 1925, 1, p.139 ainsi que les nombreux
arrêts de la chambre sociale de la Cour de Cassation dont : Cass. Soc.,
29 mai 1996 : Dr soc. 1996, p.689.
120. La jurisprudence a précisé le contenu de
ces concessions. L'objet de la renonciation de chacune des parties est large,
elle peut en effet porter sur des droits, des prétentions ou des
actions.
Faire des concessions signifie classiquement que l'on
abandonne une partie de ses prétentions initiales. Si les juges veillent
à ce que les concessions soient vraiment réciproques,
l'importance de la concession n'est pas le critère déterminant et
les juges n'en tiennent pas compte.
121. Selon certains, la réciprocité des
concessions est une notion dépassée et seule importe le
caractère concerté de renoncement73.
122. La transaction suppose, outre un accord de
volonté émanant de personnes capables, des concessions mutuelles
et une certaine réciprocité des sacrifices, sans qu'il soit
nécessaire d'ailleurs que ces sacrifices soient d'égale valeur.
La lésion n'est pas en la matière une cause de
récision.
Toutefois, il n'y a pas de concessions réciproques si une
partie abandonne ses droits pour une contrepartie si faible qu'elle est
pratiquement nulle74.
123. En revanche, une transaction peut toujours être
annulée pour dol ou violence. Elle peut l'être également si
elle a été conclue au vu d'une pièce reconnue
fausse75 ou si aucune concession n'a été faite par
l'une des parties76.
La transaction ne peut cependant être attaquée pour
cause d'erreur de droit ou de lésion ; article 2052 du Code civil. Mais
elle peut l'être pour erreur sur la personne.
124. L'appréciation judiciaire des concessions
réciproques est cependant délicate puisque les juges ne
procèdent pas à une homologation de la transaction.
Ils ne peuvent déterminer le caractère
réel ou non des concessions réciproques contenues dans la
transaction en requalifiant les faits, cela porterait atteinte à
l'autorité de la chose jugée attachée à la
transaction77. Ils ne peuvent pas non plus examiner les
éléments de fait ou de preuve pour déterminer le
bien-fondé de la solution du litige78.
3) Nécessité d'un écrit.
125. L'alinéa 2 de l'article 2044 du Code civil
précise que le contrat de transaction doit être
rédigé par écrit.
En droit le principe en matière contractuelle est le
consensualisme, l'écrit n'est pas exigé pour la validité
du contrat de transaction mais en tant que règle
probatoire79. Cette exigence ne concerne que la preuve. La preuve
peut être apportée selon les règles du droit commun en
matière de contrats.
73 X. Lagarde, « Transaction et ordre public
», Chroniques Dalloz, 2000, p.217.
74 Cass. 1ère civ., 4 mai 1976 :
Bull. civ. I, n°157 ; JCP 1976, IV, 209. CA Toulouse, 4 sept. 1998 : RJS
1999, n°33 0.
75 Article 2055 du Code civil.
76 CA Paris, 21è ch., 9 juin 1992 : Juris-Data
n°1992-021660.
77 Cass. soc., 21 mai 1997 : JCP G 1997, II, 22926,
note F. Taquet.
78 Cass. soc., 24 octobre 2000 : Dr soc. 2001,
p.27.
79 Cass. 1ère civ., 18 mars 1986,
Bull. civ. I n° 74.
II. Ordre public .
126. On ne peut transiger que sur des droits disponibles. La
transaction est interdite pour tout ce qui concerne l'état des personnes
et plus généralement à tout ce qui touche à l'Ordre
public. On ne peut transiger sur des droits hors commerce au sens de l'article
1128 du Code civil. L'ordre public peut s'opposer à l'efficacité
de la transaction.
127. La transaction n'est pas possible en certaines
matières, notamment en matière d'état des personnes.
L'accord sera illicite s'il nécessite la renonciation à des
droits que l'ordre public rend indisponibles.
D'une part, la transaction ne peut écarter, ni
modifier, un droit d'ordre public car il est impossible de renoncer par
avance à un tel droit. Bien sûr, quand toutes ces
conditions de droit sont réunies : une transaction est possible sur son
exécution, c'est-à-dire une fois que le droit est acquis, devenu
disponible.
D'autre part, la transaction ne peut sauver un acte
affecté d'une cause de nullité d'ordre public à moins
qu'elle ne le fasse disparaître.
128. Il est important de rappeler la règle suivante :
La seule présence d'une règle impérative applicable
à la matière litigieuse ne suffit pas pour interdire aux parties
le recours à la transaction.
La Cour de Cassation admet avec une certaine constance que la
validité de la transaction intervenue dans une matière d'ordre
public dépend de la connaissance que les parties avaient des droits
acquis auxquelles elles ont renoncé80.
Certains droits acquis ne peuvent cependant faire l'objet, selon
la Cour de Cassation, d'aucune transaction : tel que le droit à une
pension alimentaire.
129. La Cour de Cassation reconnaît aux parties la
faculté de stipuler librement, pourvu qu'elles ne méconnaissent
pas dans leur principe les droits consacrés par des dispositions
impératives.
En matière de bail rural, législation d'ordre
public protectrice, il a été fait état d'un arrêt
admettant la validité d'un bail transactionnel incluant un loyer
exclusif une révision triennale81. On peut également
citer un arrêt validant une clause de location provisoire contraire aux
règles du fermage82.
Ces exemples jurisprudentiels sont anciens, aujourd'hui la
jurisprudence semble défavorable aux renonciations des dispositions
protectrices d'ordre public.
130. Pour autant l'application du statut protecteur n'est pas
nécessairement satisfaisante, elle ne concorde pas toujours avec les
intérêts de la partie à protéger. Une nouvelle fois
on peut constater que la qualité d'Ordre public de la législation
peut préjudicier à la négociation amiable. Elle est toute
fois nécessaire car l'Ordre public agit tel un garde fou et maintien un
équilibre dans les relations bailleurs-locataires.
80 Cass. soc., 16 novembre 1961, Bull. civ. IV,
n°949; Cass. 2è civ., 10 mai 1991, Bull. civ. II, n°140.
81 X. Lagarde, « Transaction et ordre public
», Chroniques Dalloz, 2000, p.223 : Cass. soc., 19 octobre. 1967.
82 Cass. soc., 16 novembre 1961, Bull. civ. IV,
n°949.
131. Ainsi la protection peut intervenir en matière
d'expulsion : la Cour de Cassation estime qu'une transaction homologuée
ne peut servir de titres à une expulsion car elle ne constitue aucun des
deux titres exécutoires limitativement énumérés par
l'article 61 de la loi du 9 juillet 1991 sur les procédures civiles
d'exécution83.
III. Effets .
A. « Autorité de la chose transigée »
.
132. La transaction remplace le jugement et en produit les
effets. La transaction, rédigée par écrit et signée
des parties, éteint le litige. Toute autre action relative au litige
tranché par la transaction devient irrecevable. Cette exception
d'irrecevabilité s'impose au juge et à l'arbitre.
Si la transaction intervient en cours d'instance judiciaire,
le juge est dessaisi du litige quel que soit le stade de la procédure.
Cet effet extinctif de la procédure par la transaction ne concerne
toutefois que les seuls droits qui ont été expressément
compris dans la transaction.
133. En vertu de l'article 2052 du Code civil, la transaction
a « autorité de la chose jugée en dernier ressort » et
met fin irrémédiablement à toute contestation. On parle
« d'autorité de chose transigée ».
134. Ici, l'adage « mieux vaut un mauvais arrangement
qu'un bon procès » prend tout son sens. À la
différence de la chose jugée, la chose transigée est
nécessairement une chose acceptée84.
B. Recours .
135. « Autorité de la chose jugée en
dernier ressort » : Cette expression n'est pas sans ambiguïté
car elle semble ouvrir la voie à un pourvoi en cassation. Or la
transaction n'est susceptible d'aucune voie de recours : elle
est irrévocable.
136. La seule action qui pourrait être envisagée
serait une nullité contractuelle, pour vice de
consentement :
« Une transaction peut être rescindée,
lorsqu'il y a erreur dans la personne ou sur l'objet de la contestation. Elle
peut l'être dans tous les cas où il y a dol ou violence
»85.
137. Vis-à-vis des tiers, la transaction n'a en
principe aucun effet. Cela reste une relation contractuelle entre les parties
au contrat, que l'on peut opposer aux tiers et qu'ils peuvent invoquer.
83 Cass. Avis, fin octobre 2000, JCP G 2001, II, 10479, note Y.
Desdevises.
84 Sur l'acceptabilité des décisions de
justice comme critère de leur légitimité, voir
réflexion critique sur le droit de la preuve, LGDJ, 1994, n°4 s.
85 Article 2053 du Code civil.
C. L'exequatur.
138. Concernant la force exécutoire d'une transaction
: L'article 30 du décret du 28 décembre 1998, créé
un article 1441-4 dans le Nouveau Code de Procédure Civile qui donne au
Président du tribunal de grande instance le pouvoir de conférer
force exécutoire à un acte de la transaction qui lui
présenté.
Le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation sur la
transaction, il vérifie uniquement l'existence de concessions
réciproques86.
139. Il est saisi sur requête par une partie à la
transaction et non avec l'accord des deux parties. C'est une procédure
non-contradictoire.
La décision, du Président du tribunal de grande
instance, est un acte judiciaire non juridictionnel et la transaction
revêtue de la force exécutoire est un contrat qui développe
les effets d'un jugement. Sa nature contractuelle exclue toute voie de recours
mais son exécution est revêtue de la force exécutoire.
140. En principe la partie non demanderesse a la
possibilité de présenter un
référé-rétractation devant le président du
tribunal de grande instance contre son ordonnance, par le biais d'une
assignation en référé qui n'interrompt pas
l'exécution. C'est une procédure particulière contre la
décision du juge et contre l'exequatur, et non contre la Transaction
elle-même.
141. Les parties ont la faculté de contracter une
transaction dans des matières d'ordre public, sous réserve de
soumettre leur accord à « l'homologation d'un juge
»87.
Cette homologation n'en est cependant pas une, puisque le
juge en matière de transaction n'a pas ce pouvoir : son intervention a
pour seul objectif d'attribuer « l'exequatur »88. Certains
auteurs interprètent cette apposition de la formule exécutoire
comme un pouvoir conférant au juge la possibilité de
vérifier la conformité de la transaction à l'ordre
public89.
La question, du contrôle du juge en matière de
transaction, n'est pas close.
IV. Transaction et litiges locatifs .
142. La transaction présente des avantages majeurs :
simplicité, rapidité, discrétion, économie
financière d'où l'adage : « qu'une mauvaise transaction vaut
mieux qu'un bon procès ».
Cependant la transaction n'est pas toujours le mode le plus
adéquat. C'est une technique qui, si elle n'est pas convenablement
utilisée, est un remède pire que le mal. En raison de son aspect
irréversible.
143. C'est un contrat que l'on pourrait qualifier de parfait,
mais qui est lourd de formalisme. Ce qui entraîne en fin de compte une
judiciarisation du litige, alors même que le but originel était
justement d'éviter le recours au juge.
86 R. Perrot, « L'homologation des
transactions », Nouveau Code de Procédure Civile art.1441-4,
Procédure édition jurisclasseur, août septembre 1999, page
3 à 4.
87 X. Lagarde, « Transaction et ordre public
», Chroniques Dalloz, 2000, p.221.
88 Article 144 1-4 du Nouveau Code de Procédure
Civile.
89 S. Guinchard, Nouveau code de procédure
civile, Mégacode, p.950, n°6.
Pour cette raison même si la Transaction intervient en
matière de droit locatif il est très rarement choisi par les
justiciables, d'ailleurs c'est généralement le cas en droit de la
consommation. Comme il l'a été précisé
antérieurement, la Transaction intervient en principe après
l'utilisation d'un autre mode alternatif.
Cependant ce mode étant exclusivement contractuel et ne
nécessitant pas l'intervention d'acteur particulier, il est très
difficile d'appréhender l'étendue de son utilisation par les
justiciables. Les seules données que l'on peut étudier sont
celles des tribunaux qui généralement ne reflètent que la
partie négative du droit ; la partie contentieuse.
144. En pratique, dans l'exercice des fonctions de
médiateur du droit du logement et du juriste la Transaction est
très rarement usitée. Son lourd formalisme mais surtout son
aspect irrévocable rend ce MARC peu propice à l'amiable au droit
locatif ainsi d'ailleurs que du droit de la consommation.
145. En matière de résolution amiable des litiges
locatifs sont préférées la médiation et la
conciliation.
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