c) Une évolution antagonique des cotisations
sociales et de l'absentéisme qui montre l'externalisation des
coûts de la santé des salariés
C'est en faisant le rapprochement entre la hausse de
l'absentéisme au travail pour maladie ou accidentéisme et
l'évolution des cotisations sociales payées par l'entreprise que
l'on peut mettre en évidence l'externalisation des coûts de la
santé au travail. La fig. 51, montre bien l'évolution divergente
de ces deux indicateurs pendant la période étudiée
à partir de 1994.
140
130
120
110
100
90
80
70
60
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
2004
Evolution comparée de l'absentéisme
maladie et AT avec le coût des cotisations sociales
(1992-2005)
Absentéisme moyen (maladie + AT)
Cotisations sociales
Fig. 51
Evolution comparée
1992
|
1993
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
Cotisations sociales
|
100,0
|
94,1
|
90,1
|
83,9
|
76,5
|
75,8
|
80,0
|
80,2
|
67,3
|
71,4
|
70,7
|
69,2
|
71,1
|
Absentéisme moyen (maladie + AT)
|
100,0
|
99,4
|
86,1
|
91,1
|
85,7
|
86,6
|
92,5
|
97,6
|
113,8
|
123,1
|
129,6
|
129,0
|
122,4
|
|
Source : Bilans sociaux et financiers Casino 1992 - 2005
et calculs personnels
Bien évidemment, l'absentéisme a un coût.
Celui-ci n'est pas simple à appréhender de manière
formelle et exhaustive. En effet, il est constitué de nombreux
éléments, et pour l'essentiel, il constitue l'un des meilleurs
exemples de ce que l'appelle communément les « coûts
cachés ».
Sans rentrer dans les détails d'un sujet qui
mériterait de nombreuses recherches et qui a fait d'ores et
déjà l'objet de nombreux travaux, on se contentera
d'énumérer quelques unes des composantes les plus
évidentes de ces coûts (apparents et cachés), dans le cas
précis de l'absentéisme lié à la maladie et
à l'accidentéisme :
· Les salaires directement supportés
par l'entreprise sous forme de paiement des jours de carence ou de
complément aux indemnités journalières versées par
la sécurité sociale.
· Les salaires non perçus par les
salariés qui sont soumis aux règles de la carence, soit
parce qu'ils non pas d'ancienneté suffisante (c'est notamment le cas des
contrats CDD), soit parce que leurs droits sont épuisés (en
particulier, dans les cas de longues maladie).
· Les indemnités
journalières versées par les caisses de
Sécurité Sociale, dont il faut rappeler qu'elles ont
progressé de 46% entre 1997 et 2002, alors que tous les constats
convergent pour considérer une amélioration globale de la
santé des français.
· Les compléments de salaires et les
indemnités d'invalidité versés par les mutuelles,
organismes de prévoyance et assurances privées qui donnent lieu
à des hausses de cotisations régulières afin
d'équilibrer leurs comptes. Il faut ajouter, dans ce registre, les fonds
spéciaux créés pour indemniser les victimes pour des
pathologies particulières, comme c'est le cas pour l'amiante.
· Les dépenses de soins
(consultations, pharmacie, hospitalisation) qui accompagnent les
arrêts maladie et de travail. Ces dépenses sont supportées,
à la fois par les caisses de Sécurité Sociale, les
mutuelles et assurances et les salariés eux- mêmes, de plus en
plus confrontés aux mesures récurrentes de
déremboursement, de forfaits divers, etc. qu'ils doivent financer sur
leurs revenus.
· Les dépenses liées aux
remplacements indispensables, (intérim, etc.) même si les
entreprises ont de moins en moins tendance à remplacer les absents et
laissent le soin aux salariés présents, et notamment, à
l'encadrement de proximité, de pallier, le plus souvent, de
manière impromptue à ces situations qui ont tendance à se
banaliser de plus en plus.
· Les manques à gagner en chiffre
d'affaires perdu suite aux ventes manquées, aux retards de
livraison, au retard des commandes dans des circuits de production de plus en
plus marqués par une organisation en flux tendu sensible au moindre
aléa. On peut ajouter, dans ce registre, les indemnités de retard
et coûts de non qualité liés aux désorganisations
causées par l'absentéisme non programmé.
· Etc.
Dans le cas de Casino, nous n'avons, bien entendu, pas la
prétention de chiffrer ces dérives. Nous nous sommes
contentés de chiffrer la masse salariale correspondant à
l'absentéisme cumulé maladie plus accidentéisme et de son
évolution.
Fig. 52 Fig. 53
50
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2001 2002 2003 2004 2005
Evolution du coût total des salaires
correspondant à l'absentéisme pour maladie et pour
accidentéisme par catégorie (1994-2005)
Maladie Cadres
Maladie Maîtrise
Maladie Employés-Ouvriers Maladie Total
20%
19%
18%
17%
16%
15%
14%
13%
12%
11%
10%
9%
8%
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2001 2002 2003 2004 2005
13,0%
8,4%
Evolution du coût en salaires de
l'absentéisme maladie et accidentéisme par rapport aux
cotisations sociales
13,0%
12,7%
12,9%
18,0%
14,0%
19,2%
y = 0,0093x + 0,0947
18,7%
18,2%
17,8%
Coût salaires absences maladie et AT
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
(Millions € constants 2005)
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
1994-2005
|
Maladie Cadres
|
1,5
|
1,9
|
1,5
|
1,4
|
1,4
|
1,8
|
1,5
|
1,5
|
1,5
|
1,6
|
1,6
|
8,0%
|
Maladie Maîtrise
|
6,2
|
6,6
|
6,4
|
5,6
|
6,3
|
6,7
|
6,3
|
7,1
|
7,7
|
7,7
|
7,2
|
17,0%
|
Maladie Employés-Ouvriers
|
18,0
|
28,2
|
26,6
|
26,7
|
28,9
|
31,2
|
31,7
|
34,6
|
36,2
|
35,0
|
32,4
|
79,9%
|
Maladie Total
|
25,6
|
36,7
|
34,5
|
33,7
|
36,6
|
39,7
|
39,4
|
43,2
|
45,4
|
44,2
|
41,2
|
60,7%
|
|
Source : Bilans sociaux et financiers Casino 1994 - 2005
et calculs personnels
Le graphique (fig. 52) montre une augmentation de 60,7% de ce
coût en euros
constants avec une progression de près de 80% pour les
employés-ouvriers.
Le graphique (fig. 53) montre un poids des salaires
liés à l'absentéisme dans l'ensemble des cotisations
sociales qui est passé de 8,4% à 17,8%. En première
approche, nous pouvons considérer cet indicateur, en termes de tendance,
comme une estimation du phénomène d'externalisation, en prenant
comme hypothèse une évolution de l'ensemble des coûts
externalisés parallèle à celle des salaires.
Ce constat, interpelle directement la responsabilité
individuelle et collective des acteurs dans l'entreprise en matière de
santé au travail, mais également, les politiques sociales et les
mécanismes de régulation publique.
Il suggère une inefficacité de
l'exonération des cotisations sociales qui ont contribué à
une baisse importante du coût du travail, mais sans effet mesurable, ni
sur la création d'emploi, ni sur l'accroissement de l'investissement.
Par contre, l'effet de substitution entre les revenus du travail et ceux du
capital semble patent.
** ***** *
L'analyse des bilans sociaux et des bilans financiers
de Casino montre une forte croissance des indicateurs de morbidité, dans
un contexte de progression de la productivité apparente du travail.
Cette progression est essentiellement liée à une intensification
et à une densification du travail dans un cadre d'emploi soumis à
une forte mobilité contrainte et bénéficiant d'une faible
rémunération dont la hiérarchie est fortement
resserrée au voisinage du SMIC. Cette évolution ne permet plus de
différencier le niveau de qualification des salariés par leur
classification.
Les salariés se plaignent à travers
l'enquête, du manque de reconnaissance. Ils expriment leur incertitude
face à l'avenir et leur mal vivre.
L'entreprise réalise, néanmoins, des
performances économiques honorables et affiche des résultats et
une rentabilité financière particulièrement
élevés.
Ces résultats sont obtenus pour l'essentiel,
grâce à une réduction significative du « coût du
travail » dans ses composantes relevant du salaire (direct et indirect),
malgré une progression des primes d'intéressement et de la
participation. Cela traduit une flexibilité de la
rémunération qui s'ajoute aux flexibilités temporelles et
fonctionnelles.
On observe la baisse la plus importante pour le
salaire indirect, que constituent les cotisations sociales. Cela confirme le
caractère mythique du poids de celles-ci, mal nommées,
«charges sociales». Cette baisse est liée à l'incidence
des exonérations de cotisations sociales, devenues le principal levier
utilisé par les pouvoirs publics en matière de politiques
d'emploi. Cette évolution, ne montre pas d'efficacité en
matière de création d'emploi dans l'entreprise. Par contre, elle
contribue à amplifier la substitution entre le travail et le capital, en
termes de revenus.
Par ailleurs, l'évolution antagonique des
cotisations sociales et des indicateurs de morbidité met en
évidence une externalisation des coûts de santé au travail,
de plus en plus supportés par les salariés eux-mêmes, par
les institutions sociales et par l'Etat, qui nous amènent à
réinterroger les mécanismes du fonctionnement de l'assurance
maladie, des politiques de soutien à l'emploi qui nous semblent
ébranler les mécanismes de la solidarité nationale en
relation avec les besoins de santé au travail.
** ***** *
|
|