B. Réintroduire le point de vue du travail : Une
nécessité pour la responsabilisation des acteurs
Il nous a semblé utile de questionner cette
problématique à travers le point de vue du travail3
dans une démarche d'économiste, empruntant à diverses
disciplines scientifiques qui se donnent le travail comme objet
d'étude.
Nous souhaitons nous intéresser plus
particulièrement aux mécanismes du développement d'un
certain nombre de pathologies liées au travail (et au chômage) qui
contribuent largement à une progression des indicateurs de
morbidité et qui participent à celle des dépenses de
santé.
En effet, d'après l'enquête emploi de l'INSEE de
Mars 2002, parmi les personnes de 15 à 64 ans travaillant ou ayant
travaillé, une sur quatre attribue ses problèmes de santé
chroniques au travail (INSEE Premières, n° 19.1 Mars 2004).
Il nous semble donc utile de réintroduire dans le jeu
des acteurs de la santé, le travail et l'organisation de l'entreprise
qui jouent un rôle central dans les mécanismes de santé.
Cette démarche diffère sensiblement de celle d'un débat
public dominant semblant réduire le problème aux comportements
des patients qui « se soigneraient trop sans accepter de payer plus
» et aux professionnels de santé « trop dispendieux
dans leur fonctionnement »4.
Les politiques de santé actuelles relèvent, pour
l'essentiel, d'un raisonnement à partir de l'offre qu'il faudrait
contenir afin d'enrayer la demande de soins. Nous pensons, au contraire, qu'il
convient de s'interroger sur cette demande, afin de mieux l'identifier, en
évaluer les enjeux et la traiter, en particulier, par une politique de
prévention (LORIOL, 2002) dans laquelle la place du monde du travail
paraît déterminante.
Poser le problème en ces termes, conduit à
s'intéresser au financement de la santé dans l'entreprise, et
notamment à sa répartition entre les acteurs en fonction de leur
rôle dans l'évolution des dépenses de santé.
Au delà de la souffrance physique qui existe encore dans
les entreprises, malgré le progrès technique permis par la
mécanisation et l'automatisation, se développe une souffrance
psychique, liée à la fois, à la non reconnaissance
2 En effet, dès 1981, un rapport de l'OCDE donne le
ton. Sous le titre « La crise de l'Etat-providence », c'est
en fait, une condamnation sans appel de la place de la protection sociale
accusée de miner le sens des responsabilités, de la famille et de
l'effort. Cité par F.X. MERRIEM in MERRIEM F.X., PARCHET R., KERNEN A.
(2005), page 259.
3 Il ne s'agit pas d'un point de vue idéologique, mais,
« géographique », c'est-à-dire, à partir des
observations et des analyses que l'on peut faire dans les milieux du
travail.
4 Le rapport (2004) commandé par la CNAMTS à
l'ANAES pour préparer un argumentaire à utiliser dans le cadre
d'un accord de bon usage de soins (AcBUS) concernant la prescription des
arrêts de travail pris en charge par la branche maladie, pose le
problème dans les termes suivants : « L'existence de
macro-facteurs pose évidemment la question de la part évitable
dans la croissance des dépenses, c'est-à-dire dues à des
stratégies comportementales des acteurs (patients et médecins) et
des outils à mobiliser ».
des savoirs et des savoir-faire au travail, et à de
nouvelles formes de l'organisation du travail qui participent fortement
à la dégradation de la santé des salariés.
Moins médiatisées que les maladies psychiques,
malgré la brûlante actualité des ravages de l'amiante, se
développent de nombreuses pathologies toxicologiques, sous l'effet de la
multiplication des produits chimiques utilisés au travail, et dont on ne
connaît pas bien les effets sur le plan cancérigène, et
mutagène, notamment.
Si les professionnels de santé ont vu exploser, ces
dernières années, les pathologies musculosquelettiques, les
troubles cardiovasculaires, les cancers et la souffrance psychique, leur lien
avec le travail n'est pas souvent recherché. Pourtant, le parlement et
la Sécurité sociale (article L.176-2 du Code de la
Sécurité sociale), reconnaissent, la prise en charge par la
branche maladie (cofinancée par les salariés) de nombre de ces
pathologies, en lieu et place de la branche accidents du travail et maladies
professionnelles (l'ATMP est strictement financée par les seuls
employeurs), pour un montant inscrit dans la loi de financement de la
sécurité sociale, de plusieurs centaines de millions d'euros
chaque année.
Certains auteurs (ASKENAZY, 2005) considèrent
même, que la branche ATMP ne prend en charge que la moitié du
coût réel, soit 5 milliards d'euros par an correspondant à
une sous-déclaration des accidents du travail de l'ordre de 20% et par
une reconnaissance très incomplète des maladies professionnelles,
comme en atteste, par exemple, la création d'un fonds public (FIVA) pour
l'indemnisation des victimes de l'amiante5. Ce
phénomène est aggravé par une forte mutualisation du
risque pour les petites entreprises6, ce qui permet d'externaliser
les risques les plus importants par la sous-traitance des travaux les plus
pénibles ou dangereux. Cette technique est largement utilisée
dans le BTP, par exemple. Le système actuel ne responsabilise
guère les entreprises, malgré les apparences.
C'est dans cet ordre d'idées, que nous proposons
d'explorer les fondements théoriques de notre pratique, de confronter
notre expérience avec l'état de la recherche en gestion et en
sociologie, de systématiser et formaliser notre démarche.
Le thème de la protection sociale et de l'assurance
maladie, en particulier, récurrent dans le débat social depuis 40
ans, peut être l'occasion d'utiliser une partie des matériaux
accumulés depuis 15 ans de pratique professionnelle. C'est dans ce cadre
que s'inscrit notre contribution sur l'analyse des enjeux de ces
problématiques qui traversent le monde du travail.
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