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L'enfant apprenti au Bénin

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par Camille Raoul FASSINOU
Université d'Abomey Calavi (UAC Bénin) - DEA en droit de l'homme 2006
  

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SECTION 2 : UNE TENDANCE A L'EXPLOITATION

ECONOMIQUE DES ENFANTS APPRENTIS

La question complexe de l'exploitation peut revêtir diverses formes. « L'exploitation économique des enfants apprentis s'entend de toute situation d'activité imposée ou non à l'enfant et dont une tierce personne tire une satisfaction ou un profit matériel, économique, moral, spirituel et social46(*) ».

Le recours à une main d'oeuvre jeune s'inscrit dans une tradition ancienne de l'apprentissage destinée à faire face à la faiblesse de la mécanisation et des ressources qui constituent un trait dominant de l'artisanat africain. Mais aujourd'hui, l'apprentissage devient de plus en plus une forme de mobilisation de la main d'oeuvre à faible coût où la formation est plus apparente que réelle. Les enfants apprentis sont donc victimes de cette demande non satisfaite parce qu'ils se laissent plus facilement abuser, sans assurance et incapables de revendiquer leurs droits, ce qui permet aux patrons de les faire travailler plus, sans les nourrir ni les loger convenablement et sans les rétribuer. La situation de vie des enfants apprentis dans les ateliers de formation s'apparente à une pure exploitation. Cette exploitation se déroule principalement dans les ateliers (Paragraphe 1) mais s'étend souvent hors du cadre de formation (Paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : L'EXPLOITATION AU SEIN DE L'ATELIER

« Le travail des enfants devient une exploitation s'il implique un travail effectué à plein temps, à un âge précoce, des travaux qui exercent des contraintes physiques, sociales et psychologiques excessives. L'exploitation économique suppose aussi trop d'heures consacrées au travail, des atteintes à la dignité et au respect de soi des enfants apprentis, comme l'esclavage ou la servitude. On y inclut le travail dans des conditions peu salubres et dangereuses, une rémunération insuffisante, un emploi qui entrave l'accès à l'éducation, qui ne facilite pas l'épanouissement social, psychologique complet47(*) ».

Les conditions de travail (A) des enfants apprentis béninois s'apparentent alors à l'exploitation car ils ne reçoivent pratiquement rien en contrepartie des services rendus (B).

A°) Les conditions de travail

Les rapports qui caractérisent l'apprentissage en font un mode de gestion de la main d'oeuvre à faible coût au mépris des articles 15 de la CADBE et 32 de la CIDE. Cette exploitation des enfants est le résultat d'une demande non satisfaite de main d'oeuvre à la fois malléable et bon marché48(*).

Dans les ateliers les enfants abattent des travaux pénibles et dangereux pour leur jeune âge et excèdent leurs capacités. Ils croupissent sous des charges qui dépassent leurs forces, pendant des heures, sans repos. Ils travaillent dans des conditions difficiles qui les déshumanisent et sont exposés à de multiples dangers. Ils ne contribuent qu'au bonheur de leurs patrons qui en retour, semblent se soucier peu de leur situation. Plusieurs enfants parmi ceux enquêtés, ont subi des déformations à cause de leur posture au travail ou encore des charges sous lesquelles ils croupissent tout au long des journées de travail. Ces déformations s'observent plus chez les enfants apprentis qui déploient beaucoup d'énergie dans l'accomplissement de leurs tâches. On peut donc retrouver ces déformations chez des enfants apprentis maçons, menuisiers, machinistes, mécaniciens, etc...

Les enfants apprentis sont mal logés, mal nourris et parfois le patron les laisse sur les chantiers pendant plusieurs jours sans se soucier de ce qu'ils mangent. Ils dorment dans des bâtiments en chantier sans protection. Ces jeunes apprentis qui inspirent vraiment de la pitié apprennent à se battre pour survivre. Ils se livrent à la soustraction frauduleuse des matériaux à utiliser, qu'ils vendent à vil prix ou travaillent pour d'autres pour avoir de quoi manger.

Par ailleurs, les maîtres artisans ne tiennent pas compte de l'importance de la protection des apprentis contre les risques professionnels. Les patrons qui tirent le plus profit du travail des enfants apprentis ne mettent pas l'équipement indispensable et nécessaire à la disposition de ces derniers et économisent le coût des équipements protecteurs. D'ailleurs ils s'en soucient très peu car ils ne se protègent pas eux-mêmes. Ainsi, le port du casque sur les chantiers qui est indispensable et nécessaire à la protection du crâne lors des chutes éventuelles d'objets ou des chutes de hauteurs n'est pas assuré aux apprentis ; de même que les coquilles anti-bruit qui protègent l'appareil auditif contre le bruit ou encore, les lunettes de travail et les cache-nez, les gants et les chaussures de protection. Les maîtres artisans ou patrons qui ne veulent rien perdre mettent les enfants apprentis dans une situation qui est faite d'un ensemble de points négatifs.

Le personnel travaillant dans les ateliers reçoit des signaux (sons, lumières, odeurs, etc.) qui engendrent inévitablement une certaine fatigue si leur réception s'opère dans de mauvaises conditions. Les maîtres artisans, conscients quand même des dangers qui peuvent dériver de cette situation ne songent guère à l'améliorer. Ces apprentis échangent dans les ateliers avec le milieu ambiant des sensations qui peuvent exiger une dépense excessive d'énergie ou entraîner une mauvaise élimination des toxines si les conditions de travail sont mauvaises. Les maîtres artisans dont les maigres revenus ne couvrent pas tous les besoins se préoccupent peu des conditions d'hygiène et de sécurité des apprentis au sein des ateliers. Les apprentis sont ainsi exposés à plusieurs risques et accidents professionnels. Car, pour un patron d'atelier rencontré au cours de cette enquête, cela leur permet de casser le prix pour pouvoir gagner le marché et faire la livraison à temps.

En matière de durée de travail l'article 142 du code de travail en vigueur actuellement au Bénin dispose : « Dans tous les établissements soumis au présent code, à l'exception des établissements agricoles, la durée légale du travail des salariés quels que soient leur sexe et leur mode de rémunération est fixée à quarante heures par semaine. Cette durée peut être dépassée par application des règles relatives aux équivalences, aux heures supplémentaires à la récupération des heures de travail perdues et à la modulation ». Or, la journée de travail de l'enfant apprenti commence toujours à la même heure49(*) pratiquement ou avant, mais l'heure de la fermeture des ateliers et donc de sortie est toujours incertaine et dépend du flux des commandes à réaliser dans la journée. Les irrégularités en matière de la durée du travail s'expliquent en partie par l'absence des décrets d'application prévus par le code du travail.

Par ailleurs, les enfants entrés précocement en apprentissage deviennent après quatre ou cinq ans de formation, productifs pour leurs maîtres qui leur confient des travaux sans plus se gêner pour contrôler la qualité du travail effectué. Chez la plupart des apprentis enquêtés, arrivés à ce stade, les patrons leurs laissent les chantiers ou les ateliers et ne reviennent par moment que pour constater l'évolution des travaux. Ils empochent la totalité de la main d'oeuvre sans se soucier des vrais acteurs qui se sont échinés pour la réalisation des commandes. En somme, l'enfant apprenti béninois travaille plus que le travailleur rémunéré, et alors qu'en est-il de sa rémunération.

B°) La rémunération

« La rémunération est le prix du travail, du service rendu50(*) ». La rémunération des apprentis prévue à l'article 3 alinéa 5 de l'arrêté 2861/ITLS/D51(*), est quasiment inexistante dans la pratique.

« Les apprentis constituent l'essentiel de la main d'oeuvre utilisée par les artisans dans les ateliers. Leur participation est d'autant plus importante que bon nombre d'ateliers tomberaient en faillite en l'absence des apprentis. Ils représentent 67,9 % de la main d'oeuvre employée dans les entreprises artisanales52(*) ». Mais malgré ce constat les enfants apprentis ne sont pas rémunérés pour le travail qu'ils effectuent dans les ateliers. Rares sont les patrons qui y pensent et donnent par semaine un peu d'argent à leurs apprentis. Certains apprentis reçoivent simplement de petits présents de la part de leur patron qui exploitent ainsi leur force de travail sans une véritable contrepartie.

Il convient de noter que l'article 3 alinéa 5 de l'arrêté 2861/ITLS/D, du 23 novembre 1953 qui dispose que : « si l'apprenti perçoit une rémunération, toutes les obligations et garanties prévues par la loi du 15 décembre 1952 en matière de salaire, s'attachent à cette rémunération », ne rend pas cette rémunération des apprentis obligatoire mais plutôt facultative.

De même, l'alinéa 7 de l'article 65 de la loi n°98-004 portant code du travail en République du Bénin qui dispose que : « les modalités de rémunération, de nourriture, de logement et autres conditions », soient stipulées dans le contrat d'apprentissage, n'est pas respecté et comme nous l'avons souligné plus haut, ce n'est pas un contrat toujours écrit et soumis, dans la pratique, à l'inspecteur du travail. C'est ce qui explique sans doute, l'absence d'un système régulier de rémunération dans les ateliers enquêtés. Les apprentis reçoivent par moment des cadeaux allant de 200 à 1000 francs CFA lorsque le maître a bénéficié d'un bon marché. Les patrons évoquent plusieurs raisons pour justifier leur attitude : cherté des articles, loyer, taxes et autres. Certains pensent et avancent qu' « un enfant qui commence de bonne heure à recevoir de l'argent ne peut jamais apprendre un métier53(*) ». On assiste alors à l'exploitation déshumanisante de la force de travail des apprentis au profit des seuls maîtres.

En somme, la majorité des apprentis ne sont pas rémunérés et pour ceux qui le sont, cette rémunération est dérisoire. La restauration à midi que certains patrons prennent en charge est déjà louable et encourageante mais insuffisante. Il faut reconnaître que certains enfants apprentis, parce qu'ils ne sont pas rémunérés et que le soutien matériel des parents leur fait défaut, sont amenés à livrer une concurrence déloyale à leur patron pour survivre.

Les patrons emploient souvent même leurs apprentis dans des activités qui n'ont rien à voir avec la formation objet du contrat.

* 46 TINKPON (Flavien), « l'exploitation économique des enfants au Bénin », mémoire de DEA, FASJEP, UNB, page 44.

* 47 UNICEF, « La situation des enfants dans le monde », 1997, Page 26.

* 48 PENANT n°845 Octobre-Décembre 2003, page 5.

* 49 7 heures du matin

* 50 Dictionnaire français, « Le petit Robert », édition 1990.

* 51 Arrêté N° 2861/ITLS/D du 23 Novembre 1953 déterminant les conditions de fonds de forme, les effets, les cas et conséquences et les mesures de contrôle de l'exécution du contrat de l'apprentissage.

* 52 MALDONADO (c), CASSEHOUN (C), MOUSTAPHA (D), « Analyse des résultats de l'enquête des unités économiques du secteur informel urbain du Bénin », BIT Genève, 1996, Page 167.

* 53MATHUR (Kanchan) « Rapport paternaliste, le cas typique de l'apprentissage : les enfants dans l'industrie lapidaire de Jaîpur (RAJASTAN INDE) » in L'enfant exploité, page 350.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery