Les méthodes actives dans le système éducatif camerounais : le cas de la NAP dans l'enseignement de la philosophie en classes de terminale à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Blaise HAMENI Université de Rouen - Master II 2005 |
IV.2-RESULTATS DES ENTRETIENSIV.2-1-Synthèse des entretiens avec les Inspecteurs pédagogiques IV.2-1-1-La première question Pouvez-vous nous dire en quoi consiste la NAP ? L'inspecteur A.C répond à cette question en ces termes : « La nouvelle approche pédagogique a précisément pour objectif de rompre avec les méthodes anciennes, c'est-à-dire que la NAP est beaucoup plus participative, c'est l'élève qui devient le centre des préoccupations de l'éducation, on ne focalise plus l'attention sur l'enseignant qui se présentait comme le maître absolu, mais l'élève devient l'acteur principal du système éducatif, donc en réalité ». La NAP se présente d'après l'inspecteur comme la solution que les promoteurs du système éducatif camerounais ont adoptée afin de résoudre les différents problèmes que posent les méthodes traditionnelles, à savoir : l'érudition, le dogmatisme et le manque d'ouverture d'esprit chez l'apprenant. D'après l'inspecteur N.G, la pédagogie par objectif qui doit remplacer dans nos classes les méthodes traditionnelles se justifie par le fait qu'en violation des exigences de la philosophie - qui est débat critique et non révélation dogmatique - et des principes de la saine pédagogie - qui est interaction plutôt qu'unilatérale - l'enseignement philosophique dans nombre de nos classes terminales s'est malheureusement dévoyé pour s'orienter vers une sorte de liturgie de la parole à sens unique. Au lieu d'être, comme il se doit, les animateurs/régulateurs d'une action collective de formation où l'élève se voit confier une part active, de nombreux professeurs - paradoxalement encouragés en cela par des apprenants étonnamment complices de leurs bourreaux - se complaisent dans le rôle en réalité peu enviable de pontifies castrateurs. Adeptes du mandarinat et uniquement soucieux, comme des sophistes, d'érudition et d'éloquence, ils assomment de discours magistraux de pauvres élèves ébahis, offerts en victimes étrangement consentantes à leur « one man show » aussi inefficace que spectaculaire. IV.2-1-2-La deuxième question La NAP procède-t-elle des méthodes actives ou participatives ? Les avis des inspecteurs convergent vers l'idée selon laquelle il existe une interaction entre les méthodes actives et la NAP. L'enfant dans ce cas a la place de choix parce qu'en réalité c'est lui qui est au centre des préoccupations, il devient donc l'acteur et, pour mener à bien son action, il participe. Il y a donc un échange entre l'enseignant et l'enseigné. D'après Madame A.C « on s'est inspiré des méthodes actives pour créer la NAP ». Ainsi, les inspecteurs pédagogiques et les responsables du ministère des enseignements secondaires, pour s'arrimer aux pratiques pédagogiques issues des méthodes actives, ont introduit dans le système éducatif camerounais, la nouvelle approche pédagogique ou l'enseignement par objectif. IV.2-1-3-La troisième question Quelle place la NAP occupe-t-elle dans les programmes de philosophie en terminale ? La NAP d'après les inspecteurs occupe une place de choix dans les programmes de philosophie en terminale. Cette nouvelle approche pédagogique encourage la créativité, suscite la curiosité, les vertus qui grandissent l'élève et lui donnent une ouverture d'esprit. L'élève n'est plus agi, il ne subit plus le cours, il se sent concerné, il participe. IV.2-1-4-La quatrième question Qu'est ce qui a motivé l'adoption de la NAP ? Madame A.C soutient que la NAP a été créée parce qu'on s'est rendu compte que l'ancienne méthode était obsolète au Cameroun et elle ne parvenait pas a de bons résultats, d'où les échecs scolaires. L'inspecteur N.M quant à lui défend l'idée selon laquelle l'adoption de la NAP naît du besoin de trouver une issue salutaire aux dérives engendrées par les méthodes traditionnelles au niveau des apprenants. Ainsi affirme t-il que ces dérives créent chez les élèves non seulement les obstacles pédagogiques que sont la désaffection et la passivité vis-à-vis de la philosophie, mais aussi les mauvaises performances tant décriées à l'occasion des diverses évaluations. Que de fois n'a-t-on entendu des professeurs résignés se plaindre de ces maux devenus presqu'endémiques ? Certains poussent la désespérance au point de confesser, toute honte bue, qu'ils en sont arrivés à renoncer à tout effort d'intéressement de leurs élèves à la chose philosophique, se contentant désormais simplement de « couvrir le programme », c'est-à-dire, en fait, de les assommer de contenus bruts, sans leur faire acquérir le moindre savoir-faire. Comme si le désintérêt des apprenants participait de je ne sais quelle fatalité ! Comme si la passivité et les piètres performances de ces derniers n'étaient pas, précisément, des effets pervers d'une certaine manière d'enseigner la philosophie. Ainsi, la nouvelle approche revêt un grand intérêt pour le professeur de philosophie, car cette approche qui, tournant le dos au monologue et au dogmatisme comme pratique de classe, s'articule prioritairement autour de l'apprenant qu'il s'agit, après tout, de transformer dans un sens donné par le biais de l'enseignement dispensé. Très proche de l'esprit qui inspirait et animait la maïeutique socratique, la pédagogie par objectifs - puisqu'il faut l'appeler par son nom - consacre en effet l'élève comme point de mire du cours dans toutes ses articulations. De spectateur passif qu'il était, elle en fait un acteur privilégié du processus de formation. C'est donc pour rompre avec les anciennes pratiques qui ne tenaient pas compte de l'enfant entant préoccupation centrale de l'action éducative que l'adoption de la NAP s'est imposée comme une nécessité absolue. IV.2-1-5-La cinquième question Quel peut être l'effet de la NAP sur l'éveil des potentialités de l'élève ? Monsieur N.M répond à cette question en ces termes : «Notre avis est que nous devons sortir de ce marasme pédagogique. Moyennant une courageuse autocritique, nous le pouvons effectivement. En tout cas, en lieu et place de cette pédagogie de la transcendance et de la verticalité devenue coutumière dans nombre de nos classes transformées en champs clos du monologue dogmatique, il nous paraît urgent d'en adopter une autre grâce laquelle, tout en couvrant normalement le programme officiel, nous aidions davantage nos élèves à développer toutes leurs potentialités intellectuelles. En faisant d'eux des convives actifs et enthousiastes d'un banquet philosophique au demeurant plus appétissant et plus digeste, parce que plus collectif et plus vivant. » Les élèves issus d'un système éducatif qui les met au centre de toute action éducative expriment mieux toutes leurs potentialités. Comme aimait le dire Platon, l'école n'est pas un dressage, il faut laisser s'exprimer l'élèves et on verra éclore tout son génie. C'est la même idée qu'on retrouve chez Rousseau et Kant, lorsque le premier encourage les pédagogues à ne rien enseigner aux élèves mais à les laisser découvrir la vérité par eux-mêmes en les mettant dans des conditions d'observation/apprentissage. Tandis que le second demande aux éducateurs de ne pas porter l'enfant si on veut le voir marcher tout seul demain. IV.2-1-6-La sixième question Quelles sont les stratégies envisagées pour l'imprégnation des enseignants à la NAP ? Pour N.M, c'est essentiellement un problème de suivi sur le terrain. Il appartient aux inspecteurs provinciaux et aux animateurs pédagogiques d'organiser le travail sur ces nouvelles bases. Il faut mettre fin au laxisme méthodologique qui règne dans les établissements et qui cause des ravages au niveau des résultats du baccalauréat. Le travail sur le terrain suppose comme préalable la formation et l'information des enseignants. C'est la raison pour laquelle Les cahiers du département3(*) mettent à la disposition des enseignants, tout le matériau nécessaire à la bonne pratique de classe dans nos établissements secondaires. Madame A.C pour répondre à cette question affirme ce qui suit : « concernant les stratégies, nous mettons à la disposition des enseignants, Les cahiers du département contenant des fiches pédagogiques. Nous organisons des séminaires de formation et nous allons sur le terrain pour expliquer davantage aux enseignants la nouvelle approche pédagogique.» Les inspecteurs provinciaux à travers les visites de classe et la publication des Cahiers du département, font des efforts en ce qui concerne l'imprégnation des enseignants aux nouvelles méthodes pédagogiques. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur l'efficacité de cette technique des inspecteurs. On se pose la question de savoir si la méthode choisie par les inspecteurs permet effectivement aux enseignants d'intégrer les nouvelles approches à leur pratique de classe. Les entretiens que nous ont accordés les professeurs de philosophie des établissements que nous avons choisis, nous permettront de trouver une réponse à ces interrogations. IV.2-2-Synthèse des entretiens avec les professeurs de philosophie IV.2-2-1-La première question Qu'est-ce que la NAP d'après vous ? Les professeurs dans leur grande majorité répondent que la NAP est une des innovations pédagogiques qui a été introduite dans notre système éducatif depuis quelques années. Ils précisent même, avec quelques nuances, que la NAP se matérialise par la pédagogie par objectifs que le ministère de tutelle recommande à tous les professeurs dans leur pratique quotidienne. A partir de cette réponse, nous constatons que les enseignants sont bien informés sur cette nouvelle approche pédagogique. IV.2-2-2-La deuxième question Pouvez-vous nous dire comment vous appliquez la NAP dans votre pratique de classe ? Le professeur N.G estime que cette méthode est sur le terrain déjà depuis plusieurs années, mais qu'elle ne la met pas encore en pratique parce qu'au-delà de la définition de la NAP, elle ne sait pas très précisément en quoi ça consiste ou encore comment on la met en pratique. Monsieur B.O affirme qu'il connaît très bien à quoi la NAP renvoie, mais qu'il lui est impossible de l'appliquer à cause des effectifs pléthoriques, l'immensité du programme de philosophie et le temps imparti à cette discipline qui ne permet pas toujours de couvrir le programme. Sans hésiter, monsieur T.O affirme connaître de quoi il s'agit lorsqu'on l'interroge sur la manière dont il applique la NAP dans sa pratique de classe. D'après le professeur, la nouvelle approche pédagogique est bien indiquée et adaptée au contexte de la modernité actuelle. Mais il reconnaît que c'est par un concours de circonstances qu'il a été confronté à la pratique de cette méthode. C'est son encadreur de stage dans un lycée de la place qui l'a initié à cette méthode. Madame N.E se défend de ne pouvoir utiliser cette méthode parce que qu'elle n'a qu'un an d'expérience et qu'il lui faut du temps pour s'y conformer, car dit-elle «même si à l'Ecole normale supérieure nous recevons des leçons dans ce sens, ont ne nous apprend pas concrètement comment mettre cette méthode en pratique dans nos activités de classe.». Ainsi, dans les écoles normales du Cameroun, même si théoriquement la nouvelle approche pédagogique est enseignée, il reste que dans la pratique cela paraît encore difficile à appliquer.
IV.2-2-3-La troisième question Existe-t-il, une incidence entre la NAP et le développement de l'esprit critique chez l'élève ? Parmi les enseignants que nous avons rencontrés, ceux qui ont expérimenté la nouvelle approche dans leur pratique de classe nous font savoir qu'ils ont observé un grand changement dans l'éveil critique des élèves contrairement à ceux qui subissent encore l'endoctrinement des méthodes traditionnelles. En tant qu'enseignant de philosophie dans les classes de terminales à Yaoundé, nous avons personnellement expérimentée la nouvelle approche pédagogique dans nos classes et nous avons observer que les élèves au terme d'une formation basée sur cette approche nouvelle sont plus éveillés que ceux qui sont formés par les méthodes traditionnelles. Donc, la plupart des enseignants qui ont essayé cette nouvelle méthode affirment qu'elle a un effet très positif sur le comportement des enfants. IV.2-2-4-La quatrième question Quelles sont les difficultés qui entravent la mise en place effective de la NAP ? En ce qui concerne les obstacles à la mise en place de la NAP, les professeurs sont quasi unanimes sur les causes suivantes : -l'absence de séminaires de recyclage -la longueur du programme de philosophie en terminale -le temps imparti à cette discipline très insuffisant D'après eux, si des conditions favorables étaient réunies, les enseignants pourraient mieux s'approprier cette nouvelle méthode et d'autres méthodes innovatrices. IV.2-2-5-La cinquième question Ressentez-vous une différence fondamentale entre la NAP et les méthodes traditionnelles, si oui, laquelle ? Les enseignants ayant reconnu qu'ils appliquent déjà la NAP, affirment qu'il existe une différence fondamentale entre la nouvelle approche pédagogique et la méthode traditionnelle. Ils affirment que la nouvelle approche décentre l'enseignant de son sanctuaire séculaire de magister et installe l'élève au centre de toute activité pédagogique, alors que la méthode traditionnelle accordait à l'enseignant tous les pouvoirs, de conception et de diffusion du savoir. Ceux des enseignants qui ne savaient pas encore en quoi consiste la nouvelle approche, soutiennent avoir entendu ou lu que cette approche pédagogique nouvelle voudrait qu'on ne dicte plus tout à l'élèves mais qu'on l'amène à découvrir par lui-même l'objet et la finalité d'une séquence d'enseignement/apprentissage. IV.2-2-6-La sixième question Les élèves interviennent-ils dans l'élaboration et la réalisation du cours ? A ce niveau, il n' y a que le professeur T.O qui a répondu favorablement pour dire qu'il prend effectivement en compte les avis des élèves afin d'orienter et de guider les débats. En ce qui concerne les autres professeurs, ils affirment ne tenir compte des interventions des élèves qu'à la fin de leurs cours magistraux, exclusivement dans la phase qui permet aux élèves de poser quelques questions. Il s'agit pour ces professeurs qui appliquent encore la méthode traditionnelle, de concevoir dans la solitude totale leurs leçons et de les inculquer aux élèves de façon doctrinale. Alors que la méthode centrée sur l'élève voudrait que la leçon soit l'émanation d'un échange entre les élèves et le professeur. IV.2-3-Synthèse des entretiens avec les élèves IV.2-3-1-La première question Avez-vous déjà entendu parler de la pédagogie par objectifs encore appelée NAP ? Parmi les 120 élèves interrogés, près de 90 % affirment ignorer la signification et les principes de la nouvelle approche pédagogique. Seuls les élèves issus des classes des enseignants qui appliquaient déjà cette méthode pouvaient définir de façon évasive en quoi consiste la NAP. Ceux qui tentaient de définir de la NAP se limitaient au fait que c'est l'enseignement basé sur les objectifs et ignoraient la véritable finalité de cette approche qui consiste à mettre l'élève au centre des activités pédagogiques. IV.2-3-2-La deuxième question Si oui, cette méthode vous permet-elle de mieux comprendre les cours ? Ceux qui reçoivent des enseignements à partir de la nouvelle approche pédagogique reconnaissent que les cours sont plus détendus, bien animés. Grâce à cette ambiance qui règne dans la classe, les élèves se sentent plus concernés et affirment qu'ils comprennent de mieux en mieux le sens des enseignements du professeur. Bien entendu, ceux qui sont sous le régime des méthodes traditionnelles ne peuvent pas en déterminer la différence. IV.2-3-3-La troisième question Pensez-vous que votre participation est effective dans l'élaboration et la réalisation des cours ? Les élèves du Collège international de la gaîté répondent en choeur que leur participation est effective, parce que, disent-ils, les professeurs leur permettent de poser beaucoup questions pendant les cours. Mais nous notons qu'à ce niveau, les élèves ne connaissent pas en réalité les principes de la nouvelle approche pédagogique. Car, s'il est vrai que la participation des élèves repose sur les échanges et les questions-réponses avec les enseignants, elle ne se limite pas à cela. En fait la NAP dans son essence consiste à mettre l'élève au centre de toutes les activités de la classe, c'est-à-dire amener les élèves à trouver par eux-mêmes et en eux-mêmes les objectifs et les contenus des leçons. En ce qui concerne les élèves des autres établissements, ils admettent qu'ils reçoivent toujours des cours tout faits qu'ils se contentent de recopier et d'enregistrer. Cependant, les élèves reconnaissent avoir la possibilité de poser des questions aux enseignants. * 3 C'est une revue publiée par le département de philosophie du ministère des enseignements secondaires pour mettre à la disposition des enseignants toutes les reformes et innovations pédagogique dans l'enseignement de la philosophie en terminal. |
|