C'est ainsi que l'on peut suivre en temps réel et en
continu, les performances d'une entreprise sur les marchés financiers,
tandis que, par exemple, le bilan social résultant d'une obligation
légale datant de 1977, n'a guère évolué dans son
contenu, sa présentation, dans la pertinence et la fiabilité de
ses données et dans le délai de présentation aux IRP
(Institutions Représentatives des Salariés)63 depuis
son instauration.
Pourtant, les systèmes d'information utilisés
pour la gestion64 des entreprises, permettent d'établir des
tableaux de bord multiples, généralement réservés
aux seuls dirigeants des centres de profit, renforçant ainsi,
l'opacité de la gestion et de la définition stratégique
des objectifs de l'entreprise. Pourtant, les salariés, par le biais de
leurs représentants, doivent se contenter des documents mis à la
disposition du Comité d'entreprise (et d'établissement), tel le
bilan social, dont la qualité n'est plus à la hauteur des enjeux
de l'information dans le débat social à l'aube du
troisième millénaire. Par ailleurs, seuls sont communiqués
les comptes sociaux au niveau de l'entreprise, ce qui ne permet pas le plus
souvent aux élus et aux salariés, de disposer
d'éléments d'appréciation factuels sur les performances de
leurs établissements.
Sur le plan institutionnel, on peut relever également,
le caractère réducteur, incomplet et parfois partial des
indicateurs utilisés, alors que les documents officiels, tels la
DADS65, sont informatisés et rassemblent un grand nombre de
données sociales, sans qu'elles ne soient utilisés
systématiquement pour alimenter l'information sociale et
publique66, participant ainsi, à une certaine
63 Les données annuelles du Bilan Social sont
présentées au Comité d'entreprise dans un délai
variant de 3 à 6 mois après la fin de l'exercice
écoulé.
64 Les entreprises utilisent de plus en plus des systèmes
informatisés de gestion intégrés (ERP) permettant un suivi
permanent des performances industrielles, économiques, comptables,
financières et sociales.
65 La déclaration annuelle des salaires est transmise
obligatoirement chaque année aux organismes fiscaux et sociaux.
66 Il convient, néanmoins de valoriser l'initiative de
L'INSEE qui produit depuis 1998 une enquête sur une
dizaine
d'indicateurs de la DADS sur un échantillon égal
à 1/12ème de la population des entreprises (de 1/25ème de
1998 à
« privatisation » du savoir. Les bases de
données économiques et sociales privées se multiplient,
alors que l'Etat et les institutions publiques ne se dotent pas des moyens
nécessaires pour traiter une information fiable, transparente et
pertinente accessible à tous et répondant aux critères
d'intérêt général dont la puissance publique est
responsable.
C'est ainsi, qu'en matière de réparation
intégrale des AT et des MP, le rapport commandé par le ministre
de la santé Elisabeth GUIGOU note : « On observera, à ce
stade, combien le contraste est saisissant entre la sensibilité de ce
dossier et son ancienneté, d'une part, et, d'autre part, la
pauvreté des informations disponibles pour éclairer
d'éventuelles décisions. Ainsi, le dossier n'est-il pas
fondamentalement mieux documenté que lors de la parution du rapport de
M.M DORION et LENOIR, membres de l'IGAS, en 1991... » Par ailleurs,
on sait que les résultats de l'enquête CNAM de 1997 sur les
maladies professionnelles n'ont pas été publiés ! (YAHIEL,
2002).
D'une manière plus générale, les
indicateurs de la macroéconomie versés dans le débat ne
correspondent pas aux critères de management de l'entreprise. Issus de
la comptabilité nationale, ils mesurent les agrégats, tout en
négligeant les flux et ignorent une partie non négligeable de
l'activité (associative, souterraine, etc.). En effet quand le PIB
(Produit Intérieur Brut) par habitant ou l'indice de
Développement Humain (IDH) 67 sont les ratios les plus connus
pour caractériser la performance d'un pays, l'entrepreneur et
l'actionnaire s'intéressent essentiellement à la
rentabilité des capitaux investis68, rarement à la
richesse produite (valeur ajoutée)69 et encore moins à
la santé des salariés. Ceux-ci continuent de considérer le
travail comme un coût et non comme une source de valeur.
Cette situation génère des effets pervers et
alimente des débats contradictoires sur la qualité et la
fiabilité des statistiques publiques. L'exemple des chiffres
publiés par le gouvernement sur les statistiques de l'emploi et du
chômage est significatif à cet égard. L'opacité du
système favorise les suspicions quant à la réalité
des données et aux tentations possibles de leur utilisation à des
fins autres que scientifiques et professionnels.
Elle tend également à affaiblir la
crédibilité des analyses sur la réalité
économique et sociale, et par conséquent, la pertinence des
solutions proposées. Ces solutions sont perçues, plus comme
appartenant à la sphère du politique, que comme des perspectives
dont les citoyens pourraient s'approprier. Comme disait GRAMSCI : « Le
peuple sent, mais ne sait pas ».
Et, pourtant, la présence de plus en plus
marquée des experts des élites dans le débat
ambiant70, vise à légitimer le point de vue
défendu. Sans doute, parce qu'au-delà du discours à la
mode sur la démocratie participative, les principaux concernés ne
se sentent pas associés à l'élaboration que l'on
présente, toujours selon une démarche élitiste distinguant
ceux qui pensent et qui ont le pouvoir réel ou symbolique, de ceux qui
doivent mettre en oeuvre. Dans ce
2001). L'accès à ce type de données, n'est
cependant pas simple, puisque soumis au contrôle de la CNIL, sous
prétexte de confidentialité.
67 Indicateur mis au point et utilisé par l'ONU à
partir des travaux d'A. SEN pour établir des comparaisons
internationales.
68 Résultat net sur capitaux propres.
69 Solde entre le chiffre d'affaires et les consommations
intermédiaires.
70 Commissions de sages, rapports d'experts, commentateurs
« professionnels » aux côtés des journalistes, etc.
sens, l'irruption des experts dans la sphère politique
n'est pas sans influence sur le concept de démocratie dans la mesure
où le politique s'appuie sur l'opinion de l'expert en tant que «
vérité révélée ». Il ne tire plus sa
légitimité du peuple qu'il représente, mais de l'expert
dans un mouvement d'instrumentalisation réciproque. La distinction entre
le politique et le savant, au sens des travaux de Max WEBER (1919), nous semble
de ce point de vue, brûlante d'actualité.