Approche et évaluation de la notion de pauvreté ; Entre besoins et capacités des personnes, quelles attitudes pour les acteurs du Secours Catholique ?( Télécharger le fichier original )par Claude BOBEY Institut Catholique de Paris - Master II Solidarité et Action Internationales (SAI) 2007 |
2.4. Difficultés et opportunités des indicesLes indices que nous avons évoqués pour mesurer la pauvreté présentent des avantages 44 Nombre évoqué par le préfet de Seine Saint Denis en septembre 2007 lors du départ du préfet à l'égalité des chances. 45 « Même si elle est sous-estimée, la pauvreté a indéniablement régressé depuis le début des années 1970. Cette évolution est particulièrement nette pour les personnes âgées. Leurs ressources se sont, en effet, améliorées, "grâce à la maturité du système de retraite par répartition", souligne le rapport. Résultat : moins de 4 % des retraités étaient pauvres en 2001, contre 30 % trente et un ans auparavant. » Bertrand Bissuel, Le Monde, édition du 10/04/2004. mais aussi des inconvénients. Un de ceux-ci est leur nombre. Lequel retenir ? Cela peut-aussi être une chance pour ne pas normaliser un indice hors de tout contexte comme nous avons pu le voir avec l'IDH-2 et l'IPH-2 ou encore l'ISS et le BIP 40. 2.4.1. Difficultés des indicesPour évaluer toute la difficulté de l'exercice nous citons une étude récente sur la mesure du développement social : « En ce qui concerne l'aide au développement, il ne s'agit plus de 'plaquer' une conception du bien-être axée sur la mise à disposition de biens matériels sans s'intéresser à leur impact effectif sur la vie quotidienne des gens, mais bien de construire avec ces derniers à la fois les indicateurs de leur bien-être et les instruments de son amélioration. »46 2.4.1.1. Indice limité au champ économique Nous l'avons vu lors de l'analyse rapide du PIB. Cette indice se limite au champ économique et à l'intérieur de celui-ci ne considère que certains domaines. Aucune prise en compte du secteur non-marchand, une partie des activités des associations par exemple. Il n'inclut guère les impacts négatifs de la consommation des ressources pour les populations futures. Enfin, cet indice est le même pour tous les pays et les personnes de ces pays. Il ne prend pas en compte les inégalités à l'intérieur d'un pays. L' indice de Gini développé par la Banque Mondiale peut à ce titre être un complément important pour l'analyse47. Cet indice est cependant limité à une vision utilitariste du développement. 2.4.1.2. Indice non reconnu institutionnellement. Si aujourd'hui l'IDH est reconnu, c'est grâce au rapport annuel du PNUD, au prix nobel d'économie d'Amartya Sen. Il acquiert alors une valeur subjective qui le rend crédible et utilisable. Un indice comme le BIP40 n'a pas ce poids même si la transparence de sa mesure ne peut être remis en cause. Un indice a besoin de notoriété pour atteindre le but recherché, la mobilisation en faveur du développement humain, juste et durable. 46 Groupement d'Intérêt Public Santé-Protection Sociale Internationale (GIP SPSI), « mesurer le développement social », avril 2007, p.1 : http://www.gipspsi.org/GIP_FR/content/download/3176/26460/version/1/file/Mesure%20du%20d %C3%A9veloppement%20social.pdf 47 Indice de Gini (mesure de l'inégalité de la répartition des revenus), Source : Banque Mondiale, Human Development Network, http://devdata.worldbank.org/hnpstats/ 2.4.1.3. Indice où chiffres et statistiques sont difficiles à obtenir. Certains indices se basent sur la comparaison territoriale ou spatiale comme l'IDH. D'autres se basent sur la temporalité comme l'ISS ou le BIP40. Ces indices acquiert de la valeur avec des statistiques et des indicateurs qui leur permettent d'avoir une pertinence et d'avoir du sens pour l'action. Dans notre tentative de proposition, certains chiffres sont conjoncturels et auront du mal à être collectés et restés valables sur une période de temps assez longue. Nous pouvons penser à la question des sans-papiers comme problématique conjoncturelle. 2.4.1.4. Indice insistant plus sur les pauvretés d'accès que sur les pauvretés de potentialités. La problématique est ici de retomber dans le travers de l'utilitarisme économique. Nous pouvons à ce niveau rester centrés sur les pauvretés de besoins. Une lecture de l'IDH peut tomber dans ce travers. Nous sommes alors dans la perspective d'une société de droit mais pas forcément de justice. Les personnes ont accès à un capital humain mais n'ont pas forcément d'opportunité de le mettre en oeuvre. Nous pourrions imaginer un pays où l'on a construit des écoles, des hôpitaux, des dispensaires, creusé des puits et des retenues d'eau avec possibilité d'irrigation mais sans prévoir de personnels formés. Les gens ont accès à la santé, l'éducation, l'agriculture mais ne peuvent les mettre en oeuvre. En Seine-Saint-Denis, nous pouvons donner accès et inciter les entreprises à s'établir par des zones franches, des avantages fiscaux. Mais a-t-on prévu le logement des salariés? L'entreprise pourra s'établir mais ne pas trouver de travailleur-cadres pour faire fonctionner l'usine. Les indices doivent prendre en compte une réalité contextuelle complexe et en même temps avoir pour certains d'entre eux une capacité de comparaison territoriale. 2.4.1.5. Indice conçu sans pratique de terrain et sans concertation avec la population concernée. C'est l'écueil de la plupart des indices et de celui que nous avons proposé. Ils sont formulés par ceux qui les utilisent. Cela reste une approche « top-down » alors que l'approche que nous avons voulu développer est une tentative d'associer les personnes dès le début des calculs et du processus. Un exemple est ici important à noter, c'est celui de la Banque Mondiale avec « voices of the poor »48 en l'an 2000 : « Des équipes de la Banque et de 48 « I would like to say that, as far as the Bank is concerned, this listening to the voices [of the poor] and acting on the focus of their remarks is going to be central to our work as we move forward. Both institutionally and as individuals, we have to judge what we are doing vis-à-vis these voices. -- World Bank President James Wolfensohn, September 1999 Address to the Board of Governors certaines organisations non gouvernementales ont recueilli les témoignages de 60 000 pauvres, hommes et femmes, dans 60 pays. »49 Ce travail gigantesque a fait jaillir un élan nouveau à l'intérieur de l'institution pour remettre en cause les principes très centrés sur l'économie afin de lutter contre la pauvreté. Si les résultats de cette étude sur le changement de stratégie de la structure peuvent être discutés, la méthode a le mérite d'être notée. Elle a certainement permis à l'institution de sortir d'une vision uniquement économique de la pauvreté. Sa récente vision centrée sur la lutte contre la corruption peut faire penser que la lutte contre la pauvreté à partir de la parole des pauvres a été laissée pour compte... Nous pouvons avancer que la parole des pauvres a été entendue par la Banque mais que les pauvres n'y ont pas trouvé place. En ce sens, l'écoute de la parole des pauvres, le diagnostic partagé est une étape du processus mais non le sésame de la réussite. 2.4.1.6. Avoir accès à des données locales. L'OCDE propose des indices multiples comme ceux-ci : Niveau moyen de satisfaction de vie et variation de satisfaction de vie des personnes contre PIB par habitant (lien revenu et bien-être), Fréquence de contacts des personnes dans des milieux différents (mesure de sociabilité), Proportion des personnes déclarant être membre actif ou inactif d'une association, par type d'association, suicides pour 100 000 personnes, par groupe d'âge, etc50. Ce type de données seraient propices à des indicateurs locaux pertinents mais les données ne sont pas accessibles au niveau local. Les contextualiser au niveau départemental pourrait être un apport important à la prise de conscience de la valeur subjective de nos regards sur le bien-être mais nous n'avons pas les données. 2.4.1.7. Indice regroupant des chiffres très disparates et nombreux. Dans la plupart des indices, les données sont disparates et ne sont pas forcément de même nature. Comparer la richesse avec le bien-être. L'éducation avec la santé, etc. Ceci peut remettre en cause la pertinence de l'indice concerné comme étant composite et non cohérent. Ceci peut aussi être l'inverse, nous le verrons. Le danger est le nombre d'indicateurs. Ceci peut être le cas du BIP40 qui contient tellement d'indicateurs que le poids de l'un par rapport à l'autre est discutable. Un indicateur du BIP40 peut changer d'une année sur l'autre sans que l'ensemble n'en soit perturbé. Sans une analyse fine des résultats, le changement peut passer à côté de l'interprétation de l'indice. 49 http://www.worldbank.org/html/extdr/am99/jdw-sp/jdwsp-fr.htm 50 http://www.oecd.org/dataoecd/34/13/34542721.xls 2.4.1.8. Choix des calculs et des pondérations. Objectifs et subjectifs, des choix sont à opérer pour la pondération des indicateurs « En effet, la difficulté inhérente aux indices synthétiques tient aux valeurs et aux conventions qui les soutiennent : qu'entend-on par développement, bien-être, santé sociale, progrès social ? Où s'arrêtent les inégalités et où commence la différence ? Quels taux plancher, plafond, et quel mode de pondération retenir ? Toutes ces questions renvoient à des choix subjectifs et à des conventions discutables. Les débats autour du calcul du PIB par habitant ou celui autour de l'indice des prix qui, pour beaucoup, reflète de moins en moins bien l'évolution du niveau de vie, montrent que même les indicateurs économiques « sérieux » reposent sur des conventions et des choix. »51 C'est certainement l'objection majeur. En ce sens, l'indice prend du sens une fois reconnu. Nous avons vu que l'IDH a fait la « gloire » du PNUD ou le PNUD celle de l'IDH. L'ISS a été révélé par la revue Challenge. Les indices se basent sur des données objectives dans la majorité des cas mais leur agrégation et leur appréciation ne le sont pas. |
|