Chapitre PV
Les déterminants du conseil d'admnistration et
leur impact sur la gestion des entreprises publiques camerounaises
Le gouvernement d'entreprise est une réponse, mieux une
riposte à l'opportunisme des dirigeants qui a pour conséquence la
gestion déficiente des entreprises. On peut citer plusieurs exemples qui
corroborent ce point de vue ; les plus présents à l'esprit sont
cependant la chute d'Enron aux Etats-Unis, Vivendi, crédit lyonnais et
Eurotunnel ayant remis en cause la gestion pratiquée par ces dirigeants
respectifs.
Cette situation n'est pas l'apanage des seuls pays
industrialisés, elle se rencontre urbi et orbi, c'est d'ailleurs le cas
pour les entreprises camerounaises et particulièrement pour celles
relevant du secteur public.
En effet, les choix stratégiques de dirigeants de ces
entreprises relèvent plus souvent des aspirations et de
l'intérêt personnels que de celui des autres parties prenantes ;
citons à cet effet la situation que vit la société
MATGENIE56.
En admettant que le GE, à travers les mécanismes
qu'il développe, permet d'assurer l'orientation des décisions des
dirigeants vers l'intérêt de l'entreprise, il reste que l'on ne
voit pas, de manière directe, comment ces mécanismes agissent sur
la performance de l'entreprise.
C'est ce à quoi nous voulons arriver dans ce chapitre,
à partir d'un échantillon d' entreprises publiques
camerounaises.
De prima abord, il faut préciser que le
mécanisme qui fera l'objet de l'analyse est le CA (pour la simple raison
que non seulement dans la littérature il est le plus important mais
aussi parce que les autres mécanismes ne sont pas fonctionnels au
Cameroun). Quels sont les déterminants du CA qui agissent sur la
performance des entreprises publiques camerounaises ? Pour répondre
à ce questionnement, nous présenterons les variables du CA
faisant l'objet d'études pour expliquer les performances des ebtreprises
(section I) ; par la suite nous allons mesurer l'impact de ces
différentes caractéristiques sur la performance (section2) des
entreprises retenues pour l'analyse.
56 On y rencontre actuellement un mouvement de grève
dû au refus par le dirigeant de mettre en oeuvre les décisions
prises lors du conseil d'administration.
I- Les facteurs explicatifs du conseil d'administration
Ces variables résultent en grande partie de la
structure de propriété des entreprises. En effet, les
caractéristiques du conseil sont endogènes, la répartition
du capital et la performance des sociétés sont deux facteurs
explicatifs de la composition du conseil.
I-1 La structure de propriété comme mode
de contrôle des dirigeants
Comme déjà évoqué plus haut, les
relations entre les principaux et les agents sont très souvent empruntes
de conflits, c'est dans ce sillage que les auteurs de la théorie de
l'agence et ceux du GE en général (Charreaux, 1997 ; Shleifer et
Vishny, 1997) supposent que la structure de propriété peut
être un moyen de contrôle efficace lorsque certaines conditions
sont présentes.
I-1-1 La concentration du capital
Berle et Means en 1929 arrivaient déjà à
la conclusion fondamentale selon laquelle la forte dispersion du capital
existant dans les entreprises de leur échantillon57 conduit
les dirigeants à annihiler la fonction de contrôle revenant aux
actionnaires, et ils pourraient alors poursuivre des objectifs contraires
à ceux des propriétaires. Dans ce contexte, la concentration du
capital devient un élément favorable à l'exercice d'un
contrôle efficace par les actionnaires (Jensen, 1990 ; Bethel,
Liebeskind, 1993 ; Agrawal, Knoeber, 1996 ; Bethel et alii., 1998).
Dans une firme dont l'actionnariat est très
dispersé, un actionnaire seul n'est pas incité à engager
des ressources (du temps ou des fonds) pour exercer un contrôle sur la
gestion, car il sera seul à supporter le coût de l 'investissement
alors que l 'ensemble des propriétaires de la firme ou des partenaires
bénéficiera de cette action.
En revanche, un actionnaire possédant une part
significative du capital de l'entreprise est fortement incité à
investir dans le contrôle de la gestion de la firme, car il s'appropriera
une part non négligeable des bénéfices
supplémentaires ainsi réalisés (Mtanios et Paquerot,
1999).
57 En effet, l'étude de Berle et Means porte sur la
dispersion du capital des 200 plus grandes firmes américaines. Dans 45%
des entreprises qu'ils étudient (soit 90 entreprises), aucun
actionnaire, pris individuellement, ne détient plus de 5% du capital.
Un autre moyen de contrôle à travers la structure
de propriété est la détention en quantité
importante des droits de vote pour influencer les dirigeants et
éventuellement convaincre d'autres actionnaires en cas d'opposition de
ceux-ci avec la direction de l' entreprise.
Les résultats des études empiriques
menées sur la concentration du capital font apparaître dans
l'ensemble une influence positive de la présence d'actionnaires
majoritaires sur la performance des firmes (Shleifer et Vishny, 1986 ;
Shivdasani, 1993 ; Bethel et Liebeskind, 1993 ; Agrawal et Knoeber, 1996).
I-1-2 La nature de l'actionnariat
Les actionnaires ne sont pas censés agir de la
même manière sur la gestion de leur entreprise. En effet, certains
actionnaires sont supposés plus efficaces car ils présentent des
caractéristiques qui leur permettent, soit d'accéder à
l'information sur l'entreprise de façon plus efficiente, soit
d'être contraints de gérer leurs participations dans le capital de
l'entreprise de façon optimale.
A- Les actionnaires dirigeants
Trois conceptions apparaissent sur ce point dans la
littérature (Charreaux, 1997).
Dans la thèse de la convergence des
intérêts, la détention par les dirigeants d'une part
du capital constitue une excellente incitation à gérer
l'entreprise conformément à l'intérêt des
actionnaires (Berle et Means, 1932 ; Jensen et Meckling, 1976 ; Cole et Mehran,
1998). Plus la part de capital détenue par les dirigeants est
importante, plus les divergences d'intérêts entre les actionnaires
et les dirigeants sont faibles (Mtanios et Paquerot, 1999). La
rémunération des dirigeants sous forme de stock-options est
destinée à réduire les divergences d'intérêts
entre les propriétaires de la firme et la technostructure58
(Mehran, 1995).
58 Nous devons cette expression désignant l'appareil
collégial de décision dans une entreprise qu'est la direction
à Galbaith J.K (1967).
La thèse de l 'enracinement : en dotant la
technostructure d'une fraction importante du capital de la firme, elle peut en
utilisant les droits de vote y afférant s'enraciner.
La thèse de la neutralité : Demsetz
(1983) argue que toutes les structures de propriété sont
équivalentes. Pour lui, la performance des firmes est essentiellement
contrainte par l'environnement et les conditions d'exploitation de
l'entreprise. L'étude de Demsetz et Lenh K. (1985) confirme l'absence de
lien entre la performance de l'entreprise et la concentration du capital. Dans
le même ordre d'idée, Holderness C. et Sheehan D. (1998) montrent
q'il n'existe aucune différence de performances entre les firmes
à capital diffus et celles dont le capital est détenu par un
actionnaire majoritaire.
B- Les investisseurs institutionnels
(Zinzins59)
Nous distinguerons les institutionnels financiers et les autres
institutionnels.
1- Les institutionnels financiers
Grâce à leur facilité d'accès
à l'information, supposée par la théorie de l'agence, les
actionnaires financiers notamment les banques (ce mode de financement est
très présent au Japon) exercent un contrôle plus efficace
sur la gestion de la firme (Mtanios et Paquerot, 1999). Leur position
privilégiée leur permet d'accéder à des
informations sur l'entreprise, ses concurrents et son secteur
d'activité. Ils peuvent de ce fait mieux apprécier les
performances des dirigeants, en les comparant notamment à celles des
autres entreprises du secteur pour lesquelles ils possèdent des
informations. Ils peuvent également traiter l'information
financière et économique à leur disposition à
moindre coût. Ils disposent de spécialistes capables d'analyser
finement les comptes de l'entreprise, ses perspectives de développement
ainsi que la qualité de sa gestion. Enfin leur participation au capital
de la firme (prêts bancaires et autres types de crédits) est
généralement importante d'où une forte incitation de leur
part à contrôler la gestion de leurs intérêts (Carney
W.J., 1997).
59 Expression utilisée pour désigner les
investisseurs institutionnels. Cf. « Le gouvernement d'entreprise »
in Revue d'économie financière, Vol. 3, n° 63,
2000, p.3
2- Les autres institutionnels
C'est généralement les fonds de pension et les
sociétés de capital risque. Ce sont des actionnaires influents en
raison de l'importance de leurs moyens financiers, ce qui les rend actifs dans
le contrôle de la gestion de la firme (Smith, 1996 ; Bathala et
alii., 1994 ; Mtanios et Paquerot, 1999). Ils peuvent de ce fait
influencer les dirigeants pour les obliger à accroître la
performance de la firme pour montrer leur mécontentement et ne pas
vendre leurs actions à perte (Carleton et alii., 1998). Ils
réalisent des placements pour le compte d'actionnaires ou de
sociétaires exigeants, lesquels sont supposés exercer un
contrôle plus strict de la gestion de la firme dans laquelle ils
investissent, en occupant des sièges au CA et en investissant dans la
recherche et le traitement de l 'information.
I-2 Les performances de l'entreprise
Les caractéristiques du CA sont également
influencées par le niveau de performance de l'entreprise
considérée. C'est l'exemple en effet des sociétés
peu performantes faisant l'objet des prises de contrôle. Les cibles
d'offres publiques, de LBO (Leverage buy-out) ou de contestations de
minoritaires, ayant pour incidence une certaine concentration du capital,
portent fréquemment sur des sociétés faiblement
performantes (Godardd L. et Schatt A., 2000)60. On démontre
alors que l'évolution des des performances explique l'évolution
des caractéristiques du conseil. Hermalin et Weisbach (1988) montrent
que la probabilité d'ajouter un membre indépendant au conseil, au
détriment d'un membre interne augmente quand une entreprise est peu
performante. Denis et Sarin (1999), Pearce et Zahra (1992) et Hermalin et
Weisbach (1991) parviennent aux mêmes conclusions à travers la
définition des situations dans lesquelles la performance exerce une
influence significative sur la composition du conseil.
D'autres études mettent en évidence le
rôle plus important joué par les créanciers, en particulier
les banques, quand la performance de la firme se détériore et
lorsque les créanciers deviennent plus incertains (Kaplan, 1994).
60 Pour plus de détails sur ces travaux, se
référer à Charreaux et Pitol-Belin (1990), Godard (1996)
et Schatt (1995).
Figure IV-1 Interaction entre les
facteurs explicatifs des variables du CA
Performance des (1)
Répartition du
entreprises capital
Caractéristiques du CA
(3) (2)
Source: Godard L., Schatt A., (2000)
II- Les déterminants du CA influençant la
performance des entreprises publiques camerounaises
L'objectif poursuivi dans cette partie consiste à
identifier, par le biais des données collectées sur le terrain,
les variables du conseil qui ont un impact sur la gestion des entreprises
publiques camerounaises. Avant de présenter l'approche
méthodologique et les résultats obtenus, nous présenterons
de prime abord les différentes variables objet de l'étude sur le
CA.
II-1 Les variables de l'étude sur les
CA
Le GE identifie plusieurs critères se rapportant au CA
et qui ont une incidence sur son efficacité. Il s'agit principalement de
la taille du conseil, de la présence des employés au conseil
ainsi que de celle des administrateurs externes et/ou indépendants.
II-1-1 La taille du CA
Elle fait référence au nombre d'administrateurs
siégeant au conseil. La taille du CA peut influencer la performance de
l'entreprise.
Certains chercheurs justifient la présence pour un conseil
composé d'un nombre important d'administrateurs par le fait que ces
derniers sont capables de surveiller le
comportement des dirigeants dans la mesure où il est
difficile pour ces derniers de dominer un conseil composé d'un nombre
important d'administrateurs61.
Le nombre élevé d'administrateurs,
possédant des connaissances spécifiques, sont à l'origine
de transactions favorables grâce à une coordination accrue entre
les entreprises, à une réduction des coûts de transaction
et à un accès facile à l'expertise.
Figure IV-2 Taille des CA
camerounais
mutuelle en vue de réduire les comportements
opportunistes des dirigeants. Aoki, Williamson et Smith proposent de
résoudre les problèmes issus de l'asymétrie d'information
et les coûts qui en découlent par la présence des
employés dans le conseil d'administration. Si la valeur de leur capital
humain est élevée et s'ils réalisent des investissements
spécifiques, le contrôle des employés sera exercé
efficacement sur le dirigeant. Franks et Mayer (1992) notent que les places
accordées aux employés au conseil d'administration ou de
surveillance leurs permettent de sauvegarder leur investissement en capital
humain spécifique.
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