A l'heure où les discours politiques sur la «
flexisécurité » se multiplient, il n'est
pas
inintéressant de rappeler l'évolution de ces 30 dernières
années en matière
d'insécurité de l'emploi. Les
travaux de RAMEAUX que nous avons cité,
39 Objet de vastes débats en sciences sociales ces
dernières années, on trouve plusieurs définitions dont
celle que privilégie le MEDEF : « Elle désigne une
combinaison de connaissances, savoir-faire, expériences et
comportements, s'exerçant dans un contexte précis. Elle se
constate lors de la mise en oeuvre en situation professionnelle à partir
de laquelle elle est validable. C'est donc à l'entreprise de la
repérer, de l'évaluer, de la valider et de la faire
évoluer » (KERBAL, EYMERY, 2004, p.155).
40 « Sous le terme de qualification des travailleurs,
nous proposons d'identifier le résultat combiné de la formation
professionnelle et de l'expérience au travail, composante essentielle de
la compétence d'une personne ou d'un collectif de travail. En effet, il
est important de rappeler que la qualification a une dimension collective
» (VERNIERES, 2003, cité par KERBAL, EYMERY, 2004, p.172.)
confirmant ceux du CERC et de l'IRES en 2005, et de l'HORTY
en 2004, concluent à une augmentation qui n'est pas significative. Par
contre le changement fondamental résiderait dans les formes de
transition de l'emploi vers le non emploi, avec le passage d'une
mobilité choisie (démission) à une mobilité
imposée (chômage, précarité, licenciement).
Le contrat à durée déterminée ou
l'intérim, en tant que nouvelles normes d'embauche et de
régulation du marché de l'emploi, se traduisent à la fois,
par une sélection renforcée en prolongeant la période
d'essai légale dans les faits, et constituent une pression sur les
salariés qui souhaitent obtenir un contrat CDI.
Par ailleurs, ce système favorise la rotation
importante du personnel que nous avons pu observer, ce qui entraîne un
ajustement permanent des effectifs en fonction de l'activité et surtout,
des objectifs budgétaires des entreprises définis par les
impératifs des marchés financiers.
Ce recours massif aux CDD devient un facteur de
mobilité contrainte, dont l'un des effets pervers est de dissuader la
mobilité choisie (démission) pour les salariés.
Il favorise le développement des horaires atypiques et
le déclin des horaires collectifs qui ont historiquement
structuré l'emploi dans le commerce.
Il contribue également à structurer des
représentations d'insécurité sociale qui ne sont pas
toujours fondées sur des éléments objectifs.
Fig. 54
Le sentiment de sécurité en emploi selon
le type de contrat
Source : enquête ECHP, 1994-2001.
C'est ainsi qu'une étude du CERC de 1993, montrait
qu'un salarié sur deux, dans le privé, redoutait la perte de son
emploi dans les deux ans à venir. Cette vulnérabilité
ressentie se révélait sans commune mesure avec la
réalité41. Le rapport du CERC sur la
sécurité de l'emploi (2005) montre que si le sentiment de
sécurité s'est amélioré de 1994 à 2001,
l'écart entre représentations et réalité sur ce
point demeurent.
Cet aspect, nous semble, particulièrement important.
En effet, les employeurs ont compris depuis longtemps les inconvénients
d'une proportion d'emplois trop précarisés dans l'entreprise. Les
évolutions que nous avons constatées chez Casino, l'illustrent
parfaitement. Par contre, ce sont eux, qui tirent le principal
bénéfice de ce sentiment d'insécurité lié au
chômage et à la précarité. Il permet
41 Le pourcentage de licenciements en 1992 était de
4%.
de peser sur le climat social et d'alimenter un fatalisme peu
propice à développer des luttes revendicatives sur les salaires,
les conditions de travail, etc. Il est, paradoxalement, favorisé par le
discours des organisations syndicales, dénonçant le
phénomène, mais qui ne contribuent pas à éclairer
la réalité objective des processus factuels dans les
entreprises42.
Il faut comprendre l'insécurité sociale dans un
sens plus large, c'est-à-dire qui résulte de plusieurs facteurs
et de leur combinaison. Elle correspond à l'incertitude de l'existence,
conséquence du paupérisme (au sens d'Engels, 1845). En effet, la
sécurité ne peut se résumer à un palliatif au non
travail. Il ne s'agit pas seulement de veiller à la
sécurité des chômeurs, mais à la
sécurité professionnelle, à celle du travail, de la
santé et de l'existence en général.
Dans l'histoire de la construction de l'Etat social, la
transformation de la notion d'assistance liée aux assurances
privées en concept de sécurité sociale en passant par le
stade des assurances sociales, est liée de façon étroite
à la notion de plein emploi (Hatzfeld, 1971). On peut expliquer cette
transformation, par le passage d'une société fondée sur la
propriété qui procure la sécurité à partir
de la garantie patrimoniale, à une société fondée
sur le salariat qui constitue une propriété virtuelle et qui va
créer les institutions nécessaires à la garantie de la
sécurité.
Aujourd'hui, c'est bien la notion de flexibilité dans
sa triple dimension temporelle, fonctionnelle et salariale qui fragilise cette
propriété virtuelle, constituée par le contrat de travail,
et qui change la donne de l'efficacité des institutions de protection
sociale. Cette notion est justifiée par la valorisation du risque,
érigée en nouvelle valeur fondamentale de notre
société.
Cela mérite que l'on passe en revue quelques uns des
aspects concrets que revêt cette flexibilité dans les
différents obstacles qui se dressent tout au long des parcours
professionnels, ou plus précisément, des trajectoires qui
s'offrent aux salariés, et en particulier, aux jeunes :
· Les stages : C'est un passage
pratiquement obligé pour les jeunes, dans le cadre de leur formation
professionnelle ou (et) universitaire. Le concept est fondé sur le
principe louable, d'une immersion dans l'entreprise, visant à donner aux
stagiaires une connaissance pratique de l'entreprise et de leur futur
métier. Malheureusement, l'importance et le poids du chômage des
jeunes ont souvent transformé ces stages en périodes de travail,
pas toujours en rapport avec leurs études et gratuit, acceptées
par les intéressés, dans l'espoir d'une embauche à la
fin.
La précarité de cet état ne peut que se
traduire par une hésitation des intéressés face à
la maladie à se soigner dans des conditions optimales qui contribue
à structurer leurs craintes actuelles, dans leurs comportements
futurs.
· Les contrats aidés : Nous
avons vu l'influence de ce type de contrat dans l'évolution de la
précarité. Ils contribuent également à ce qu'il
est
42 Les moyens d'étude des confédérations
syndicales sont relativement limités et consacrés pour
l'essentiel à des travaux plus globaux sur les aspects
macroéconomiques, par exemple, mais rarement sur les pratiques de
gestion des entreprises ou sur les données issues des bilans sociaux et
des bilans financiers. C'est ainsi, que le Centre d'Etudes Economiques et
Sociales (CCES) de la CGT, réalise un travail remarquable d'analyse et
de vulgarisation de la réalité économique au niveau
français et international avec des moyens limités, mais ne
dispose d'aucun moyen pour travailler sur les aspects statistiques des
données sociales, économiques et financières disponibles
sur les entreprises.
convenu de nommer pudiquement « la modération
salariale » et à ce double titre favorisent une
insécurité de l'existence.
· La création d'entreprise :
C'est le symbole de la valeur risque, érigée en valeur
suprême de la pensée libérale. A ce titre, il s'agit du
moyen privilégié, et doté de toutes les attentions des
pouvoirs publics, proposé, aux jeunes et aux licenciés pour
créer leur emploi. 224.000 entreprises ont été
créées en 2004, soit autant d'emplois
précaires43.
· Le contrat de franchise : C'est la
version modernisée des anciens contrats de gérance des Maisons
à Succursales qui ont fait le succès de Casino à ses
débuts et la version élaborée de la création
d'entreprise. Il s'agit, typiquement d'une des formes d'organisation du travail
qui transforme le salarié en employeur, tout en lui imposant des liens
de subordination proches de ceux du statut salarié. C'est, d'ailleurs un
modèle qui se développe fortement depuis quelques années
en France, en particulier, dans le commerce et les services. En 2005 on compte
un millier de réseaux de franchiseurs et près de 40.000
franchisés. Le principe, consiste à proposer un concept
commercial « clés en main » (enseigne, aménagement de
l'espace de travail, publicité, fournisseurs, produits ou services,
prix, logiciels de gestion et de reporting, etc.) à un salarié
(le franchisé), qui crée et finance son fonds de commerce et qui
payera un droit d'entrée moyen de 12.200 € et une redevance au
franchiseur, en échange des services rendus. Cette redevance est souvent
importante (de 5 à 15% du CA) et place le franchisé dans une
position où, responsable de son propre contrat de travail salarié
et de ceux de ses éventuels employés, il ne peut garantir son
revenus qu'en augmentant son temps de travail et en reportant sur ses propres
employés (lorsqu'il en a) l'exploitation que lui-même subi.
· Le contrat de travail :
Paradoxalement, l'emploi salarié continue de progresser en France. C'est
essentiellement lié à la diminution du nombre de
commerçants, artisans et agriculteurs. Ce sont, pour l'essentiel, les
secteurs du grand commerce et des services qui ont crée le plus d'emploi
dans les dernières années dont l'effet a été le
plus souvent de substitution d'un emploi stable et qualifié par des
emplois précaires a été important. Il faut rajouter
à ces éléments, la dérégulation
législative, conventionnelle (au sens des conventions collectives) et
contractuelle du contrat de travail qui ont permis une forte flexibilisation de
celui-ci avec des conséquences multiples et en particulier sur le plan
salarial (resserrement de la hiérarchie des bas et moyens salaires,
ralentissement des promotions, limitations des hausses de salaires, etc.).
L'analyse des données recueillies chez Casino, va nous
permettre d'illustrer, chacun de ces éléments.
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43 La pérennité des entreprises nouvelles est
à peine de 50% au bout de 5 ans (INSEE, SINE).
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L'évolution du commerce a toujours
été déterminante dans celle des systèmes
économiques et sociaux. La modernisation et le développement des
techniques commerciales ont joué un rôle structurant dans
l'évolution de la législation sociale des 50 dernières
années, en particulier, en institutionnalisant une précarisation
de l'emploi et un travail morcelé, fondés sur la
déréglementation des contrats et du temps de travail.
Depuis l'avènement du libre service et des
grandes surfaces, les profonds changements dans l'organisation du travail que
le secteur a connus, ont joué un rôle précurseur dans
l'évolution de la politique sociale du pays et, en particulier, sur les
incitations à modifier le CDI en tant que norme contractuelle de
l'emploi, pour multiplier les contrats atypiques. Il a, ainsi,
bénéficié largement des aides publiques attachées
à ce type de contrats et, plus particulièrement, des
exonérations de cotisations sociales.
Ces transformations ont eu des conséquences
durables en matière de conditions de travail et de santé
liées à la multiplication des contraintes physiques,
environnementales et organisationnelles auxquelles les salariés du
commerce sont soumis. Les évolutions rapides de ces contraintes, mises
en évidence par les enquêtes sur les conditions de travail,
montrent une spécificité pour les employés de commerce, en
matière de pénibilité du travail.
C'est à partir de ces résultats que nous
allons aborder le cas empirique de CASINO afin d'illustrer ces
mécanismes.
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