C. Approche méthodologique : Le cas empirique
d'une entreprise de la grande distribution
Nous avons souhaité explorer ces problématiques,
à partir du cas concret
5 De manière plus générale, un certain
nombre de travaux intéressants cherchent à chiffrer les
coûts réels des AT et de certaines pathologies
sous-estimées comme le stress. (EJEAN et SULTAN-TAIEB, 2004, RAMACIOTTI
et PERRIARD, 2000, SCWAB CHRISTE et SOGUEL, 1991).
6 Le risque est entièrement mutualisé pour les
entreprises de moins de 10 salariés et partiellement mutualisé
entre 10 et 200.
d'une grande entreprise de la distribution : Casino, avec une
approche monographique sur la période 1992-2005.
Le cas de la grande distribution nous paraît exemplaire
à plus d'un titre. C'est, en effet, un secteur dont le
développement est récent (il s'est surtout
développé depuis 40 ans), ce qui lui a permis de mettre en oeuvre
des organisations du travail rompant avec les organisations traditionnelles et
utilisant d'emblée les techniques de l'information en
révolutionnant non seulement l'organisation traditionnelle du commerce,
mais également les relations entre la production, la distribution et la
consommation. Par ailleurs, il s'agit, sans doute, du secteur qui a
créé le plus d'emplois dans les dernières années en
contribuant à l'institutionnalisation des emplois et des horaires
atypiques.
Casino est l'une des entreprises les plus importantes du
secteur, et dont la particularité est d'avoir traversé le
XXème siècle, non seulement sans disparaître,
contrairement à ses concurrents succursalistes ou coopérateurs,
mais en poursuivant un développement continu, qui en fait, aujourd'hui,
un groupe de référence sur le plan mondial. Cette
originalité, ne nuit pourtant pas, à la
représentativité de l'entreprise de son secteur et nous avons
essayé de vérifier, chaque fois que cela était possible,
le caractère cohérent des données disponibles, à la
fois avec deux de ses concurrents directs (Auchan et Carrefour) et avec les
données de la branche.
D'autre part, parmi, les dépenses qui augmentent le
plus, au niveau de l'assurance maladie, on trouve celles liées aux
arrêts de travail7. L'évolution des indicateurs
socio-économiques des bilans sociaux et des bilans financiers des
entreprises de la grande distribution, et notamment, ceux de Casino, montre
à la fois une hausse significative des indices8 de «
souffrance au travail » (DEJOURS, 1998), que constituent
l'accidentéisme et l'absentéisme maladie ; et une
répartition inégalitaire dans l'affectation des richesses
créées par les salariés à leur détriment.
La différenciation de statut social dans une entreprise
où la hiérarchie des salaires est particulièrement
resserrée autour du SMIC, se construit à la fois par la
catégorisation socio professionnelle et par le type de contrat de
travail. La typologie de précarité contractualisée est
déterminante pour expliquer les comportements des employés et des
ouvriers en termes d'absentéisme maladie. Les travaux d'E. CAMBOIS
(2004) ont mis en évidence le lien entre précarité sociale
et dégradation des conditions de santé. Cependant, son approche
globale sur l'ensemble de la population tend à s'attacher
essentiellement aux ruptures des parcours individuels affectifs et
professionnels. Nous tenterons, pour notre part de valider l'hypothèse
d'une relation de causalité entre le statut social et contractuel dans
l'entreprise et l'état de santé des salariés.
L'objectif de cette analyse consiste à tester
l'hypothèse d'une faible reconnaissance9 du travail en tant
que créateur de richesse, associée au remplacement de
l'organisation du travail dans sa dimension prescriptive, par le management par
objectifs, qui engendre une souffrance au travail dont le coût est en
partie externalisé sur la société. Cette souffrance est
aggravée par
7 Le rapport de l'IGAS souligne une augmentation de 46% entre
1997 et 2002.
8 Dans le sens de « l'évaluation des traces du
travail sur la santé » (VOLKOFF S. et coll. 2005), p.15).
9 Au sens de l'approche psychopathologique de SIGRIEST ;
c'est-à-dire « un sentiment d'un déséquilibre
entre la mobilisation et la rétribution, le sentiment d'injustice,
apparaît très prédictifs des atteintes à la
santé ».
le contexte d'intensification10 du travail, de
densification11 des tâches et par les politiques sociales de
flexibilisation du travail. Nous tenterons de mettre en évidence les
mécanismes de cette externalisation des coûts de santé au
travail sur les salariés, les institutions de protection sociale
(assurance maladie et mutuelles) et le budget de l'Etat et de les confronter,
aux représentations issues du débat sur le financement de
l'assurance maladie.
Dans cette optique, nous nous proposons de définir le
cadre théorique qui nous servira pour analyser nos résultats
tirés des matériaux empiriques recueillis au cours de nos
différentes interventions sur le terrain :
· Analyse statistique des indicateurs pertinents des
Bilans Sociaux et des Bilans Financiers de Casino France et confrontation avec
les données macroéconomiques des institutions de l'assurance
maladie et accidents du travail.
· Exploitation d'une enquête
réalisée dans le cadre du cabinet DEGEST pour la Coordination
Nationale des Syndicats CGT CASINO en 1997 auprès de 400 salariés
de l'entreprise dans 31 établissements répartis sur l'ensemble du
territoire.
La confrontation des résultats statistiques des
indicateurs sociaux économiques et financiers de l'entreprise, avec les
réponses des salariés et des résultats des enquêtes
nationales sur les conditions de travail, nous permettront de
réinterroger certains aspects de l'organisation et de la reconnaissance
du travail salarié et de ses incidences sur le fonctionnement de
l'assurance maladie. Nous souhaitons replacer ce questionnement dans le cadre
du débat plus général sur la crise de régulation de
l'Etat Social avant d'envisager une démarche d'approche plurielle, en
matière de critères et d'indicateurs sociaux dans l'entreprise
articulés à ceux de la puissance publique.
** ***** *
10 On peut définir l'intensification du travail comme la
réalisation d'un même nombre de tâches ou d'activités
dans une durée plus réduite.
11 La densification du travail correspond à la
réalisation d'un nombre croissant de tâches ou d'activités
différentes dans une même durée de temps
fig. 2 : Les interactions entre facteurs et acteurs de
la santé au travail
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