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L'enfant apprenti au Bénin

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par Camille Raoul FASSINOU
Université d'Abomey Calavi (UAC Bénin) - DEA en droit de l'homme 2006
  

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PARAGRAPHE 2 : L'EMPLOI DES APPRENTIS

EN DEHORS DE L'ATELIER

Les travaux effectués par les apprentis le temps de l'apprentissage n'ont pas toujours rapport avec le métier objet de leur contrat. Ils sont utilisés au profit du patron à faire diverses autres activités contrairement à l'alinéa 4 de l'article 14 de l'arrêté n°2861 qui dispose : « il ne doit être employé qu'aux travaux et services se rattachant à l'exercice de l'art, du métier ou de la profession enseignée ». L'absence de réglementation sur ce sujet dans le nouveau code du travail en vigueur en République du Bénin fait penser que les autorités, à défaut de considérer l'ancien texte colonial, ont choisi, de manière coupable de laisser le mal se perpétuer. Ils sont donc employés dans les activités secondaires du patron (A) et parfois même à des travaux champêtres et domestiques (B) où ils servent de domestique pour exécuter les corvées, les courses, la lessive, la vaisselle etc.

A°) L'emploi aux activités secondaires du patron

Les patrons étant mal formés, ils sont obligés de développer d'autres activités secondaires pour pouvoir faire face à leurs charges. Ainsi, les apprentis sont utiles à tous les travaux du maître et de peur de se faire renvoyer se gardent de toutes protestations et subissent. Ils sont appelés à exécuter des travaux qui ne sont pas dans le cadre de leur apprentissage mais qui relève du domaine des activités secondaires développées par les patrons pour accroître un peu leur revenu. Ce sont aussi des activités à valeur économique ou productive que l'enfant apprenti exécute pour le compte de son patron, au titre par exemple des stratégies de diversification des revenus.

La tendance nous amène à dire que chaque patron établit au niveau de son atelier, ses propres règles qui sont différentes de celles établies par le législateur. Certains patrons développent des activités de production vente. Ils fabriquent des biens meubles que les apprentis sont chargés de vendre. Dans ces ateliers les apprentis peuvent travailler toute la journée lorsque l'exposition a lieu devant l'atelier ou une demi-journée dans les ateliers et le soir ils circulent dans les marchés pour vendre les produits ou ils assurent la permanence sur les lieux de vente. Dans ce dernier cas, ils se croient soulagés parce qu'ils ne sont plus en présence des patrons et pensent qu'ils ne travaillent q'une demi journée par jour. Ils ignorent, qu'ils travaillent plus car ils abattent un travail trop grand pendant des heures et le soir en circulant pour vendre, cela ne profite qu'au patron.

Certains apprentis sont satisfaits car ils augmentent les prix de vente fixés par le patron et avec un peu de chance, ils se font de l'argent. Dans ces genres d'activités se trouvent des forgerons, des menuisiers, des fondeurs, etc. Certains créent des lieux de commerce où les apprentis se relayent pour assurer la permanence.

Certains maîtres artisans emploient leurs apprentis dans leur champs ou pour d'autres activités domestiques. Grégoire ATIGOSSOU le souligne bien lorsqu'il dit qu' « il n'est pas surprenant que le jeune apprenti soit employé à des tâches domestiques et parfois à des travaux agricoles54(*) ».

Pour plusieurs apprentis enquêtés, la saison pluvieuse favorise leur exploitation car les patrons n'hésitent pas à fermer l'atelier pour vaquer aux activités champêtres. Le constat est plus fréquent dans les villages que dans les villes, mais il n'est plus rare que le patron dans les villes sollicite son apprenti le week-end pour ses champs qui sont à proximité de la ville (à Akassato, Tori, Hêvié, Glo et autres)55(*).

Cette main d'oeuvre facile est employée ainsi pour permettre au patron de couvrir ses besoins en produits agricoles car ses revenus ne lui permettent pas de satisfaire l'ensemble de ses besoins. Il est obligé de développer d'autres activités dont celles champêtres semblent les mieux indiquées car comme le dit si bien un adage `'fon'' « la terre ne ment pas ». Ils mettent alors leurs héritages ou acquis en valeur pendant la saison pluvieuse avec le concours de leurs apprentis.

Ces derniers étant parfaitement soumis ne peuvent refuser et exécutent les ordres du patron pour éviter des sanctions. Certains patrons n'hésitent pas à cacher les astuces du métier aux apprentis récalcitrants ou à chercher des moyens pour les renvoyer car ils pourraient entraîner les autres apprentis dociles et soumis à suivre leurs pas. Les patrons apprécient beaucoup les apprentis soumis, dociles et respectueux. Ils sont réduits au silence malgré l'abus dont ils sont objet de la part des patrons. Le seul bénéfice pour ces derniers est que le patron ne leur cache rien et ils sont bien formés c'est-à-dire que le patron leur transmet toutes les connaissances qu'il détient sur le métier.

L'apprentissage sur le tas, ce mode dominant d'insertion des jeunes enfants dans les activités artisanales constitue un pilier essentiel du système d'organisation des petites unités artisanales et un élément incontournable dans leur reproduction.

B°) L'emploi aux activités domestiques

Pour ce qui concerne les travaux domestiques, il n'est pas rare de voir des apprentis très tôt le matin en route pour le domicile du patron ou de la patronne avant de retourner à l'atelier. Les apprentis sont sollicités tous les jours pour balayer la maison du patron, faire les menus besoins, chercher de l'eau, faire la lessive, les courses. Parfois même les filles sont sollicitées pour faire la cuisine et dresser le lit.

Heureusement, aujourd'hui les patronnes, pour ce qui les concerne, ont compris qu'il ne faut pas laisser l'apprentie faire le lit car les maris vicieux n'hésitent pas à solliciter ces dernières pour des rapports sexuels en absence des patronnes. Les apprentis sont plus utilisés dans des travaux domestiques lorsque l'atelier de formation est dans la maison du patron. Dans les ateliers de couture ou de coiffure les apprenties se relayent pour faire les ménages aux patrons ou patronnes. Cet emploi est souvent source de conflits entre les apprentis et aussi entre apprentis et patrons.

Ces pratiques sont dans l'ensemble acceptées par les apprentis et leurs parents surtout lorsque le patron paraît compétent aux yeux des parents qui espèrent pour leur enfant une formation de qualité. Ainsi ces corvées productives se sont amplifiées avec le temps car elles offrent un complément de revenu aux patrons. Ces corvées auxquelles sont astreints les enfants apprentis révèlent les rapports de domination qui régissent les relations entre apprentis et patrons. Certes ces pratiques sont de plus en plus remises en cause grâce aux efforts des ONG et des associations de défense des Droits de l'Homme, mais la bataille est loin d'être gagnée.

En somme, tout porte à croire que les autorités mènent une politique qui consiste à fermer les yeux sur la situation. Pour eux, il suffit que la formation en alternance continue d'absorber la majorité des échecs scolaires pour ne pas assombrir plus le tableau du chômage tout en se prévalant d'une mission de formation. Les maîtres artisans ne respectent pas les règles de l'apprentissage, ni au niveau des horaires de travail, des jours de repos, de la rémunération, des congés, de la durée de l'apprentissage et des dérogations.

L'Etat de par son silence, et même son hypocrisie reste indifférent à la situation de l'enfant apprenti qui est sujette à plusieurs risques et dangers. L'apprentissage, malgré son rôle et son importance, demeure une formation sur le tas, dispensée généralement à une cible, en majorité, constituée de jeunes enfants. Il n'évolue toujours pas dans le sens de renforcement des capacités de l'enfant apprenti. Il ne prédestine pas toujours l'enfant apprenti à une vie professionnelle meilleure car les conditions de transmission du savoir et la formation aléatoire qu'il propose faute de suivie et d'une évaluation efficiente n'assurent pas une meilleure formation aux enfants et du coup les prédestine à la misère, même diplômés. Ce silence aggrave dangereusement leur situation aussi bien dans les ateliers qu'en dehors. Les artisans prennent en charge plusieurs enfants, les utilisant plutôt comme une main d'oeuvre à bon marché plutôt que de les former. Ce silence est grave car malgré les multiples accords internationaux sur les enfants, la protection des enfants et notamment des enfants apprentis ne connaît pas encore une issue favorable pour ces enfants.

A l'instar d'autres pays africains, le Bénin de par sa volonté de protéger les Droits de l'Enfant, a ratifié un certain nombre de Conventions Internationales et régionales qui définissent les droits et devoirs des enfants et a adopté des textes législatifs appropriés. Mais il ne demeure pas moins que la mise en oeuvre de l'ensemble des droits de l'enfant nécessite une modification profonde des législations nationales et des comportements pour que l'enfant béninois soit sujet de droit et non simplement objet de droit car la ratification des textes sur l'enfant par le Bénin n'est pas une fin en soi, il faut veiller à la mise en application réelle de ces textes. L'article 32 de la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant le reconnaît, « les Etats partis reconnaissent le droit de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail comportant des risques susceptibles de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social » et pourtant nous sommes tentés de dire qu'au Bénin c'est ce même Etat qui tolère cette situation.

* 54 ATIGOSSOU (Grégoire) : « Les problèmes des apprentis en République Populaire du Bénin », mémoire de maîtrise en sociologie ; FLASH, UNB, juillet 1986, page 3.

* 55 Noms de certains villages limitrophes de Cotonou où le phénomène s'observe.

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