II.2-15- Formation continue des enseignants
Ouedraogo Innocent met un accent sur la formation continue
des enseignants dans son mémoire de Master deuxième année
en sciences de l'éducation. Selon lui la fonction de recyclage
disciplinaire est celle qui est la plus reconnue par les enseignants. Elle vise
l'exploration et l'appropriation de nouvelles approches enseignantes. Elle
concerne tous les enseignants dans la mesure où les savoirs
théoriques qui sous-tendent les différentes disciplines sont en
constante évolution. Il s'agit donc pour les praticiens de se mettre
à jour pour qu'il n'y ait pas d'hiatus entre les savoirs
enseignés et les savoirs épistémologiques. De même,
les pratiques sociales de référence évoluent et
l'apprentissage des savoirs ne saurait être
décontextualisé. Aussi, les enseignants doivent-il
réfléchir sur les savoirs-clés et sur le sens des savoirs
enseignés qui constitue une des priorités de la formation
continue de tous les enseignants.
Après cette présentation de quelques travaux de
recherche sur la problématique de la nouvelle approche
pédagogique, le recours aux théories explicatives permet de
compléter ce moment de l'étude consacré à
l'insertion théorique.
II.3-LES THEORIES EXPLICATIVES
Hotyat (1973 : 306) définit une
théorie comme « une synthèse hypothétique
couvrant l'explication d'un certain nombre de faits et s'appliquant à
faire le point de l'état d'une science». Selon Cohen
(1980 : 69), « une théorie scientifique est une
ensemble intégré d'énoncés comportant des
définitions et des relations supposées vraies et relatives
à un domaine particulier».
Le paradigme quant à lui,
désigne dans le vocabulaire de (Kuhn, 1983 : 29) «la
recherche solidement fondée sur un ou plusieurs accomplissements
scientifiques passés, accomplissements que tel groupe scientifique
considère comme suffisants pour fournir le point de départ
d'autres travaux». Ainsi, faisant référence
à des textes scientifiques classiques tels que la Physique d'Aristote,
les Principes de Newton ou la Chimie de Lavoisier, Kuhn (p.30) note que
« ces livres et bien d'autres ont longtemps servi à
définir implicitement les problèmes et les méthodes
légitimes d'un domaine de recherche pour des générations
successives de chercheurs ». Il ajoute que :
« S'ils pouvaient jouer ce rôle, c'est qu'ils avaient en
commun deux caractéristiques essentielles : leurs accomplissements
étaient suffisamment remarquables pour soustraire un groupe
cohérent d'adeptes à d'autres formes d'activité
scientifique concurrentes ; d'autre part, ils ouvraient des perspectives
suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs
toutes sortes de problèmes à résoudre. ».
Objet d'un relatif consensus au sein de la communauté scientifique d'une
part, point de départ d'un vaste programme de recherche d'autre part,
telles sont donc les deux principales caractéristiques de ces
« performances » que T. Kuhn
désigne comme paradigmes. C'est le paradigme descriptif que nous
utiliserons dans le cadre de cette étude.
Le paradigme descriptif nous permettra de décrire une
situation éducative, reposant sur une interaction entre l'enseignant et
l'enseigné, dans le cadre de la pratique pédagogique
inferentielle. Partant des méthodes actives inspirées de
l'éducation nouvelle, ce paradigme facilitera la vérification de
la nouvelle approche pédagogique dans l'enseignement de la philosophie
en classes de terminale.
Il s'agit d'une enquête empirique reposant sur des
données qualitatives. Notre investigation est effectuée à
partir de la théorie de l'innovation. Une innovation est un changement
délibéré. On parle parfois de changement planifié,
mais cela évoque une entière préméditation. Or,
sans être involontaires, beaucoup de changements n'apparaissent pas aussi
fortement calculés. Parlons plutôt d'un changement intentionnel,
sachant que la réalité est souvent ambiguë ou instable: les
acteurs peuvent, par exemple, décider de renforcer ou de combattre un
processus à l'origine spontané; certains changements, sans avoir
été voulus, découlent d'une action
délibérée, mais qui visait d'autres effets. Les acteurs
sociaux s'affrontent constamment à propos des changements possibles et
souhaitables. Les uns travaillent à les précipiter, les autres
à les empêcher. Ce qui arrive en fin de compte est la
résultante de la confrontation de ces stratégies contradictoires.
Cette complexité nous conduit à conclure que l'objet le plus
intéressant, ce sont les projets, les désirs, les
stratégies d'innovation des acteurs, aussi bien que leurs peurs ou leurs
résistances face aux innovations proposées par d'autres, avec les
transactions tacites ou explicites qui s'engagent à ce propos.
D'où une approche résolument constructiviste, interactionniste et
anthropologique de l'innovation.
Les acteurs qui veulent certains changements sont en
quête de savoir d'innovation (Gather Thurler, 1998). L'outil le
plus pratique est sans doute une bonne théorie des processus
d'innovation. Tentons d'en énumérer quelques
éléments :
1. L'innovation, avant d'être - éventuellement -
un changement effectif, est un changement rêvé, imaginé,
anticipé, préfiguré. Elle est donc de l'ordre des
représentations.
2. Cette représentation ne se limite pas à dire
ce qui pourrait ou devrait changer, mais s'étend aux raisons de ce
changement, aux obstacles prévisibles, aux avantages et
inconvénients présumés.
3. Proposer une innovation n'est jamais, en soi, une chose
éminemment rationnelle et allant dans le sens d'un progrès
indiscutable. Ce qui constitue un progrès ne fait pas
l'unanimité, car les raisons d'innover ou d'inciter les autres à
innover sont rarement entièrement désintéressées,
simple expression du bien public ; ce dernier, d'ailleurs, fait l'objet de
visions fort diverses.
4. De la même manière, aucune résistance
à l'innovation n'est a priori irrationnelle ou
réactionnaire. Comme les tenants de l'innovation, les résistants
ont leurs raisons, souvent réfléchies, sinon toujours
avouables.
5. L'innovation est rarement un but en soi, elle est
reliée à des visions du monde, des idéologies, des
stratégies plus vastes. Elle n'est parfois qu'un moyen pour que rien
d'essentiel ne change.
6. L'innovation en éducation concerne rarement un seul
acteur, même s'il en est l'initiateur. Lorsqu'un enseignant innove dans
sa classe, cela a des implications pour les élèves et leurs
parents, parfois - au moins indirectement - pour ses collègues ou sa
hiérarchie. Un professeur qui renonce à donner des devoirs ou des
punitions provoque, par exemple, une comparaison avec ses collègues.
7. Les acteurs concernés ont rarement le même
rapport à une innovation définie. Tout dépend de leurs
projets, de leurs attentes, de leurs compétences, de leurs peurs, des
alternatives dont ils disposent, de leurs alliances, des autres enjeux, du
calcul coûts/bénéfices qui leur est propre.
8. L'innovation fait donc en général l'objet
d'une transaction, d'un marchandage (Huberman, 1982) aboutissant
à un compromis entre plusieurs intérêts, plusieurs
systèmes de valeurs, plusieurs projets, plusieurs logiques d'action.
9. Les transactions relatives à diverses innovations
possibles, souhaitables, redoutables sont au coeur du fonctionnement des
organisations et du monde du travail. Elles renvoient constamment aux rapports
de pouvoir et au sens des activités.
10. Le sens d'une innovation est toujours, en dernière
instance, construit par chacun des acteurs, même si chacun subit des
influences et ne pense pas l'innovation tout seul.
Ces propositions, qui restent d'une grande
généralité, permettent cependant de rendre plus
intelligibles les jeux sociaux qui se jouent autour des innovations en
éducation. Si le sort d'une innovation dépend fortement du sens
que lui attribuent les acteurs, en particulier ceux auxquels on demande de
transformer leur pratique, il importe de mieux comprendre :
- comment les acteurs perçoivent, se
représentent et évaluent les innovations qui leur sont
proposées ou imposées ;
- comment ils développent de leur propre chef des
projets d'innovation pour eux-mêmes ou une partie du système dont
ils font partie.
Au-delà des contextes et des enjeux spécifiques,
deux leitmotivs émergent de la réflexion sur
l'innovation :
1. le degré de professionnalisation du métier
d'enseignant et des métiers connexes;
2. la dimension réflexive de la pratique (Schön,
1994).
Le professionnel est au contraire un des moteurs de
l'innovation. Confronté à des problèmes, il se met en
quête de solutions nouvelles, se forme, expérimente,
réfléchit sur sa pratique et ses outils de travail. Plus une
organisation fait appel à des professionnels, plus elle
décentralise les processus d'innovation et les instances de
décision, multiplie les foyers et les dynamiques, délègue
en quelque sorte l'invention du changement aux praticiens réflexifs,
Professionnaliser le métier d'enseignant et développer sa
dimension réflexive (Perrenoud, 2001) apparaît à terme plus
efficace que de multiplier les prescriptions et les incitations autoritaires au
changement. Si elle réussit, une telle stratégie facilitera
l'innovation plus sûrement que les efforts ponctuels engagés dans
chaque réforme. Tout changement des pratiques est un processus, le
résultat d'une lente construction sociale. Il ne peut être
provoqué par une simple décision politique ou administrative.
Aucun projet d'innovation, aussi séduisant soit-il, ne peut
aisément convaincre les enseignants d'abandonner des routines ayant fait
leurs preuves en faveur de pratiques qu'ils maîtrisent mal et qui ne leur
garantissent pas un fonctionnement économique et efficace.
Dans cette optique la théorie de l'innovation qui porte
sur l'introduction d'une nouvelle approche pédagogique dans un
système éducatif, fait nécessairement appel au
fonctionnalisme et au constructivisme. Il s'agit d'établir le rôle
de cette approche nouvelle et celui des acteurs dans la consolidation d'un
système d'enseignement. De la même manière que le
constructivisme se rapporte à l'ensemble des processus mentaux que les
acteurs du système éducatif en réformation mettent en
place pour s'adapter et à apporter une touche particulière
à l'approche qui leur est imposée.
Le contexte de notre recherche nous met face à trois
intervenants majeurs dans le système éducatif qui doit subir une
réforme, à savoir : les inspecteurs pédagogiques qui
initient les réformes, les enseignants qui sont appelés à
appliquer la réforme et les élèves qui sont les
bénéficiaires de la réforme.
En ce qui concerne les inspecteurs, le souci de la
réforme est motivé par deux facteurs ; d'abord le constat de
l'inefficacité et de l'improductivité du système en cours,
ensuite le souci de se conformer aux réformes éducatives que
connaissent la plupart des système éducatifs du monde afin de
s'arrimer à la modernité. Pour rendre un projet de réforme
possible, il est nécessaire de tenir compte des invariants de la
théorie de l'innovation : toute chose nouvelle, avant
d'intégrer un système, doit reposer sur la prise en
considération de la perception sociale de la réforme et des
résistances inévitables auxquelles il faut faire face.
Pour ce qui est des enseignants, en tant que maîtres
d'oeuvre de l'éducation, ils sont formés sur une certaine base
pédagogique, ils appliquent ces théories de base au quotidien et
ils en ont fait une habitude. Lorsqu'on sait que « l'habitude est
une seconde nature », on peut imaginer que l'arrivée
d'une nouvelle approche pédagogique pose un véritable
problème de réadaptation, de recyclage et d'acceptation.
Quant aux élèves, ils n'ont jamais
été consultés en ce qui concerne l'approche
pédagogique dont doit se servir le maître dans ses enseignements.
Comme il en est ainsi, ils se résignent au rôle de
réceptacles et d'observateurs du système éducatif. Leur
sentiment ou leur perception des choses c'est que tout leur est
imposé.
A partir de la théorie de l'innovation, il revient que
la réforme n'est pas un acte spontané qu'on pose mais tout un
processus qui doit se construire sur une durée plus ou moins longue
selon le degré de perception des acteurs du système. Une nouvelle
approche pédagogique fait donc appel à une préparation
psychologique du maître et à un ensemble d'activité
d'imprégnation afin de minimaliser au maximum les résistances et
les rejets. Dans le cadre de cette recherche, nous vérifierons dans
quelle mesure toutes les conditions qui entourent la mise en place d'une
réforme sont remplies. En nous référant à la
théorie de l'innovation qui suppose celles du constructivisme et du
fonctionnalisme, nous évaluerons le système éducatif
camerounais en voie de réformation, si de façon
systématique les changements ne sont pas juste des produits d'une
génération spontanée, et si tel est le cas, quelles
seraient donc les modalités pour une bonne imprégnation des
acteurs à la nouvelle approche pédagogique ? Le cadre
méthodologique permettra de poser les bases instrumentales de la
recherche des solutions à cette interrogation.
|