L'évolution historique du commerce est intimement
liée à celle des sociétés humaines. Le capitalisme
primitif est un capitalisme commercial. L'essor, par exemple de la ville de
Lyon, au XVIème siècle, est celui du marché
national naissant centré sur la cour royale. Les dix plus hauts
contribuables de l'époque, parmi une population bourgeoise de 1600
personnes environ, sont des marchands (CCES-CGT, 1998, p.9). C'est cet essor
qui va créer les conditions du développement des manufactures de
soieries qui s'affirment à partir du siècle suivant.
Cependant, jusqu'au début du XIXème
siècle, le commerce de détail dans les campagnes est celui du
colporteur qui promène sa « pacotille » sur son dos, comme on
peut le voir dans les gravures anciennes. Dans les villes, c'est la boutique
modeste qui approvisionne le petit peuple au gré des évolutions
de prix et du marchandage. Elle est tenue par un personnel essentiellement
familial et pour les plus importantes, comprend un ou deux commis et un
apprenti.
L'histoire de l'évolution capitalistique des
entreprises a toujours été associée à celle des
techniques. Indice de vitalité économique, la monnaie
pénètre toutes les activités économiques, qu'elles
soient urbaines ou rurales. La quasi- disparition de la monnaie d'or, de trop
forte valeur, et la frappe du denier d'argent, dès 670, avaient
déjà stimulé l'augmentation du volume des échanges
et ouvert l'économie monétaire à un plus grand nombre
d'usagers.
Mais, pendant longtemps, le commerce a été
tributaire des moyens de transport : la dimension et la maniabilité des
bateaux, les performances des chariots (vitesse, capacité, etc.). C'est
l'Etat qui a contribué à l'essor commercial en développant
les infrastructures adaptées des routes commerciales, financées
par les impôts commerciaux.
Les foires du Moyen Age, constituent la première
organisation structurée de commerce de gros. Elles vont devenir, de
véritables pôles de liaison tant au niveau International que
national.
Au XVIème siècle, les progrès
du commerce, vont également être associés à
ceux de la banque, compte tenu des capitaux importants
nécessaires au grand commerce de l'époque22. On peut
déjà souligner l'importance du crédit nécessaire
à la structuration de l'organisation commerciale. Celle-ci, en effet,
avait besoin de capitaux importants pour financer les stocks et une rotation
lente des marchandises23.
Ce n'est qu'après la révolution, grâce
à la croissance de la population, à l'industrialisation et
à l'exode rural qui s'ensuit, que vont se créer les conditions de
la naissance et de la structuration du commerce moderne au
XIXème siècle. Celui-ci va se caractériser par
la création d'organisations commerciales spécialisées sur
un plan technique.
C'est ainsi que vont naître et se développer les
grands magasins, les coopératives de consommation, et dans une forme
technique voisine, les magasins à succursales dont Casino est une des
illustrations les plus typiques. Les techniques capitalistes investissent,
alors le commerce, secteur qui était resté en dehors du mouvement
de capitaux et des techniques qui ont caractérisé la
révolution industrielle.
Ce mouvement était devenu une nécessité
pour l'industrie qui avait besoin de massifier ses débouchés
limités par un commerce atomisé constituant, ainsi, un frein
à la rotation des capitaux.
C'est le cas de l'industrie textile et des armuriers qui sont
à l'origine de cette évolution.
Le premier grand Magasin « la Belle Jardinière
»24 est crée en 1824, pour le commerce du vêtement
confectionné, vendu à prix fixe. L'invention, de la machine
à coudre permet le développement considérable des
affaires. Le magasin s'agrandit peu à peu et, en 1856, le capital
atteint déjà 3 millions de francs. Le Bon Marché, Le
Printemps, Les 3 Quartiers, les Galeries Lafayette seront créées
sans la seconde moitié du 1 9ème siècle. Emile
ZOLA, dans Au bonheur des dames, en a immortalisé le drame des
évolutions de la société parisienne de l'époque :
« Il y avait là une évolution naturelle du commerce, on
n'empêcherait pas les choses d'aller comme elles devaient aller, quand
tout le monde y travaillait, bon gré, mal gré. Mouret avait
inventé cette mécanique à écraser le monde, dont le
fonctionnement brutal indignait Denise ; »
La diversification des industriels de la laine, dans le nord,
permettra la création de la vente par correspondance avec les Trois
Suisses ou la tradition du privilège royal de la fabrication des armes
à St Etienne avec la naissance de Manufrance en 1885.
Mais, ce qu'on nomme, la grande distribution,
n'apparaîtra que dans la deuxième moitié du
XXème siècle avec la naissance des Carrefour, Auchan,
ainsi que de la plupart des enseignes que nous connaissons aujourd'hui.
L'invention du libre service et la multiplication des
produits et des références mis à la disposition des
consommateurs, largement généralisés, aujourd'hui, en tant
que techniques commerciales ont permis cette évolution.
C'est Edouard LECLERC qui met en oeuvre cette technique en
1945 dans un
22 A l'époque, ce vocable, correspond au commerce
international (épices, soieries, etc.).
23 Par exemple, le commerce du pastel à Toulouse avait
besoin d'un cycle de 3 ans, entre la commande et le paiement de la marchandise
!
24 Elle doit son nom à sa localisation à Paris,
quai des fleurs.
entrepôt de gros dont il ouvre la vente au
détail. Puis, Carrefour, qui ouvre son premier hypermarché en
1963 à Sainte Geneviève des Bois, en région parisienne
doté de 2500 m2 de vente, d'un parking de 400 places, d'une
pompe à essence et de 12 caisses. L'inauguration, parrainée par
la romancière Françoise SAGAN sera un évènement
médiatique. L'ère des grandes surfaces et des centres commerciaux
est ouverte. Elle caractérise l'essentiel de notre paysage commercial,
aujourd'hui.
Avec, ce principe de la massification des marchandises
présentées au libre choix des consommateurs, la grande
distribution a également innové en instaurant le principe de
Trujillo25 : « Un îlot de pertes dans un océan
de profit ». Il s'agit d'un calcul des prix de vente en modulant la
marge commerciale, afin de créer des prix d'appel (vente à perte
ou prix coûtant) sur les produits de grande consommation dont le client
retient facilement le montant et peut, ainsi, effectuer des comparaisons avec
ceux des concurrents26.