Chambre d'isolement : du point de vue des patients. Impact d'un temps d'élaboration sur le vécu des patients après un séjour en chambre d'isolement dans une unité d'hospitalisation de psychiatrie adulte( Télécharger le fichier original )par Charlotte Mouillerac Université Paris 8 - Master 1 psychologie clinique et psychopathologie 2007 |
7.3 LE MONDE INSTITUTIONNELPour René Kaës, « l'institution est l'ensemble des formes et des structures sociales instituées par la loi et par la coutume : l'institution règle nos rapports, elle nous préexiste et s'impose à nous, elle s'inscrit dans la permanence »55(*). L'individu arrive à l'hôpital avec ses propres croyances et valeurs, qu'il va confronter à celles du lieu. L'institution fonctionne en préservant un équilibre qui peut être perçu comme fragile, avec ce fantasme que toute attaque de l'établissement pourrait être une attaque de ses membres et entraîner la destruction du groupe et de ses individualités. Le groupe fait ainsi bloc contre tout élément isolé contradicteur qui pourrait être cause de destruction de l'unité. Défendre une opinion personnelle radicalement différente de l'ensemble est une position intenable. L'institution recherche la concorde. Kaës définit ainsi ce qu'il nomme le " contrat narcissique" : « il exige que chaque sujet singulier prenne une certaine place offerte par le groupe et signifiée par l'ensemble des voix qui, avant chaque sujet, a tenu un certain discours conforme au mythe fondateur du groupe. »56(*) L'adaptation se fait en deux temps. L'individu s'adapte d'abord à l'institution ou, s'il en est incapable, s'en va. Dans un second temps, et sur un très long terme, l'institution change, imperceptiblement, en fonction des valeurs des individus qui la composent. L'hôpital psychiatrique est formé de l'ensemble des représentations de ceux qui y évoluent, représentations qui permettent à chacun de trouver sa place en son sein.57(*) Appartenir à une institution, et donc à une communauté, oblige à renoncer à sa liberté d'action et de mouvement et à accepter de nombreuses contraintes. Ces renoncements ne sont pas consentis sans que l'on n'attende de compensation. Ainsi que Freud l'écrit : « Nous ne pouvons saisir pourquoi les institutions (die Einrichtungen) que nous avons nous-mêmes édifiées ne nous dispenseraient pas à tous protection et bienfaits. »58(*) L'hôpital devrait pouvoir nous protéger de la violence, de la drogue, pourquoi pas de la folie... Attaques et critiques sont donc à la mesure de ces attentes irréalistes. L'institution représente ce qui est invariable. Sa permanence rassure, on attend d'elle protection et soutien. L'immobilisme en est une caractéristique frappante, dont tout le monde se plaint mais dont il est impossible de se dégager. L'institution est alternativement bonne et mauvaise mère. On l'accuse de ne pas vouloir innover mais on ne supporte pas qu'elle évolue. En effet, « reformer, c'est refonder, et donc détruire, dans le fantasme, la communauté institutionnelle. »59(*), ce qui entraîne des sentiments de perte de contrôle et de vulnérabilité. L'institution abrite ce que Kaes appelle « notre partie folle » : « massivité des affects, ressassement obnubilant et répétitif d'idées fixes, paralysie de la capacité de pensée, haines incontenables, attaque paradoxales contre l'innovation, confusion inextricable des niveaux et des ordres... ». 60(*) L'hôpital rassemble des logiques à la fois complémentaires et contradictoires (patients, soignants, infirmiers, aides-soignants, médecins, psychologues...), administratifs, juristes, politiques, comptables. Ces logiques distinctes travaillent ensemble à maintenir l'homéostasie de l'ensemble. Mais chaque difficulté fait ressurgir les différences entre les groupes et le clivage produit peut mener chaque groupe à travailler non plus avec mais contre les autres. Que les soignants grognent contre les administratifs, c'est un défoulement qui ne prête pas à mal. Mais quand des clans se forment au sein de l'équipe, infirmiers contre médecins ou contre psychologue, c'est le soin qui est attaqué. Une équipe en souffrance peut dépenser beaucoup d'énergie à se défendre au point de faire passer le patient au second plan. Un travail d'analyse institutionnelle en est d'autant plus nécessaire. Le fait que certaines pratiques comme la CI soient rarement utilisées ici et généralisées autre part, a beaucoup à voir avec l'histoire et les traditions du lieu. Il est d'autant plus important de prendre connaissance de ce qui se fait ailleurs, pour pouvoir prendre du recul sur sa propre façon de faire. Mais il faut aussi faire avec l'existant. Les changements prennent du temps. Il est illusoire de vouloir transformer en profondeur et dans l'immédiat ce qui s'est constitué au fil des années. * 55 Kaës, R. (1987) L'institution et les institutions. Etudes psychanalytiques. Paris. Ed Bordas. p 8 * 56 Kaës, R. (1987) L'institution et les institutions. Etudes psychanalytiques. Paris. Ed Bordas. p.29 * 57 Au chapitre 7 de Psychologie des masses et Analyse du Moi, Freud développe cette analyse : « l'identification c'est ce qui est commun entre deux ou plusieurs sujets : c'est ce qui se place et ce qui se déplace de l'un à l'autre. ». Freud, S. ( 1921) Psychologie des masses et analyse du moi, in : OEuvres Complètes, vol. XVI. Paris . 1991. PUF. pp. 5-72 * 58 Kaës, R. (1987) L'institution et les institutions. Etudes psychanalytiques. Paris. Ed Bordas. p. 31 * 59op.cit. Kaës, R. p. 31 * 60 op.cit. Kaës, R. p. 31 |
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