Depuis 1993, les gouvernements français successifs ont
mis en place une série de mesures consistant à alléger les
cotisations sociales des employeurs sur les salaires les plus bas. On peut
considérer que depuis treize ans il y a eu trois vagues de mesures
d'allègement des cotisations sociales (Voir annexe G).
· Première vague : Entre juillet 1993 et
octobre 1996, sont mises en place des réductions de cotisations
sociales portant sur les salaires inférieurs à 1,2 fois le SMIC
(juillet 1993 à décembre 1994), puis sur les salaires
inférieurs à 1,3 SMIC (de janvier 1995 à septembre 1996),
et enfin sur tous les salaires inférieurs à 1,33 SMIC (à
partir d'octobre 1996). Ces dernières réductions sont plus
connues sous le nom de « ristourne Juppé ». Ces diverses
réductions de cotisations salariales avaient pour objectif d'encourager
les employeurs à recourir à plus de main-d'oeuvre non
qualifiée et à créer des emplois non qualifiés.
Elles étaient par ailleurs inconditionnelles : seul le niveau de salaire
déterminait l'accès ou non à une réduction de
cotisations.
· Seconde vague, à la fin des
années 1990, les lois Aubry I (juin 1998) et Aubry II, janvier
2000) ont eu quant à elles pour objectif d'inciter les employeurs
à réduire la durée du travail en atténuant le
« surcoût » salarial induit par la baisse de la durée du
travail. Les allègements proposés, plus conséquents que
les précédents, sont cette fois conditionnés à
l'adoption par l'entreprise d'une nouvelle durée du travail,
inférieure ou égale à 35 heures hebdomadaires ou 1.600
heures annuelles. L'aide est double : à une réduction forfaitaire
de cotisations sociales s'ajoute un allègement dégressif pour les
salaires inférieurs ou égaux à 1,8 SMIC. Par ailleurs, la
« ristourne Juppé » reste en vigueur pour les entreprises qui
ne réduisent pas le temps de travail.
· Troisième série de mesures, le
dispositif Fillon de 2003 se donne pour objectif de réduire le
coût de la convergence des salaires minimums. Il vient se substituer
à la réduction dégressive sur les bas salaires et à
l'allègement « 35 heures » des lois Aubry. Les taux de
cotisations sociales sont allégés pour tous les salaires
inférieurs à 1,6 SMIC. Le seuil au-delà duquel on ne
bénéficie plus des allègements est ainsi en baisse par
rapport au dispositif Aubry, mais reste néanmoins au voisinage du
salaire médian. Le niveau des allègements doit augmenter
progressivement entre 2003 et 2005. Enfin, cet allégement est, comme la
« ristourne Juppé », inconditionnel : son impact est cependant
différent selon que l'entreprise est « passée » ou non
aux 35 heures et selon la date de passage.
Si chacune de ces vagues visait des objectifs
différents, elles ont abouti à des effets similaires. D'autant
que cette présentation succincte ne doit pas faire oublier qu'au fil du
temps, différents aménagements au mode de calcul des
allègements ont été apportés, pouvant eux aussi
avoir des effets, tant sur le recours au temps partiel plutôt qu'au temps
complet, que sur le recours aux heures supplémentaires plutôt
qu'à l'embauche de CDI, CDD ou intérimaires.
Toutes les études réalisées sur les
effets de ces allègements produisent des résultats
mitigés, discutés et certains auteurs avancent, même des
jugements sévères (REMY, 2006). C'est ainsi que la Cour des
comptes dans un rapport non publié de 2006 (Liaisons sociales, 2006),
considère un coût trop onéreux,
au regard des faibles effets sur l'emploi. LERAIS (2001),
émet l'hypothèse d'un effet négatif sur la
productivité du travail !
Ces différents dispositifs ont un coût croissant
: on évalue à environ 19,8 milliards d'euros le coût des
réductions de cotisations patronales pour l'année 2005,
contre17,1 milliards en 2003 ; 5,8 milliards en 1996 et 0,6 milliard en 1993,
date de la première mesure de ce type (CREPON et DESPLATZ, 2001 et
Liaisons sociales n°14696 septembre 2006). De plus, ils ne
compensent pas complètement le manque à gagner pour la
Sécurité Sociale (VOLOVITCH, 2001).
Cette croissance des coûts et leur niveau atteint,
appelle une remise à plat urgente du système, d'autant que le
gouvernement De Villepin, s'apprête à mettre en place, encore, un
nouveau dispositif de dérégulation, pour mettre en oeuvre une des
promesses du Président de la République, avec
l'exonération de toutes les cotisations sociales patronales pour les
salaires égaux au SMIC.
Plusieurs pistes non exhaustives, nous semblent
intéressantes à explorer avec un phasage dans le temps qui
permette de traiter parallèlement les problèmes de court terme et
une action en profondeur sur le long terme :
· Une réévaluation des
salaires (et pas seulement des plus bas), qui permet de relancer la
consommation et l'épargne, répond à un besoin crucial de
reconnaissance du travail, participe au bien-être des salariés et
par là même, contribue à inverser la tendance à la
dégradation de la santé liée à ces questions. Cette
réévaluation, apportera, de manière mécanique, une
hausse des cotisations sociales significative : A titre d'exemple, une hausse
de 1% des salaires en plus des hausses programmées, amènerait 9
milliards d'euros, permettrait une réduction du déficit 2005 de
la protection sociale de 46,4%. Ce financement par le profit des entreprises ne
représente que 2% de l'excédent brut d'exploitation national !
· Une réduction progressive et
modulée des exonérations de cotisations sociales
permettrait de réduire le budget de l'Etat et de
rééquilibrer celui de la protection sociale. Elle peut se faire,
de manière jumelée avec la réévaluation des
salaires, en rétablissant une affectation plus juste de la valeur
ajoutée des entreprises, dont nous avons vu l'évolution
disproportionnée au profit des revenus du capital. Ces mesures devraient
intégrer une plus grande systématisation du contrôle des
cotisations versées par les employeurs en rendant obligatoire une
information détaillée au Comité d'entreprise, qui devrait
disposer des moyens de vérification ad hoc. Dans le même sens, la
question devrait être abordée dans les négociations
annuelles sur les salaires et donner lieu à une information
détaillée.
· Un transfert plus juste et plus incitatif
combiné à une hausse du taux de cotisation à la caisse des
ATMP, permettrait de mieux sensibiliser les partenaires sociaux dans
les entreprises à mettre en place de véritables politiques de
prévention de la santé au travail. Le rapport DIRICQ71
a évalué la dépense en cause : « a minima, une
fourchette située entre 355 et 750 millions d'euros (hors IJ en ce qui
concerne les maladies)» (DIRICQ, 2006). Cette évaluation est
largement
71 Du nom du Président de la commission chargée
par l'Assemblée Nationale d'évaluer les dépenses prises en
charge par la caisse de l'assurance maladie en lieu et place de celle des
APMP.
contestée, à la fois, par des universitaires
(ASKENAZY, 2005) et par les organisations syndicales. C'est ainsi, que la CGT a
transmis à la commission DIRICQ (voir annexes du rapport DIRICQ), une
évaluation argumentée estiment le transfert nécessaire
à 15 milliards d'euros. Le parlement à retenu un montant de 330
millions d'euros !
· Une amélioration significative et une
transparence accrue du système d'information de la CNAMTS qui
permette un meilleur suivi épidémiologique des pathologies en
lien avec la santé et une meilleure prise en charge dans les tableaux
des maladies professionnelles. Il faut souligner que la commission DIRICQ,
comme celle qui l'a précédée a émis un avis
sévère sur la qualité de ce système
d'information.
· La suppression de la CADES et la
reprise par les institutions publiques de la gestion de la dette sociale
amènerait des économies de frais financiers et supprimerait une
spéculation encourageant les marchés financiers.
· La modification de l'assiette des
cotisations. Nous serons, volontairement prudents sur cette question,
dans la mesure où les débats actuels72 sur le sujet,
montrent les risques de déstabilisation du système pouvant
entraîner de nombreux effet pervers. De plus, le quasi consensus apparent
des tenants de l'élargissement de l'assiette à la valeur
ajoutée, nous semble masquer des divergences tellement profondes, qu'il
ne nous paraît pas possible de soutenir une solution seulement sur la
base de son principe, sans en explorer de manière approfondie les
modalités et les conséquences possibles.
La plupart de ces propositions, peuvent permettre, rapidement
une réduction massive du déficit social et favoriser sur un plus
long terme, l'approfondissement et l'expérimentation nécessaires
à réforme en profondeur que la plupart des acteurs
réclament de concert. Encore faudra-t-il que chacun prenne ses
responsabilités.