A l'occasion du 35ème anniversaire de
Carrefour et de la première année de la création de sa
Direction des Ressources Humaines, Le Figaro du 9 juillet 1998, dans un article
intitulé : « Carrefour veut se donner une image sociale »,
décrit l'initiative médiatique du distributeur en écrivant
:
« Chez Carrefour, on ne néglige pas le social
et on tient à le faire savoir. L'initiative est conforme à une
tendance de fond des grandes sociétés, qui de plus en plus,
revendiquent le titre d'entreprise citoyenne, image et marketing obligent.
».
Sans rentrer dans une polémique stérile, on
à peine à lui accorder un tel label, tout comme d'ailleurs aux
autres entreprises de la grande distribution, lorsqu'on lit attentivement les
réponses aux questions ouvertes de notre enquête parmi les
salariés de Casino, Carrefour et Auchan. La lecture des travaux qui
racontent le quotidien des relations hiérarchiques et des souffrances
vécues par les salariés, n'autorise pas plus à aller dans
ce sens (PHILONENKO et GUIENNE, 1998, RAMAUT, 2006).
Par contre, il nous semble que la question se pose et
même, qu'il est indispensable de ne pas laisser les entreprises «
s'autoattribuer » les médailles dans ce domaine, d'autant que
l'utilisation du commerce équitable dans les principes du marketing tend
à devenir, aujourd'hui, un passage obligé pour la valorisation de
l'image des entreprises. On ne comprendrait, pas en effet, qu'elles puissent
vanter, auprès des consommateurs, les mérites de la
solidarité internationale pour « payer le juste prix aux petits
producteurs dans le monde, tout en considérant dans la pratique du
quotidien, leur personnel comme une simple variable d'ajustement.
Certains des travaux qui se développent sur ce sujet
(ARNAL et GALAVIELLE, 2005, et CAPRON M. et QUAIREL-LANOIZELEE F. 2004),
tendent à montrer le caractère souvent réducteur de
l'approche des employeurs dans le domaine de la responsabilité sociale
des entreprises (RSE). En effet, les initiatives, en ce domaine se heurtent
rapidement à la contradiction entre le « leadership », mode de
gestion qui a prévalu, jusqu'à présent «
shareholders74 » et la prise en compte des acteurs de
l'entreprise en dehors des actionnaires (« stakeholder »).
D'ailleurs, certains, préfèrent utiliser le terme de «
Responsabilité Sociétale des entreprises », choix qui n'est
pas anodin et qui traduit la volonté d'accréditer l'idée
que les entreprises pourraient se substituer à l'Etat pour assurer les
régulations nécessaires, dans une démarche toute
libérale.
74 La prise de conscience de la multiplicité des
parties prenantes et de leurs intérêts dans le fonctionnement des
entreprises a conduit à l'approche de ce que les anglo-saxons nomment la
« stakeholders theory » qui s'oppose à la conception
première de la gouvernance d'entreprise qui privilégie uniquement
l'actionnaire « shareholders » ou «leadership ».
On peut regretter, de ce point de vue, le caractère
général de la loi de 2001 sur les NRE (Nouvelles
Régulations Economiques) 75 et surtout, la négation du
principe d'association des salariés et de leurs représentants
à la gouvernance de l'entreprise, malgré la
nécessité reconnue de tenter de concilier les
intérêts des actionnaires (petits et grands) et des
salariés (ALTERNATIVES ECONOMIQUES, 2004 et ATTAC, 2004).
Dans ce cadre, il nous semble nécessaire de souligner
un problème qui nous paraît relativement peu abordé dans le
débat sociétal, et souvent négligé par les
organisations syndicales, alors que pourtant fondamentalement
d'actualité : celui du pouvoir dans les lieux mêmes de la
valorisation du travail créateur de richesses.
Autrement dit, nous ne pouvons pas nous contenter d'un
système social qui confine la démocratie aux portes de
l'entreprise. L'actualité quotidienne fourmille d'exemples qui montrent,
la crise grave affectant le pouvoir dans toutes ses déclinaisons
(managérial, médiatique, politique, etc.).
Contrairement à une idée reçue, le
contenu des luttes ouvrières en France a souvent été
marqué par la revendication de pouvoir participer à la gestion de
son destin, même si on ne l'a pas souvent valorisé. Cela a
été le cas, notamment, des luttes pour le contrôle des
caisses d'initiative patronale au XIXème siècle, qui
relèvent d'une lutte plus globale et traditionnelle en France contre
l'arbitraire patronal (DREYFUS, 2001).
N'est-on pas dans une époque particulièrement
propice à la revendication du pouvoir à partager dans les
décisions d'utilisation des richesses créées par le
travail ? Nous croyons à la nécessité d'une
véritable révolution symbolique à engager de ce
coté là, pour donner les raisons de faire émerger de
nouvelles espérances et de fonder de nouvelles solidarités
sociales indispensables à la cohérence de l'Etat-Nation.
Cela implique, non seulement la définition de
nouvelles régulations sociales, mais également, la mise en place
de processus d'informations pertinentes et de contrôles, associant
l'ensemble des acteurs du monde du travail et plus largement des citoyens.
Nous ne croyons pas au concept d'entreprise « souveraine
» associée à celui de « gouvernance » par un noyau
d'actionnaires sous le contrôle moral des autorités du
marché. Ce modèle montre, chaque jour, un peu plus ses limites.
L'entreprise résulte d'une construction sociale dans laquelle chacun des
acteurs (actionnaires, dirigeants, salariés, clients, fournisseurs,
Etat, etc.) a une légitimité associée au rôle qui
est le sien dans les processus de création de richesses.
Cette remarque nous renvoie au concept de
propriété et du rapport social induit dans toute la
complexité qu'il recèle. Nous ne pouvons réduire le sens
de la propriété de l'entreprise pour les actionnaires, à
celui de la propriété d'un objet réservé à
leur usage personnel, pas plus que celui d'une propriété
collective déléguée à l'Etat par le biais d'une
nationalisation, s'est révélé opérant en soi. La
question de la responsabilité sociale des entreprises existe bien, mais
au travers de la responsabilité sociale de chacun de ses acteurs et,
notamment, par l'investissement qu'en décideront les salariés, en
tant que partie prenante du processus décisionnel.
75 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles
régulations économiques
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L'exploration du réel avec un regard qui
cherche à s'affranchir de la pensée dominante en matière
de gestion, suggère de nombreuses pistes de recherche pouvant
répondre au malaise croissant crée par les contradictions d'un
système qui semble montrer de plus en plus ses limites.
L'exemple de l'évolution des performances
économiques, sociales et financières de Casino réinterroge
les mécanismes qui président au fonctionnement de l'assurance
maladie. Il pose le problème de la responsabilité sociale des
entreprises au sens premier du terme, c'est-à- dire de leur contribution
à un fonctionnement harmonieux de la société et au
développement de la cohésion sociale.
Force est de constater, que les évolutions de
l'organisation du travail et de la rémunération, favorisés
par la déréglementation et, paradoxe libéral, par une
dérégulation organisée par l'Etat, contribuent à
généraliser une incertitude sociale dont les effets sur la
santé génèrent de multiples troubles supportés par
l'ensemble de la société.
Cette responsabilité est également celle
de l'Etat et par conséquent des citoyens qui devraient s'atteler
à reprendre l'édifice inachevé de « l'Etat social
» pour lui redonner les moyens, adaptés à la situation
actuelle, et capables de contribuer à la cohésion sociale
nécessaire par des régulations plus efficaces.
C'est également la responsabilité des
salariés, de leurs organisations syndicales et de leurs institutions
représentatives, pour investir le domaine de l'organisation du travail,
plus et mieux participer à la prévention de la santé au
travail et contrôler les fonds distribués sous forme de
cotisations sociales, tout comme le niveau des exonérations dans ce
domaine et leur utilisation.
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