La complexification, au fil du temps des feuilles de paye, au
point qu'une très grande majorité de salariés n'arrive pas
à se retrouver pour en vérifier la justesse des
éléments qu'elle comporte, ou plus simplement d'en comprendre les
subtilités illustre les transformations qui ont émaillé
les différents éléments d'une rémunération
dont la tendance ne va pas dans le sens d'une meilleure transparence. Elle
semble être devenue un simple document administratif de
référence, relatant l'historique de la rémunération
sous ses différentes formes et elle mobilise pour sa confection, de plus
en plus de professionnels (juristes, fiscalistes, etc.).
Le secret professionnel qui l'entoure, dans la plus belle des
traditions
françaises, ne contribue pas non plus, à en mesurer
les évolutions et à garantir
la justice sociale de la rémunération du
travail qui reste dans la confidence de l'employeur, par l'intermédiaire
de ses services spécialisés et du salarié lui- même,
qui se contente, le plus souvent, de les classer, après avoir
jeté un oeil désabusé sur la « dernière ligne
» du net à payer.
Sans analyser chacun des éléments de la
rémunération de manière approfondie et exhaustive, nous
pouvons en lister les principaux, dans le but d'identifier les principaux
facteurs de variabilité :
· Le salaire de base : calculé sur
la base de la convention collective et du
type de contrat horaire. Il
correspond, en principe à la classification d
· es emplois en vigueur dans l'entreprise, mais
défini de manière individuelle selon un rapport contractuel pour
lequel l'employeur garde toute latitude à la fois, dans sa
définition à l'embauche et, dans les évolutions annuelles
qu'il peut accorder selon ses propres critères de modulation ou refuser
dans la mesure où il respecte les minima de la classification.
· Le complément pour SMIC éventuel
: Comme nous le verrons, dans le cas de Casino, les grilles de
salaires peuvent démarrer en dessous du SMIC et dans ce cas, doivent
donner lieu à un complément égal à la
différence entre celui-ci et le minima applicable à
l'intéressé.
· Les primes fixes : dont la
périodicité peut varier en fonction de leur nature
(13ème mois ou prime annuelle de fin d'année). Entrent
également, dans cette catégorie, les primes exceptionnelles.
· Les primes variables soumises à
cotisations : Le plus souvent, elles sont liées au rendement
(CA, etc.)
· Les heures complémentaires :
Réservées aux temps partiel, lorsqu'ils effectuent des heures
supplémentaires par rapport à leur contrat horaire. Il faut
souligner que ces heures ne donnent pas lieu à majoration du salaire
horaire.
· Les heures supplémentaires :
Elles dépendent de la seule volonté de la hiérarchie, par
délégation de l'employeur et peuvent donner lieu à une
majoration de la rémunération horaire dans certaines conditions.
Depuis la mise en place des divers accords de réduction, du temps de
travail, elles sont de moins en moins utilisées du fait des clauses
d'annualisation et de modulation du temps de travail qui permet
d'intégrer, la plupart des besoins ponctuels ou saisonniers des
entreprises.
· Les indemnités de congés
payés ;
· Les cotisations sociales obligatoires
: calculées au prorata du salaire brut total selon un système
fort complexe de répartition entre le salarié et l'employeur, de
plafonds de la sécurité sociale, de tranches de salaire et de
catégorie socioprofessionnelle. Elles concernent la maladie, la
prévoyance, la retraite, les accidents du travail et les maladies
professionnelles, le chômage, la formation professionnelle. Elles sont
versées à la sécurité sociale, à des caisses
de retraite complémentaire et au GARP.
· Les contributions fiscales
socialisées : Elles concernent la CSG et la CRDS, mises en
place en 1995, constituent une entorse au principe du salaire socialisé
qui donnait aux cotisations sociales un caractère de
salaire indirect, justifiant l'indépendance, de plus
en plus relative, des organismes sociaux gérés «
paritairement » par les employeurs et les organisations syndicales
représentatives des salariés (MONN IER J. M. GOURDEL P.
LIÊM HOANG CUONG L.V. 2003).
· Les cotisations sociales facultatives
: Là encore, il s'agit d'un système fort complexe qui permet de
financer des prestations complémentaires, en matière de maladie
et de prévoyance (Mutuelles et assurances privées) et de retraite
(caisses complémentaires et assurances) où se mêlent les
principes de « répartition » et de « capitalisation
à la française ». Dans ce dernier cas, certaines cotisations
volontaires, considérées comme des éléments de
rémunération, sont soumises aux cotisations sociales
obligatoires.
· Les avantages collectifs non soumis à
cotisation : (transport, ticket restaurant, vacances, etc.).
· Les avantages en nature soumis à
cotisations : (repas, logement de fonction, etc.).
· Les indemnités de
déplacement : Elles ne relèvent pas, en principe, de la
rémunération, puisqu'elles sont une contrepartie forfaitaire ou
au « franc le franc », aux frais engagés par le salarié
pour ses déplacements professionnels. Le fisc et l'URSSAF, en ont fait,
cependant, un élément privilégié de leurs
contrôles, dans la mesure, où certains employeurs les utilisent,
comme un moyen de rémunération déguisée.
· Les primes variables non soumises à
cotisations :(intéressement et participation qui font souvent
l'objet d'un document distinct de la feuille de paye). On peut,
également, faire rentrer dans cette catégorie, les attributions
d'actions gratuites ou à prix préférentiel (stock
options37, etc.). Ces primes sont exonérées de
cotisations sociales et constituent le seul élément de
rémunération dont la part dans le salaire a augmenté de
manière significative depuis la mise en place après mai 68, d'un
arsenal législatif et réglementaire les divers gouvernements,
depuis l'initiative du Général De Gaulle et de sa «
participation ». Et le gouvernement actuel, s'apprête à
présenter devant le parlement, un nouveau projet de loi sur la
participation visant à en étendre le champ d'application à
toutes les entreprises38. Le texte rebaptise la participation pour
l'occasion en « dividende du travail ». Tout un programme. Il faut
noter que les salariés n'ayant pas une certaine ancienneté ou un
certain statut n'en bénéficient pas, ce qui exclut les
salariés les plus précaires, et contribue à aggraver leur
situation financière et les écarts avec le « noyau stable
» des entreprises.
Cette énumération, peu amène, illustre
la complexité du système et le nombre innombrable de moyens
à la disposition des employeurs et des pouvoirs publics, pour faire
varier une rémunération dont la majorité des
salariés a perdu, de fait, la maîtrise.
37 Les stocks options sont généralement
réservés aux dirigeants et aux cadres supérieurs, mais de
nombreuses entreprises, ont créé des systèmes, souvent
liés aux plans d'épargne entreprise et à
l'intéressement, qui permettent aux salariés d'obtenir un nombre
d'actions limité.
38 Aujourd'hui, la participation, concerne 40% des
salariés, environ.
Elle permet, par ailleurs, de mesurer les évolutions
importantes, intervenues dans le système et qui bat en brèche
l'idée fort répandue, d'une rigidité du système
français néfaste à la compétitivité du
pays.
Elle permet d'entrevoir la méthode utilisée
pour se servir de certains éléments de la
rémunération, comme autant de moyens d'intégration des
salariés aux objectifs des actionnaires. C'est, notamment, le cas de
tous les éléments calculés sur la base des
résultats financiers dont l'objectif est de les substituer
progressivement au salaire, ce qui contribue à amoindrir le rapport
symbolique au salaire, en faisant croire au personnel qu'ils ont acquis un
statut d'actionnaire. Ce processus s'inscrit dans la « logique de
compétence39 » qui soumet la rémunération
aux résultats en fonction des objectifs fixés et tend à
remplacer la « logique de qualification40 » qui
rémunère un travail selon les normes du métier et de la
profession (PIOTET, 2002). C'est également le reflet de la substitution
de la prescription des objectifs à celle des tâches.
Elle permet, enfin, de comprendre les interactions entre le
sentiment de manque de reconnaissance, dont se plaignent les salariés et
qui constitue un élément structurant de leur identité
(SCHWARTZ, 1997), et par conséquent, de leur santé psychique. Ce
sentiment est d'autant plus vif, que la variabilité de leur
rémunération, ne correspond pas le plus souvent, à la
représentation qu'ils ont de la quantité, de la qualité de
leur travail et de leur implication dans l'entreprise. Les dernières
statistiques de l'INSEE dans son rapport annuel sur les salaires, notent une
baisse du salaire moyen des employés et des professions
intermédiaires de 0,2% par an depuis 7 ans !
Le dernier sondage CSA (ANACT, La Tribune, France Info, mai
2006) montre que « les possibilités d'évolution de
carrière » et « la reconnaissance de l'investissement
dans le travail » sont les deux sujets, pour lesquels, les
salariés expriment le moins de satisfaction, en sachant que ce sont les
conditions de travail qui sont cités le plus fréquemment, comme
« le plus important quand on a un emploi ». Par ailleurs,
c'est dans le secteur du commerce que l'on relève le plus
d'insatisfaction sur ces sujets.
La variabilité et les incertitudes du revenu sont
également liées à l'évolution de carrière,
en tant que telle. Il est donc nécessaire d'y revenir, afin d'avoir une
vue plus globale de la situation et de son évolution.