Sami Ben Slama
LA PROTECTION DU DOMAINE PUBLIC
MARITIME EN TUNISIE
INTRODUCTION GENERALE
la protection du domaine public maritime connait actuellement
un certain regain d'intérêt à cause essentiellement des
conséquences désastreuses de l'implantation industrielle, de
l'exploitation effrénée et d'une forte attirance d'un public sans
cesse croissant pour le littoral, la mer et les loisirs qui s'y attachent. Mais
une telle protection connait des difficultés qui proviennent
principalement de la prise en considération de préoccupations
souvent contradictoires, entre l'intérêt général et
des intérêts particuliers, entre industriels, pêcheurs et
plaisanciers, entre protection du littoral et développement des
activités liées à la mer.... c'est un enjeu délicat
dont dépend l'efficacité de la protection du littoral et du
domaine public maritime
Le domaine public maritime qu'il soit naturel ou artificiel
fait partie du domaine public de l'Etat.
Le domaine public est l'ensemble des biens des
collectivités publiques et des établissements publics qui sont
soit mis à la disposition directe du public, soit, par leur nature ou
par des aménagements particuliers, adaptés exclusivement ou
essentiellement à la fonction spécifique des services publics.
La notion de domaine public maritime est une notion complexe.
Elle comprend plusieurs termes, le premier « domaine » signifie
l'ensemble des biens qui sont publics, puisque appartenant à une ou des
personnes publiques.
Le second « public », signifie que ce bien
n'appartient pas à des personnes privées, c'est un bien qui
appartient à tous et qui peut être utilisé par tous.
Le troisième « maritime » signifie qu'il est
situé à proximité de la mer ou implanté dans
l'intérêt de la navigation maritime.
Le domaine public maritime est donc composé de
l'ensemble des biens publics appartenant aux personnes publiques, qui sont
affectés à l'usage du public, et qui sont situés à
proximité de la mer ou implantés dans l'intérêt de
la navigation maritime, qu'ils soient naturels ou artificiels1.
1 Ben Cheikh Ahmed-Dellagi H. : « Le domaine public maritime
», Mémoire DEA, FDSPT, 1995-1996, p.4 et s.
Il a été admis que le littoral est un espace
plus large que le domaine public maritime, il a été défini
par la loi n° 95-72 du 24 juillet 1995, portant création de
l'A.P.A.L dans son article 1er comme étant « la zone de contact qui
concrétise la relation écologique, naturelle et biologique entre
la terre et la mer et leur interaction directe et indirecte ».
Quant au rivage, il est conçu comme le
point de rencontre entre le littoral et le domaine public maritime, c'est la
partie alternativement couverte par les marées, les lais et les relais
de la mer et les dunes. Il constitue à la fois une partie du domaine
public maritime naturel et une partie du littoral2.
La côte, est une notion moins large que celle de domaine
public maritime, c'est un point de contact entre la terre et la mer, qui borde
le continent, c'est une frontière entre le littoral et le domaine public
maritime. C'est une ligne longitudinale qui suit la configuration de la zone
maritimo-terrestre.
Dans le droit français, le domaine public maritime
comprend les rivages de la mer et les étangs salés. La mer
territoriale n'est pas considérée comme faisant partie du domaine
public; elle est seulement soumise au pouvoir de police de l'Etat riverain.
Cependant, une jurisprudence récente incorpore au domaine le sol et le
sous-sol des eaux territoriales et les terrains qui sont artificiellement
soustraits à l'action des flots.
La notion de domaine public maritime est très ancienne
et l'intérêt accordé à sa préservation et
à la prévention des dégradations de ses composantes n'est
pas nouveau3.
En Tunisie, le décret beylical du 24 septembre 1885
relatif au domaine public dans son art. 1er a adopté une
conception étroite des composantes du domaine public maritime
constitué des « rivages de la mer et les lacs jusqu'aux plus hautes
eaux, les rades, ports et leurs dépendances »
Le domaine public maritime se limitait à une ligne de
contact entre la terre et la mer, qui dépendait des « caprices des
flots », et qui était convoitée par les différentes
initiatives des usagers4.
2 Op. cit., p. 7.
3 Hostiou R. : « Le domaine public maritime naturel »,
C.J.E.G, juin 1993, p. 306 et s.
4 Moussa S. : « La protection de l'environnement sur le
domaine public maritime », A.J.T 1997, p.103.
Dans la loi n° 95-73 relative au domaine public maritime,
on remarque par contre, une délimitation extensive des composantes du
domaine public maritime.
Le domaine public maritime naturel englobant, du
côté de la mer, les eaux internes, les eaux territoriales, le sol
et le sous-sol du plateau continental, tels que ces espaces sont
délimités par les textes et les accords bilatéraux
concernant les limites du territoire maritime tunisien, la zone de pêche
exclusive et la zone économique exclusive5.
Les eaux internes, telles que délimitées par le
décret n° 73- 527 du 3 novembre 19736 font depuis lors
partie intégrante du domaine public maritime suivant un principe admis
en droit de la mer, selon lequel ces espaces sont soumis au même statut
que celui des rivages.
Du côté de la terre, le domaine public maritime
naturel englobe les rivages de la mer, constitués par le littoral,
alternativement couvert et découvert par les plus hautes et les plus
basses eaux de la mer et par les terrains formés par les lais et les
relais ainsi que par les dunes situées dans la proximité
immédiate de ces terrains, sous réserve des dispositions du code
forestier. Il comprend aussi les lacs, étangs et sebkhas en
communication naturelle et en surface avec la mer.
Cette délimitation prend en considération les
caractéristiques écologiques de la zone
littorale qui est perçue comme une « bande » séparant
la mer de la terre, et non plus comme une ligne difficilement perceptible et
dépendante des caprices des flots7.
C'est désormais une « entité
géographique qui appelle une politique spécifique
d'aménagement, de protection et de mise en valeur »8 et
qui est définie comme étant la zone de contact qui
concrétise la relation écologique naturelle et biologique entre
la terre et la mer et leur interaction directe et indirecte.
5 Loi n° 95-73 relative au domaine public maritime,
art.2.
6 Pris en application de la loi n° 73-49 du 2 août
1973, portant délimitation des eaux territoriales tunisiennes.
7 Moussa S., op. cit., p. 110.
8 Loi du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement,
la protection et la mise en valeur du littoral, art. 1er, JORF, 4
janvier 1986, p. 200 et s.
Le littoral comprend ainsi, d'une part, les composantes
naturelles du domaine public maritime et, d'autre part, des « zones
intérieures dans des limites variables selon le degré
d'interaction climatique, naturelle et humaine entre elles et la mer, tels que
les forêts littorales, les estuaires, les caps marins et les zones
humides littorales »9.
Le littoral est un espace rare, dans lequel la densité
de la population est supérieure à la moyenne nationale.
C'est aussi un espace fragile en raison de la pression
croissante qui s'exerce sur lui, il est particulièrement sensible aux
risques de dégradation et de pollution.
C'est en même temps un espace de plus en plus
convoité pour l'exercice d'activités très diverses et
souvent concurrentes, en effet, le littoral dont le domaine public maritime est
un champ d'activités très diverses, c'est un espace de travail et
de production et aussi de repos et de loisirs.
Le dénominateur commun entre ces activités reste
sans doute leur participation à la « consommation » du domaine
public maritime pour alimenter les autres domaines de l'activité.
Cette situation est d'un grand impact sur l'environnement du
littoral, mais, comme les priorités économiques ont toujours
primé sur les considérations environnementales, le
résultat a été une littoralisation sans cesse croissante
de l'organisation spatiale de l'économie nationale10.
Le domaine public maritime est d'une importance vitale, c'est
un patrimoine de la nation11, idée qui ne semble pas
être partagée par tous, la conscience de son importance, de
l'urgence et de la nécessité de le protéger et de l
`entretenir n'étant pas assez développées.
Le législateur a chargé principalement l'Etat de
sa protection. Toutefois, on constate que certaines associations
écologiques jouent un rôle assez positif malgré le peu de
ressources dont elles disposent.
9 V. art. 1er de la loi n° 95-72 du 24 juillet
1995 portant création d'une agence de protection et d'aménagement
du littoral.
10 Belhédi A. : « L'organisation de l'espace en
Tunisie », publication de la fac. Des sciences sociales et humaines de
Tunis, 1992, p.107-181.
11 Concept reconnu du droit de l'environnement en France,
où la législation reconnaît, s'agissant des sols, le
concept de patrimoine commun de la nation, qui implique notamment la
faculté, pour le conservatoire du littoral d'exproprier en vue d'assurer
la sauvegarde des sites naturels et le respect de l'équilibre
écologique.
Historiquement cette protection était inefficace
malgré l'existence d'un cadre réglementaire12. L'Etat
a développé cette entreprise de protection par la
délimitation du domaine public maritime, entreprise qui nécessite
un enrichissement par la promotion de son infrastructure et par la mise en
oeuvre de mesures de protection plus efficaces.
En effet, indépendamment des règles
générales de protection des biens domaniaux, certaines
dépendances du domaine public bénéficient, en outre, de
règles de protection particulières.
C'est la raison pour laquelle des mesures spécifiques
doivent être adoptées pour assurer la protection des
dépendances du domaine public maritime13.
Ces mesures concernent d'une part un domaine assez
élargi (partie I) et tendent, d'une d'autre part, à utiliser des
méthodes de protection particulières (partie II).
12 Décret Beylical du 24 septembre 1885 relatif au domaine
public.
Décret Beylical du 25 juillet 1897, portant sur la police
de conservation du domaine public.
Décret Beylical du 18 août1926, réglementant
la police et la conservation du domaine public maritime.
13 Becet J.-M. : « Vers une véritable politique
d'urbanisme littoral », AJDA 20 mai 1993, n° spécial, p.1 16.
Caldéraro N. : « Droit du littoral », Editions Le Moniteur
1993.
Yousry L. : « La Loi littoral et le juge administratif
», RFDA 1992, p. 272.
|