3.3. Le développement cognitif et le conflit
socio-cognitif
3.3.1. Le conflit socio-cognitif et le marquage
social
Les études sur le conflit socio-cognitif se sont
développées à partir des travaux réalisés
par Doise, Mugny et Perret-Clermont en 1975. Doise explique le lien entre
l'élaboration de nouvelles réponses cognitives et le conflit
socio-cognitif à partir du concept de marquage social. Le marquage
social définit toute situation socio-cognitive où une
correspondance existe « entre la nature des relations qui sont
établies ou s'établissent entre des partenaires sociaux, et la
nature des relations cognitives impliquées dans la tâche qui
médiatise la relation entre ces partenaires. Dans certaines
conditions, ces correspondances peuvent favoriser l'élaboration
cognitive, notamment lorsqu'il existe entre elles une isomorphie
saillante.» (1997, p.121) Le mécanisme par lequel le marquage
social assure l'élaboration de nouvelles réponses cognitives est
le conflit socio-cognitif.
Par exemple, la situation expérimentale sur la
conservation de la longueur utilisée par Doise répond à
cette isomorphie. Dans cette situation expérimentale, on attribue deux
bracelets de grandeurs différentes à l'adulte et à
l'enfant. L'adulte reçoit un grand bracelet alors que l'enfant
reçoit un bracelet plus petit. Il existe donc une correspondance entre
les relations sociales (plus grand et plus petit) et la notion intellectuelle
de conservation des longueurs. Pour faire émerger un conflit
socio-cognitif, l'adulte s'oppose aux propositions de l'enfant. Dans la
condition témoin, les bracelets sont attribués de la même
manière, mais à des cylindres en papier. Il n'y a donc pas de
marquage social dans cette situation. L'apprentissage s'est avéré
plus efficace dans la condition avec marquage social.
3.3.2. Les compétences préalables au
conflit socio-cognitif
S'il peut favoriser des progrès cognitifs, le conflit
socio-cognitif nécessite tout de même certains pré-requis,
tant au niveau social que cognitif, pour être efficace.
Le conflit socio-cognitif est une situation d'interaction.
Comme tel, il implique divers savoirs et savoir-faire du registre de la
communication et notamment la capacité à appréhender les
états mentaux de son partenaire. De telles compétences peuvent
jouer un rôle important dans des situations d'apprentissage en
collaboration. C'est dans ce contexte que Gilly, Roux et Trognon
affirment : «Les situations d'interaction socio-cognitives, comme
toute situation de communication, s'organisent à partir du partage de la
négociation de signification», (1999, p. 22). Les significations
concernant les diverses composantes de la situation, les aspects sociaux mais
également les aspects cognitifs, comme la représentation du but
de la tâche ou les moyens à mettre en oeuvre pour la
résoudre, se co-construisent. En effet, chaque enfant construit sa
propre représentation de la situation. Cette dernière
évolue au fur et à mesure des échanges. Ainsi, les
partenaires parviennent progressivement à une représentation
commune et partagée par une négociation de la signification de la
situation. Dans ce cadre, les connaissances résultent d'une construction
intersubjective. Cette dernière ne paraît possible que si le
sujet repère le point de vue de son partenaire. C'est pourquoi
l'intersubjectivité, la compréhension des états mentaux
d'autrui, peuvent être considérés comme des
préalables au conflit socio-cognitif. Mais la subjectivité
intervient à de multiples reprises dans cette situation et ne se limite
pas à la compréhension des états mentaux d'autrui dans la
construction d'une représentation commune du problème. En
réalité, il est nécessaire de se représenter les
difficultés éprouvées par son partenaire, sa
représentation de la situation, ses connaissances et ses intentions, ses
croyances quant à la signification de la consigne pour s'engager dans la
négociation ou pour proposer de l'aide. Par exemple, proposer de l'aide
à un partenaire alors qu'il n'en ressent pas le besoin risque
d'être mal perçu. Ainsi, le conflit socio-cognitif fait intervenir
les compétences en théorie de l'esprit à différents
niveaux.
Pour traduire ces états émotionnels mais
également cognitifs, les comportements non-verbaux sont utilisés
comme indices. C'est à partir de ceux-ci que les enfants émettent
des inférences sur autrui dans le cadre des situations de
co-résolution de problème. Produire des inférences
pertinentes peut leur permettre de mieux s'adapter à leur partenaire
(Gauducheau et Lusinier, 2004).
|