C- Devenir des enfants marqués à
jamais
Cette différenciation homme/femme marquant les rapports
dans la société va apparaître au niveau du discours
porté par les mères célibataires et sur le quotidien de
l'enfant naturel. L'itinéraire de ce dernier va être défini
au niveau de l'imaginaire, par son appartenance ou son identité
(sexe).
La fille, facile et obéissante au niveau de
l'éducation, ne présentera pas les mêmes difficultés
qu'un garçon et sera dans la bienveillance. Une fille est surtout
« hanouna », c'est-à-dire dotée
de « coeur » : ce qui transparaît
dans les expressions telles que : « Gentille, elle
comprendra, une fois grande... », « Une fille pourra avoir
de la compassion et du coeur », « À une fille, tu peux
tout dire et tout raconter de ce que tu as enduré, et elle comprendra et
pardonnera... ».
Compassion, compréhension, gentillesse, acceptation du
passé de la mère, soutien de la mère...telles sont les
projections des mères célibataires à l'égard de
leurs progénitures féminines. Plusieurs paramètres entrent
en compte en faveur de la fille et font que la société est
indulgente vis-à-vis d'elle.
Les filles d'une manière générale dans
cette société sont à l'abri de la cruauté
quotidienne. Tout se passe pour elles à l'intérieur de la maison
donc en famille. Elle est plus facilement acceptée que le garçon.
Une fois mariée ; elle mènera une vie plus ou moins normale.
Vu que ses enfants prendront le nom de leur père, sa situation de
« bâtarde » n'a pas de conséquences
sur eux. La société ne voit pas mal le fait qu'un homme ayant le
statut d'un enfant légitime prenne une épouse
« bâtarde ».
Mais cette situation n'est possible que dans le cas où
le couple mère -enfant a l'avantage d'avoir une assistance
financière quelconque, où la mère a un emploi qui lui
permet de subvenir aux besoins quotidiens. Dans le cas contraire, l'on s'attend
à une répétition du phénomène. La
précarité matérielle pousse cette fille à la rue,
à la prostitution ; une nouvelle proie à la
bâtardise.
S'agissant du garçon, l'optimisme qui marque le
discours relatif aux filles cède la place à un grand pessimisme
par rapport à leur futur. La relation (leur mère et la
société) aux garçons est connotée
négativement de manière dominante et l'évolution des
rapports entretenus aboutira en définitive à la rupture. Le
garçon investit assez jeune l'espace extérieur (la rue),
échappe assez tôt à l'emprise affective de la mère
et se trouve confronté à la dureté de la rue et les gens
qui lui renverront une image négative de lui-même et de sa
mère.
Il connaîtra ainsi seul, un jour, la
vérité de sa condition en dépit du secret entretenu.
Même révélée à l'enfant, la
vérité n'arrivera pas à le protéger ni à le
concilier avec son histoire et l'adolescence avec ses périls de
délinquance sera le moment le plus dangereux. Une haine dirigée
vers la mère, son père (s'il le connaît) et son entourage
s'installe. Il en veut à toute la société qui d'ailleurs a
été hostile avec lui. Sous l'influence de l'alcool, de la drogue,
il va jusqu'à battre sa mère ou au pire l'assassiner. Son
père court le même risque. Il s'autodétruit, en
anéantissant une mère responsable de son
« existence /délit ».
La société se montre moins indulgente quand il
s'agit d'un garçon. Cette situation de bâtardise se
répercute sur les enfants qu'il peut engendrer. L'on fait savoir
à ces enfants que leur père est bâtard, donc ils descendent
d'une lignée impure. Ce qui n'est pas sans conséquences sur le
quotidien de ces enfants et de leur mère. Cela explique la
difficulté d'un enfant naturel d'avoir une femme, du moins une femme
issue des parents mariés. La société voit comme une
injure qu'un bâtard ose venir demander la main d'une fille
légitime. C'est d'ailleurs souvent l'occasion de rappeler à cet
enfant les circonstances honteuses de sa naissance. Il serait, aux yeux de la
communauté plus humble pour lui de prendre une épouse se trouvant
dans la même situation que lui ; ce qui une fois de plus fait de lui
un objet d'opprobre. Mais à observer de plus près, l'on se rend
compte qu'il arrive que la société change son discours ou moins
l'améliore à l'égard de cet enfant. Il est possible que
malgré toutes les difficultés endurées pendant son
enfance, que cet enfant réussisse dans la vie et surtout sur le plan
matériel. Dans ce cas, il arrive très souvent qu'il soit
réintégré dans la famille et par là dans la
société. Son père qui ne l'avait pas reconnu, le
reconnaît ; la société ne fait pas de lui un enfant
légitime certes, mais évite de lui rappeler sa situation de
« bâtard » du moins devant lui, pour gagner
sa sympathie. Il peut se trouver une femme sans que l'on prenne en compte son
statut. L'avoir lui permet de « racheter » sa
dignité. Cela montre la fonction que peut jouer l'argent dans cette
société en particulier et de toutes les sociétés en
général.
Telles sont les réalités contenues dans un
vécu de prévisions sociales et dispositions légales qui
définissent le destin de ceux qui proclament leur innocence,
réclament une reconnaissance, enfants naturels en quête d'un
nouveau refuge du droit, requêtes de ces enfants pour une vie meilleure
qui reste encore un voeu pieux. Cette observation nous permet de
déterminer une multitude de facteurs prépondérants,
clairement identifiés, à l'origine de la situation de
bâtardise.
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