La naissance et l'évolution du grand commerce s'est
traduite sur le plan social par une profonde modification de l'organisation du
travail traditionnelle et de l'approche des qualifications qui ont volé
en éclats progressivement, pour imposer le temps partiel, les contrats
à durée déterminé, le recours à
l'intérim et à la sous-traitance, la polyvalence, les
systèmes d'intéressement qui caractérisent cette nouvelle
organisation du travail et cette nouvelle conception des rapports de
subordination du salarié à l'entreprise.
C'est le triomphe du modèle de gestion de l'entreprise
régulé par une flexibilité
généralisée du travail, dans toutes ses composantes
(emploi, rémunération, protection sociale). Dans le commerce de
détail certains métiers sont très instables. On observe
que le quart des effectifs est renouvelé chaque année chez les
vendeurs, les caissiers, les employés de libre service. Cette
instabilité se concentre surtout dans la grande distribution (grandes
surfaces à prédominance alimentaire), qui représente un
tiers des effectifs du secteur : le taux annuel de rotation atteint 66 %, avec
une forte part de CDD dans les entrées et les sorties (CERC, 2005).
Insee, DADS, 2002
45
40
25
20
50
35
30
15
10
5
0
Total secteurs
marchands
18
% de salariés à temps partiel en
2002
Total Commerce Commerce de
détail
26,3
Fig. 3
37,4
Grandes surfaces à prédominance alimentaire
47,5
En matière de temps partiel, on relève, pour les
salariés du commerce de détail, une proportion supérieure
de vingt points à celle de l'ensemble de l'économie en 2004. Pour
les Grandes surfaces à prédominance alimentaire, c'est
près d'un salarié sur deux qui est concerné (INSEE, DADS
2002).
Il n'est pas inintéressant de remarquer, que les
évolutions de la législation sociale et de la négociation
conventionnelle depuis le milieu des années 1970 sont fortement
imprégnées de ces nouvelles conceptions en les
institutionnalisant ou en les favorisant.
Les politiques de l'emploi ont joué un rôle
important dans la banalisation du recours aux CDD à travers les contrats
aidés dont 2,2 millions de salariés sont titulaires en 2003
(IRES, 2005). Cette réalité touche particulièrement les
jeunes de moins de 25 ans dont le tiers est en stage ou en contrat aidé
en 2003. Il convient, enfin, de rappeler que 7 embauches sur 10 se font en CDD
ou en intérim ce qui a donné de fait, à ce type de
contrat, un statut de norme
ceux qu'il occupe habituellement et surtout de participer
à leur élaboration et à leur mise en oeuvre. La
polycompétence se développe de plus en plus dans les
organisations fondées sur la prescription d'objectifs.
d'embauche. Par ailleurs, si le temps partiel concernait
moins de 10% des actifs jusqu'en 1977, il atteint 17% en 2004 (DARES). Cette
progression résulte pour une part importante des mesures
d'exonération des charges sociales portant sur cette forme d'emploi
pendant la période 1992-2000 (date de la suppression de ce type
d'exonérations).
Ces mesures contribuent à dédouaner les
employeurs de leurs responsabilités de cofinanceurs de la protection
sociale en reportant sur la collectivité leur financement. Ces
exonérations sont massives pour le recrutement des bas salaires, les
plus nombreux dans le commerce, ce qui contribue par ailleurs à peser
sur les bas salaires et à déstabiliser la fonction de garantie de
revenu du SMIC. Comme pour les CDD, le temps partiel est également plus
répandu parmi les jeunes, nombreux dans le secteur. Il a, ainsi, une
fonction de « sas d'entrée » dans le monde du travail.
Les chambres syndicales du commerce, et plus
particulièrement le Conseil du Commerce de France31, ont
joué un rôle de lobbying important dans ces évolutions.
Déjà, dans la deuxième moitié du
XIXème siècle, les succursalistes inventent le contrat
de gérant mandataire qui sera une des premières formes
d'externalisation du coût du travail, déresponsabilisant
l'entreprise du temps de travail du couple de gérants et de la gestion
de leur personnel. En effet, en donnant au gérant la
responsabilité de la gestion du chiffre d'affaires de son magasin et en
liant sa rémunération à celui-ci, le gérant est
implicitement incité à ne plus compter son temps de
présence et donc de travail effectif, sans changer le temps de travail
théorique.
A partir de la décennie 1970, les employeurs du grand
commerce ont revendiqué l'ouverture des magasins le dimanche et
l'augmentation de l'amplitude des horaires de travail dans la journée
(fermetures tardives à 20 heures, puis 22 heures et jusqu'à
minuit). C'est Darty (chaîne de magasins d'électroménager
et de produits techniques) qui a initié les ouvertures le dimanche dans
l'illégalité, suivi par la plupart de ses concurrents,
préférant payer les amendes en cas de verbalisation par les
inspecteurs du travail ou les jugements des tribunaux. Plus récemment,
c'est par la médiatisation de l'ouverture de la période des
soldes, que nombre d'enseignes ont initié des ouvertures nocturnes.
La question du temps de travail a toujours été
un élément central dans la gestion de l'emploi pour le commerce,
traité en parallèle avec l'amplitude des horaires d'ouverture des
magasins et la réglementation du travail. Il s'agit d'aller dans le sens
d'une externalisation des risques liés à l'emploi ou à
l'activité sur un tiers (salarié ou entreprise sous-traitante).
Paradoxalement, et contrairement à certaines idées reçues,
les actions pour favoriser la hausse du temps de travail (dans le sens de
« sur-travail ») comme sa diminution (dans le sens de «
sous-emploi ») ont toujours été mises en oeuvre
conjointement dans l'objectif de diminuer le coût du travail :
· A la hausse (mais le plus souvent sans
rémunération directement liée), par l'instauration du
contrat de gérance, par la forfaitisation des horaires des cadres, par
les contrats de travail prévoyant une rémunération
liée au chiffre d'affaires, par l'utilisation des heures
supplémentaires, par la modulation et l'annualisation du temps de
travail, par une incitation
31 Organisation syndicale des employeurs du commerce,
affiliée au MEDEF (ancien Conseil National du Commerce regroupant les
organisations spécialisées par produit).
informelle au dépassement d'heures, en particulier
pour les employés administratifs, les agents de maîtrise et les
cadres.
· A la baisse (proportionnelle à la baisse
des rémunérations), par la création du contrat de
démonstration qui permet d'externaliser une partie du personnel sur les
fournisseurs (personnel représentant les grandes marques : contrats de
démonstration dans les Grands Magasins ou « Merchandiseurs »,
dans les Grandes Surfaces). Mais également par l'utilisation des
contrats à durée déterminée (CDD) et de tous les
statuts atypiques (stagiaires, intérim, personnel extérieur,
etc.) en remplacement de contrats à durée
indéterminée (CDI), ou par une évolution de l'offre
d'emploi à temps et à salaire partiels, instaurant de fait, un
temps partiel subi pour une majorité des salariés
concernés.
L'ensemble de ces caractéristiques organisationnelles
pour le secteur a fortement favorisé une situation sociale difficile
pour les salariés du commerce, en général. En effet, ils
sont majoritairement rémunérés sur une base égale
ou proche du SMIC et la forte proportion de contrats à temps partiel ou
non permanents, plongent un grand nombre d'entre eux dans une pauvreté
laborieuse en recrudescence (IRES, 2005, p.10) et qui touche plus nettement les
femmes et les jeunes.