L'absentéisme pour maladie et
pour
accidentéisme : définitions
Dénombrement de l'absence (en nombre de jours de
travail « perdus ») des salariés à leur poste de
travail, ayant pour cause une incapacité temporaire de travail
liée à la maladie et ou à un accident du travail.
Le mot utilisé présente plusieurs synonymes
dont chacun garde la préférence de chacun des acteurs du
système social.
C'est ainsi qu' « absentéisme » est
plutôt utilisé par les employeurs et les services de gestion des
ressources humaines, mais également par les institutions, telles, la
sécurité sociale. Le médecin va plutôt
préférer le terme plus neutre « d'arrêt de travail
» ou « d'arrêt maladie », tandis que les salariés
vont parler de « congé maladie ».
Ces pratiques de langage ne sont bien
entendu pas neutres,
elles correspondent
chacune aux représentations du concept
L'absentéisme, en tant que fait social, reflète
des comportements, des pratiques et des conceptions différentes,
qu'elles soient sociales (individuelles et collectives), médicales ou
institutionnelles.
Le dénombrement des causes, des
caractéristiques des absences maladies et de leur évolution
intéresse la recherche épidémiologique (Chevalier,
Goldberg, 1992) et, d'une autre façon, les employeurs et gestionnaires
d'entreprises. Or, il est un indicateur encore peu utilisé par
l'ensemble des intervenants dans le domaine de la santé au travail. Les
chercheurs s'intéressent aux motifs médicaux qui provoquent ces
absences, à la durée et à la fréquence par individu
en fonction du sexe, de l'âge, de caractéristiques
professionnelles et de vie. Pour les gestionnaires, ce décompte est un
indicateur qui permet un contrôle de la disponibilité du travail
engagé, avec un transfert des charges aux régimes d'assurance
adéquats, et au mieux, en guise de prévention, il permet
l'observation des différentes causes en lien avec le contenu du travail
et la qualité de personnes.
Or, l'existence de ces décomptes est peu connue, et
lorsqu'elle l'est, l'accès n'en est pas aisé. Dans les
entreprises, ils conservent un caractère interne, sauf pour les
entreprises de plus de 300 salariés, pour lesquelles, la communication
aux comités d'entreprise de certains indicateurs est obligatoire une
fois par an (IGALENS et PERETTI, 2001). De plus, comme pour tout indicateur,
leur utilisation est soumise à certaines limites.
a) Intérêt et limites de
l'absentéisme et de l'accidentéisme comme indicateurs de
santé au travail :
Déjà, à la fin du
19ème siècle, la progression inquiétante de
l'absentéisme à la Manufacture des allumettes a contribué
à reconnaître le caractère professionnel du phosphorisme et
à interdire l'utilisation du phosphore dans la fabrication des
allumettes (DUZZI S., DEVINCK J.C., ROSENTAL P.A. 2006).
Plus récemment, les résultats des études
réalisées dans la cohorte « Gazel »
(salariés
EDF-GDF)16 démontrent l'intérêt de suivre le
dénombrement, la durée
16 En janvier 1989, Electricité de France (EDF), Gaz
de France (GDF) et l'Institut National de la Santé et de la Recherche
Médicale (INSERM) s'associaient pour lancer un des plus importants
projets français de recherche épidémiologique : la cohorte
Gazel. Le partenariat entre ces grandes entreprises vouées au service
public et le plus important organisme de recherche médicale
français a pour but de mettre en place un véritable laboratoire
humain
et la fréquence des absences prescrites par un acte
médical. CHEVALIER et GOLDBERG (1987, p. 6 et 863-880) soulignent
l'intérêt de suivre ces arrêts sur une longue période
pour surveiller les pathologies lourdes, la durée éliminant de
fait les autres causes, moins bien contrôlées du point de vue du
niveau de morbidité. Les indicateurs préconisés sont ceux
qui détaillent les trois caractéristiques de survenue,
durée et fréquence de l'absence. Les survenues d'absence sont
comptées en distinguant les motifs.
La dernière enquête Sumer (DARES)
Décembre 2004 n° 52-1) réalisée en 2003 auprès
de 50 000 salariés, a posé pour la première fois la
question du nombre d'arrêts pour maladie, hors accidents du travail ou
maternité, les douze derniers mois et du nombre de jours total de ces
arrêts. La même question sur le nombre de jours d'arrêt est
posée en lien avec des accidents du travail survenus pendant les douze
derniers mois.
Par ailleurs, l'enquête annuelle de l'Insee,
EPCV17 (enquête permanente sur les conditions de vie des
ménages), comporte, une question sur les « congés- maladie
» durant les douze derniers mois, en distinguant, la réponse selon
la durée. Elle pourrait informer sur le sens des évolutions.
On peut également rapporter le nombre de jours (ou
d'heures) d'arrêt au nombre total de jours travaillés (ou d'heures
travaillées). C'est le taux d'absentéisme - rapport des
durées d'absences d'un groupe au total des durées normalement
travaillées par le groupe - qui est l'indicateur le plus pertinent, bien
qu'approximatif, puisqu'il n'individualise pas la mesure de l'absence, ni le
nombre de jours d'arrêt par travailleur arrêté.
Or, à l'heure actuelle, la CNAMTS décompte le
nombre d'indemnités journalières (I.J.), par région, sans
autre distinction qu'entre les ayants droit et les assurés, et les
motifs : maternité, accident du travail, maladie professionnelle, autre
maladie.
La sommation de la maladie et de la maternité pose un
premier problème de pertinence, dans la mesure où il s'agit de
deux situations très différentes dont le cumul n'a pas de sens,
ni sur un plan épidémiologique, ni même, sur celui de
l'analyse des coûts pour l'entreprise et pour les institutions.
Par ailleurs, l'individu n'étant pas identifié,
les notions de fréquence individuelle et d'absence par motif n'existent
pas. De ce fait, ces statistiques ne permettent de faire que le seul
décompte du taux d'absentéisme global englobant la
maternité dont le caractère ne nous paraît pas compatible
avec les autres causes. Par ailleurs, seul est publié le rapport de la
somme des Indemnités journalières pour les accidents du travail
au nombre d'heures travaillées, appelé «taux de
gravité» 18 des accidents du travail indemnisés.
La typologie retenue par grand secteur, refondue en neuf groupes et ses
subdivisions depuis 1998, ne permet que des correspondances très
imparfaites avec les secteurs NAF de l'Insee, communément
utilisés sur des données sociales et
épidémiologique, instrument scientifique au
service de la recherche médicale. La responsabilité scientifique
et technique de ce projet a été confiée à
l'Unité 88 de l'INSERM, en coopération avec les services
médicaux d'EDF et GDF, les CMCAS et la CCAS.
17 INSEE, Enquête annuelle. Il convient de souligner la
petite taille de l'échantillon (moins de 5 000 actifs) qui limite le
croisement possible par profession et grand secteur.
18 Le « taux de gravité » ne doit pas
s'entendre au sens de la gravité des accidents. Il mesure la
durée moyenne par agent des arrêts provoqués par les
accidents du travail et de ce fait ne constitue qu'un indicateur de leur
durée moyenne.
économiques.
Une classification sommaire et anonyme des arrêts de
travail par maladie, âge, sexe et secteur d'activité ou/et
profession donnerait un indicateur d'alerte pertinent.
Il convient, cependant, d'adopter une démarche
d'analyse et d'interprétation prudente des données quantitatives,
malgré toutes les améliorations que l'on peut apporter à
leur recueil. De nombreux biais peuvent, ainsi, intervenir :
· La prescription du repos, partie intégrante de
la thérapie, ressort de pratiques médicales non homogènes,
du point de vue de son opportunité, de la durée prescrite, comme
des médications elles mêmes et de leurs modalités.
· Le salarié lui-même, dans son rapport
avec l'institution médicale, apprécie et arbitre en fonction de
son contexte de vie et de travail et des représentations qu'il en a.
C'est, notamment l'incidence de ce repos sur sa situation professionnelle, au
regard de sa hiérarchie, de son insertion, de ses marges de manoeuvre du
point de vue de son contrat et de son collectif de travail. En effet, la non
déclaration des accidents bénins ou le refus des arrêts de
travail, tendent à s'amplifier, là où la crainte
d'être licencié est présente, ou encore lorsque le
salarié est embauché sous un statut précaire et souhaite
le transformer en statut stable (CRISTOFARI, 2001, p. 28 et 29). En outre, les
campagnes de prévention peuvent s'accompagner de pressions avec
affichage des résultats et objectifs (« zéro accident
») et (ou) d'incitations financières19 qui dissuadent la
hiérarchie intermédiaire, voire les victimes elles- mêmes,
de déclarer la totalité des accidents (Cour des Comptes, 2002, p.
35 et suivantes).
· Les politiques publiques, enfin, peuvent également
interférer dans les évolutions constatées des indicateurs
d'absentéisme ou
d'accidentéisme. C'est le cas des
décisions récentes du gouvernement (Loi Fillon 2004) et de
l'assurance maladie (depuis 2003) qui, suivant les recommandations de L'ANAES,
ont mis en place une série de mesures de contrôle des patients et
des médecins, dont les effets semblent se faire sentir, par une moindre
progression en 2003 et 2004 des indemnités journalières
comptabilisés par la CNAM. Ce type de mesure n'a, cependant en
général, que des effets conjoncturels, dans la mesure où
elles ne relèvent que d'une politique répressive, ignorant ou
tout du moins, sous-estimant, les causes profondes du problème.
Nous retiendrons, au-delà des biais existants,
l'intérêt de suites de données relativement
homogènes sur la période considérée, dont les
évolutions apparaissent comme significatives.
« Les conditions de travail ne sont pas des objets
naturels qu'il suffirait
d'observer et qui seraient justiciables d'un
traitement objectif. Il s'agit d'une
construction sociale.»
(CURIE, 2000). A fortiori, l'absentéisme, en tant qu'indice
19 Primes de présentéisme, critère
intégré dans le calcul des primes d'intéressement, etc.
des conditions de travail, est un des
révélateurs à la fois objectif et subjectif de cette
construction sociale. La mise en lumière du travail réel est une
longue entreprise, notamment menée par des chercheurs en ergonomie,
présents sur les lieux de travail (TEIGER, LAVILLE, 1991). Elle est
à la source des interrelations établies entre le travail et la
construction de la santé.
Le terme même d' « absentéisme »,
présente une connotation négative significative de la
représentation médiatisée par les employeurs et les
institutions. Connotation, sur le mode culpabilisateur de comportements abusifs
vis-à-vis, à la fois, des collègues de travail et de la
solidarité nationale. C'est ainsi que l'on a tendance à valoriser
le présentéisme. On dit d'ailleurs souvent : « C'est un
bon employé, il ne s'arrête jamais », ou bien alors,
« j'avais de la fièvre, mais je me suis quand même rendu
au travail ». Ce type de représentation dominant
révèle, par ailleurs, un type de management dans les entreprises,
fondé sur une mobilisation « complète » des
capacités physiques, cognitives et psychiques des salariés qui
pose la question du risque d'une nouvelle aliénation dont les
conséquences ne sont pas évaluées.
A côté de cette représentation dominante,
celle de « l'arrêt ou congé maladie », historique et
institutionnalisée dans le système de l'assurance maladie est
partie intégrante du modèle d'Etat social en vigueur. Elle a du
mal à garder sa légitimité historiquement liée
à celle d'acquis sociaux obtenus dans des périodes symboliques de
notre histoire sociale (1936 et le Front Populaire, 1945 et la
Libération, etc.). Il s'agit d'une représentation relayée
par l'autorité médicale qui lui confère les vertus
thérapeutiques et à ce titre, constitue un des fondements du
traitement prescrit.
· Sur un plan sémantique, on peut souligner une
utilisation généraliste du terme, précisée, par les
différents motifs possibles (maladie, accidents du travail et du trajet,
maternité, convenance personnelle, etc.), alors même
qu'implicitement, le terme d'absentéisme seul s'applique dans le langage
habituel aux arrêts maladie. On soulignera également, sur ce plan
du langage, l'ambiguïté du terme « congé »
utilisé en association à celui de maladie pour
caractériser le droit acquis lors de son instauration.
· Sur un plan institutionnel, le concept recouvre des
situations très différentes qui mettent en jeu, dans le cadre
d'une relation contractuelle salarié-employeur, des procédures et
un cadre législatif ou règlementaire distincts. On peut citer
ainsi, par exemple, l'absence consécutive à la maladie, la
maternité ou l'arrêt de travail, validée par une
autorité médicale, l'absence autorisée par l'employeur
validée par la hiérarchie, l'absence institutionnelle
(congé paternité, etc.) validée par le Code du travail ou
/ et les accords conventionnels.
On peut citer, dans un registre similaire, la construction
sociale de l'aptitude au travail dont la responsabilité de sa
reconnaissance relève des services de Santé au travail
(anciennement Médecine du travail20). Ce concept sous entend,
comme une évidence, un jugement par le médecin au fil d'une vie
de travail, sur le degré d'adéquation des capacités
physiques et intellectuelles des salariés à leur poste de
travail. Ce qui reste discutable, n'est pas tant la
20 La réforme de la médecine du travail a
défini des Services de Santé au Travail dont le but est
d'adjoindre aux médecins du travail des intervenants en
prévention des risques professionnels qui peuvent être des
toxicologies, des ergonomes ou des ingénieurs en hygiène et
sécurité.
recherche louable du niveau d'adéquation entre l'homme
et son travail, mais le sens implicite et univoque des contraintes du travail
auxquelles il va de soi, que c'est à l'individu de s'y adapter.
On pourrait s'interroger sur une inversion du sens de
l'adéquation débouchant sur le degré d'aptitude d'une
situation de travail à l'individu consacrant enfin le principe
ergonomique de l'adaptation du travail à l'homme (KERBAL, 2003).