Le choix, même d'un sujet, dans un travail de cette
nature, constitue à lui seul, une question douloureuse, dans la mesure
où il consiste à laisser de côté de nombreuses
questions, certes en lien parfois direct avec la problématique choisie,
mais supposant un effort de recherche, en soi suffisant, pour ne pas les
traiter de manière superficielle. Nous avons conscience, à
l'issue de notre travail de ne pas toujours avoir su se prémunir de ce
défaut et débordé du sujet à propos de questions
qui nous tiennent à coeur, mais qui auraient mérité mieux
qu'un simple survol. Nous souhaitons, ici, nous en excuser, par avance. C'est
sans doute, l'une des principales difficultés que nous avons
rencontré et sans doute, la principale limite de ce travail.
L'approche pluridisciplinaire que nous avons choisie pour
analyser le phénomène de hausse de l'absentéisme maladie
et de l'accidentéisme dans le cas d'une entreprise de la grande
distribution a montré les dérives d'une analyse, le plus souvent
sous l'angle de la rentabilité financière, sans
référence à la réalité des systèmes
de santé au travail et des besoins réels des salariés.
Cette approche pluridisciplinaire soulève de vastes
questions que la présente recherche n'avait pas l'ambition de traiter.
Plus modestement, elle se voulait une contribution au débat sur le
lancinant enjeu de la tension efficacité-santé, à partir
des connaissances et des expériences acquises en milieu professionnel,
sur la réalité du travail.
Nous avons tenté de montrer que le compromis de cette
tension a toujours été géré au détriment des
salariés au regard des dégâts engendrés par des
logiques d'organisation, tributaires de la rationalité économique
qui considère le travail comme un « coût » dans le
processus de valorisation de la production et comme une « contrainte
» dans le calcul économique.
Nos résultats mettent en évidence le besoin de
développer d'autres grilles de lecture et la construction de nouveaux
indicateurs, autres que comptables, pour nourrir le nécessaire
débat pluriel dans le traitement des questions soulevées dans
notre recherche.
En effet, les indicateurs comptables n'enregistrent que des
flux visibles et quantitatifs qui sont loin de refléter l'ensemble des
flux invisibles (mobilisation de la subjectivité au travail,
activité psychique, intensité, densité du travail, etc.).
Et même la réalité du travail ne peut se limiter à
une liste, aussi exhaustive soit-elle, de contraintes plus ou moins
juxtaposées pour décrire l'homme au travail et le réel de
l'activité.
Ces questions concernent toute la société parce
qu'elles touchent plus globalement des enjeux qui dépassent la seule
sphère de l'entreprise, pour toucher plus directement la santé
publique dont la santé au travail ne constitue qu'une des dimensions.
Celle-ci est, cependant, essentielle parce que la santé se construit
aussi dans le travail.
La santé, c'est aussi « ne pas la perdre à
gagner sa vie » au regard des risques auxquels les salariés sont
exposés au quotidien. Nous reprenons le voeu formulé par Philippe
ASKENAZY, stigmatisant « l'urgence à reposer le travail »
(ASKENAZY, 2006).
C'est dans cette perspective que l'approche
pluridisciplinaire peut trouver sa légitimité face aux
défis de la complexité où chaque sujet, chaque acteur peut
apporter sa contribution avec ses méthodes et ses outils, avec ses
connaissances et expériences du travail, dans des cadres de co-analyses,
et dans des réseaux d'échanges, de confrontations et de
coopérations impliquant des règles communes de conduite,
clairement définies et partagées au service ultime de la
collectivité et de la cohésion sociale.
De tels cadres ne peuvent que contribuer à la
construction de démarches et de méthodologies d'analyse qui
favorisent l'effort de questionnement dans l'explicitation des choix, des
limites, des compromis et des enjeux induits dans la gestion de la tension
santé-efficacité permettant de donner enfin sens au fameux
leitmotiv véhiculé par les cultures managériales et les
projets d'entreprise qui proclament que « l'homme en est la principale
richesse ».
Encore faudrait-il le reconnaître, autrement, que par
des slogans, en s'en donnant les moyens. Ils pourraient déboucher sur
des expérimentations concrètes, permettant aux salariés et
plus généralement aux citoyens, de s'impliquer dans le
débat et dans l'action participative.
Ces questions, nous paraissent avoir un caractère
d'urgence dans leur traitement, sous peine de s'enliser dans un processus
inefficace et couteux pour la société et pour les individus.
Notre système social a largement prouvé ses avantages dans le
passé et présente encore, aujourd'hui, des principes et des
résultats avantageux, notamment, au regard des systèmes
dominés par leur caractère marchand, comme celui des Etats-Unis.
Il nous reste à montrer les capacités individuelles et
collectives pour le renouveler.
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