Les relations entre activités de travail et
santé sont complexes, tout d'abord, parce que si « le travail c'est
la santé », comme le dit la chanson populaire, il participe tout
à la fois aux aspects positifs et négatifs de l'état de
santé des salariés12 (HODEBOURG, 1993). Il devient,
ainsi, indispensable, de comprendre les interactions entre travail et
santé, lorsqu'on souhaite contribuer à l'amélioration des
conditions de santé physique et psychique des salariés. Mais leur
complexité, tient également, et surtout à une
multiplicité d'acteurs intervenant de manière spécifique
dans les champs en question et par voie de conséquence, à des
représentations différenciées et souvent contradictoires
plus ou moins formalisées, voire même institutionnalisées
dont les nombreuses interactions rendent difficile une analyse
précise.
Nous avons tenté de schématiser les facteurs et
les acteurs d'interaction dans un contexte descriptif (fig. 2 ci contre), qui
nous permet de replacer notre problématique dans son cadre plus
général. Le schéma met en évidence, l'importance
d'une approche pluridisciplinaire pour comprendre les mécanismes de ces
interactions.
A partir de la relation fondamentale de tension que les
salariés doivent gérer (réguler et arbitrer), entre
santé et exigences du travail, nous pouvons distinguer plusieurs
sphères qui vont relever d'une ou de plusieurs disciplines :
12 Jean HODEBOURG a écrit des pages émouvantes
dans son ouvrage « Le travail c'est la santé, perspectives d'un
syndicaliste ». Il a, ainsi, participé à un retour
salutaire du monde du travail sur les questions des conditions de travail et de
l'activité.
· Les jeux d'acteurs à partir de leurs
représentations dont l'analyse va plutôt relever d'une approche
sociologique.
· La situation de travail, ses caractéristiques
et les facteurs de régulation dans la tension efficacité /
santé qui vont intéresser, plus particulièrement
l'ergonomie, la médecine et la psychodynamique du travail.
· La rationalité des choix des individus, la
création de valeur, la nature, les processus et l'efficience des
organisations ou encore la relation avantages-coûts constituent, parmi
d'autres, quelques terrains de prédilection de la gestion et de
l'économie, notamment, de l'économie du travail.
Cette énumération n'est, bien entendu, pas
exhaustive. D'autres disciplines, telle l'épidémiologie, le
droit, etc. peuvent intervenir dans ce modèle. De plus, les champs de
recherche sont suffisamment vastes pour donner à chacune des raisons de
s'investir de manière autonome.
René PASSET montre l'intérêt de ce qu'il
appelle l'analyse « multidisciplinaire, multidimensionnelle ou
transdisciplinaire », pour l'analyse de systèmes complexes
dans ses différents travaux et en particulier dans la définition
et l'étude de « l'homme total » (PASSET R. 1996).
Les réflexions d'Edgar MORIN dans son entretien avec
Michel RANDOM sur la transdisciplinarité, nous paraissent
également particulièrement stimulantes (RANDOM M. 1996). En
parlant de l'évolution des sciences, il écrit : « Les
sciences progressent, dans la mesure où elles brisent leur
cloisonnement, mais ce cloisonnement se reforme toujours ». Ce
cloisonnement a sa légitimité, parce qu'il correspond à
une démarche analytique et que la dimension « solitaire » du
travail de recherche est incontournable. Il a également ses limites et,
en particulier, une double limite :
· Celle d'une dialectique nécessaire (MORIN parle
de « dialogique ») entre analyse et synthèse, entre
le « tout » et « la partie », qui nécessite de
constants allers-retours entre ces deux dimensions.
· Celle, également, d'une confrontation
nécessaire du travail solitaire, des
problématiques et des
résultats, à partir de méthodologies
différentes.
Cela implique, de sortir du cadre de la
légitimité stricte des pairs, pour dépasser «les
chapelles» disciplinaires et oser, ainsi, l'indiscipline
revendiquée par Edgar MORIN !
Si le problème se pose pour toutes les sciences, il
est particulièrement aigu pour l'économie et la gestion et
même, pour être plus précis, pour l'économie du
travail et la gestion.
En effet, comment peut-on s'ignorer superbement et
réciproquement, alors que les objets de chacun s'inscrivent dans un
champ commun ?
Il est vrai, que l'économie du travail ne
s'intéresse plus guère au travail qu'au travers de l'emploi,
tandis que la gestion considère le travail, au mieux, comme une
ressource dont il importe de minimiser le coût, en ignorant sa fonction
sociale de création de valeur. Faut-il rappeler, que TAYLOR13
a donné un statut scientifique à l'organisation du travail, avec
ses travaux sur la division
13 L'organisation scientifique du travail
sociale du travail en utilisant des techniques d'observation
et d'analyse des activités de travail, outils méthodologiques des
ergonomes, aujourd'hui. De la même manière Adam SMITH et MARX ont
utilisé l'observation des situations de travail14 pour
étayer leur raisonnement.
Le travail n'est pas l'emploi. Cela peut paraître
évident et il convient de le souligner, tant la prégnance des
problèmes du chômage et par voie de conséquence celle de
l'emploi a occupé le devant de la scène dans les dernières
années. (ZARIFIAN, 2003, p 7).
Cependant traditionnellement, le travail est analysé de
manière souvent réductrice selon deux types d'approches :
· Une, structurelle et fonctionnelle à partir du
concept de division sociale du travail qui renvoie aux notions de prescription,
de reproduction et de performances.
· L'autre, sous un angle stratégique renvoie aux
concepts de domination et d'exploitation et aux rapports de forces
créées selon le modèle résistance / soumission.
Ces approches, négligent le sens premier du travail
qui réside dans la capacité à pouvoir agir, à
donner du sens et de l'engagement de la subjectivité pour les
salariés. C'est l'exercice concret de la puissance de pensée et
d'action des individus à la fois dans leur singularité et dans
leur interdépendance.
Dans ce sens, l'exercice du pouvoir est irréductible
même dans les travaux les plus taylorisés. Paradoxalement, la
résistance est première et l'oppression seconde. La
Résistance ne signifie pas réaction mais affirmation de sa
puissance d'action sur le mode de son initiative et de sa force d'invention.
Si les sciences économiques, tout comme la gestion,
ont délaissé ce type de démarche, la reprise et le
perfectionnement par l'ergonomie ou la psychopathologie du
travail15, nous amènent à fonder des espoirs sur la
fécondité d'une nouvelle approche pluridisciplinaire pour
renouveler les fondements théoriques de la place et du rôle du
travail dans le fonctionnement de nos sociétés modernes.
Enfin, pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas la
prétention d'une pluridisciplinarité dominant chacune des
disciplines, ni encore moins, celle d'une connaissance universelle. Notre
démarche s'appuie, plus simplement, sur le pragmatisme de la pratique
d'une équipe pluridisciplinaire au service des institutions
représentatives des salariés, avec les apports de
l'expérience d'un militant syndical teintée par la
curiosité d'explorer les travaux de la communauté scientifique
s'intéressant au travail.
Cette démarche, nous paraît indispensable pour
faire le lien entre les différents indicateurs disponibles et, en
particulier, l'absentéisme maladie et l'accidentéisme au travail
et les concepts utiles à leur explication.
14 Comme, par exemple, celles de la manufacture
d'épingles. (Smith, 1776, livre premier, chapitres 1 à 3).
15 Christophe DEJOURS et Yves Clot, notamment, ont
contribué à donner des bases théoriques à la
psychodynamique à partir de leurs travaux sur la psychopathologie du
travail.