L'enfant apprenti au Bénin( Télécharger le fichier original )par Camille Raoul FASSINOU Université d'Abomey Calavi (UAC Bénin) - DEA en droit de l'homme 2006 |
PARAGRAPHE 2 : LA METHODE DE FORMATIONLa méthode de formation est la manière de transmettre le savoir aux enfants apprentis. Cette méthode pose un problème très important. On se demande si elle est celle indiquée pour mieux transmettre ce savoir et si elle permet aux enfants apprentis de bien assimiler la formation pour pouvoir vivre de leur métier toute leur vie. En réalité, cette méthode de formation ne nous semble pas être l'idéal car les relations patrons apprentis ne permettent pas à l'enfant d'avoir confiance en lui-même et de ne pas avoir peur du patron. Cette manière de transmettre le savoir aux enfants paraît tyrannique (A) et figée (B) car elle ne connais pas d'évolution. A - Méthode tyrannique « Les relations de travail entre le maître artisan et l'enfant apprenti s'expriment à travers une dépendance bien hiérarchisée ; si bien qu'il s'avère délicat de parler de véritables relations de travail39(*) ». Les patrons d'atelier se comportent en véritable seigneur dans les ateliers. Les enfants apprentis leurs doivent du respect et de la soumission qui dépassent souvent l'entendement de l'humain. Ils agissent parfois envers leurs apprentis comme des êtres humains dépourvus de raison et de sensibilité. Certains agissent comme s'ils n'ont pas été enfants ou comme s'ils n'avaient pas des enfants. De peur de se faire renvoyer et faire perdre ainsi les frais élevés d'apprentissage à leurs parents, les enfants subissent avec des grincements de dents. Le maître de métier à la recherche d'une main d'oeuvre facile, gratuite et malléable, recrute des enfants qui, confrontés à d'autres réalités que celles de leurs milieux naturels exécutent les ordres par obéissance et par soumission. Les contrats qui existent créent des exigences unilatérales à l'endroit de l'apprenti, ce dernier placé à l'entière disposition de son maître qui le considère le temps de l'apprentissage comme sa propriété contrairement aux textes qui régissent l'apprentissage. Ainsi, dans les ateliers l'enfant apprenti est à la totale disposition de son patron et de ses " seniors " (ceux qui ont plus d`ancienneté que lui dans l'atelier). C'est l'occasion de nombreux abus ou les apprentis et en particulier les plus jeunes, sont utilisés à toutes sortes de commandes qui n'ont rien à voir avec le métier objet de leur contrat. Comme nous l'ont signalé plusieurs apprentis « je suis le boy à tout faire des sous patrons, ce sont eux qui me frappent le plus souvent quand le patron est absent ». Cet état de chose oblige ces enfants à servir de boys pour exécuter les corvées, les courses, la lessive, la vaisselle...etc. Ils restent donc de la main d'oeuvre exploitable à volonté bien plus longtemps40(*). Selon les enfants apprentis, la présence du patron leur donne la trouille, car il n'est pas du genre à prêter une oreille attentive aux désirs d'un apprenti, il ne se laisse pas approcher ; il est prêt à vous rabrouer à la moindre erreur, à la moindre tentative de se confier à lui. « Les manquements à la discipline au sein de l'atelier ou aux seniors même en dehors de l'atelier, sont souvent punis par des coups d'une dureté excessive et par des humiliations qui peuvent devenir de véritables sévices41(*) ». Ils deviennent plus vulnérables et soumis aux règles et aux ordres des patrons au risque de payer de leur peau. La violence semble faire partie de la "règle du jeu" dans le rapport existant entre le patron et l'apprenti. En parlant de violence, il ne nous est pas question de prendre en considération les brimades, vexations et humiliations multiples qui constituent le lot quotidien des apprentis. « Nous parlons plutôt des gestes volontaires malintentionnés dans le but d'atteindre physiquement la personne de l'apprenti qui peut être rangés dans le registre de coups et blessures42(*) ». Les violences et sévices sexuels de la part des patrons, sont aussi courants. Il n'est pas rare de voir au niveau de la haute couture, de la coiffure, ou dans les métiers où les jeunes filles cohabitent avec les garçons, que les patrons les harcèlent ou abusent sexuellement d'elles ou parviennent même quelquefois à les épouser. « Cette violence dans des rapports n'est pas que le fait des patrons et concernent aussi ces apprentis filles, chaque niveau de la hiérarchie ayant un "droit d'agression" sur un niveau inférieur43(*) ». Ce respect est consacré en France par l'article 112 alinéa 5 inséré par la loi n° 73 alinéa 4 du 02 Janvier 1973, qui dispose, « l'apprenti doit à son maître fidélité, obéissance et respect ; il doit l'aider par son travail, dans la mesure de son aptitude et de ses forces ». La compréhension et l'esprit de ce texte sont mal perçus par les patrons d'ateliers. D'une manière générale, l'enfant assujetti à l'apprentissage est bloqué dans son développement psychoaffectif, car enlevé de son milieu naturel, et plongé dans un environnement hostile austère et opposé à son épanouissement normal. Ils ont tellement peur des patrons si bien que la présence de ce dernier au sein de l'atelier est incomparable à celle d'un enseignant dans une salle de classe. Les enfants apprentis en sa présence sont réduits au silence et l'atelier présence l'atmosphère d'une classe morte. Ils ont parfois conscience de l'exploitation dont ils sont victimes de la part des maîtres mais n'entendent rien dire ou rien faire pour susciter ou augmenter la colère inexpliquée des patrons qui est presque permanente à leur égard. Ainsi, l'apprenti agit souvent sous l'emprise de la peur : peur de décevoir, peur de perdre sa place, peur de faire moins bien que ses collègues, peur de la brimade et de la sanction. Une fois sorti de ce système, et fier de s'en être tiré, l'ex-apprenti participe à la reconduction de cette forme de parcours initiatique d'une génération sur l'autre, implacablement, prétextant « qu'il faut baver pour réussir ». Mais quelle est cette névrose collective qui, dans un esprit de compétition, fait croire que la chance de « réussir dans la vie », de ne pas « être exclu du système » est proportionnel au mal qu'on s'est donné pour y arriver, névrose que traduisent les exigences de l'adulte vis-à-vis de l'enfant. Ce climat tendu ne permet pas pleinement à l'enfant apprenti de prendre des initiatives au sein de l'atelier ou d'oser poser des questions au patron sur telle ou telle technique de montage ou de fabrication. La conséquence est évidente, le nombre d'années passées dans l'atelier n'attesterait pas de la connaissance certaine des rouages du métier. Cette méthode tyrannique de transmission du savoir est demeurée telle à travers les temps. B - Une méthode figée L'apprentissage, comme nous l'avons souligné, est une vieille forme de transmission du savoir-faire, donnée par la pratique du métier. Sa méthode, à travers la péripétie des temps, est restée figée malgré l'évolution du temps. Elle est demeurée une routine pour les patrons qui ne ménagent aucun effort pour transmettre leur savoir. La méthode étant toujours la même, elle demande la vigilance de l'enfant apprenti et une volonté de la part de ce dernier de s'approprier rapidement les techniques de son patron. Cette méthode traditionnelle a certes, ses mérites que personne ne peut contester. Mais dans notre monde contemporain, avec la modernisation, cette méthode semble ne plus être indiquée. D'abord méthode est essentiellement pratique. Elle met plus l'accent sur la pratique que sur la théorie. Elle repose sur la transmission des connaissances acquises par le patron à travers ses faits et gestes lors de la réalisation des travaux. L'apprenti par cette méthode est appelé à être éveillé pour comprendre et faire bien les techniques du maître pour pouvoir réussir à les exécuter seul. En un mot cette méthode de formation qui normalement devrait associer la théorie à la pratique est simplement limitée à l'observation et l'initiation à des gestes professionnels complétés par l'aptitude de l'apprenti à reproduire les instructions du maître notamment lors des commandes. Ce système repose sur une méthode de transmission du savoir faire qui fait appel à l'observation directe et à l'initiation. Ensuite, il y a l'adresse, l'application de l'individu à reproduire les instructions progressives du maître et la manifestation du génie créateur de ce dernier. Suivant cette méthode archaïque, il faut des années pour que le corps se conditionne à une gestuelle qui lui permette le parfait contrôle des gestes. Le patron dans ce contexte ne peut qu'initier l'apprenti à des gestes, qu'il détient de son patron sans pouvoir lui enseigner les nouvelles techniques en vogue. Il en est ainsi parce que les patrons n'ont pas changé de procéder de transmission du savoir d'une génération à l'autre. Ce procédé est le même d'une activité à une autre et d'un atelier à un autre et seul l'attitude de patron à l'égard des apprentis peut être différente. Enfin, la conséquence est que devant une difficulté, l'apprenti attend toujours que son patron lui donne la solution. Cette méthode prive les enfants d'initiatives, de manque d'esprit bricoleur qui ne les laisse pas facilement rebuter. Il manque le goût du risque. Or l'absence de prise de ce risque constitue un coup porté à l'essor de l'apprentissage. A cause du caractère archaïque de cette méthode de formation une réforme s'impose pour intégrer les progrès techniques et déterminés les modules à suivre pour une formation aisément et complètement assimilable. Il faudra donc rechercher le sens, « le contenu de l'apprentissage comme élément central d'une culture technico-manuelle propre à un métier44(*) ». Pouvoir définir la méthode appropriée pour être en phase avec le vent de la modernisation et de la mondialisation doit être une préoccupation, cela permettra de moderniser la formation pour pouvoir disposer d'un temps record parce que le principe est désormais un rendement appréciable en peu de temps. Pour cela, il faut que dans la méthode qui est essentiellement pratique que l'on associe la théorie. Il faut une méthode duale, c'est-à-dire, pratique et théorique. Car la méthode de formation professionnelle duale est une voie d'accès à la connaissance au profit du plus grand nombre, dans les domaines technique et professionnel, avec les possibilités d'accroître le niveau de performance technologique des bénéficiaires. « L'adoption du système de formation alternée (dual) obligerait tout adolescent désireux l'entrer en apprentissage à avoir un minimum d'instruction pouvant lui permettre de suivre les cours théoriques45(*) ». En un mot, le système d'apprentissage actuel du Bénin souffre de beaucoup d'insuffisances. Les textes coloniaux qui régissaient l'apprentissage nous paraissent plus protecteurs des enfants apprentis que ceux actuels. Nous pouvons citer entre autre l'arrêté colonial ITLS/D du 12 juillet 1954 fixant la composition et le fonctionnement de la commission professionnelle chargée de faire subir l'examen de fin d'apprentissage aux apprentis. En plus du fait que les enfants en apprentissage reçoivent une mauvaise formation, leurs conditions de travail s'apparentent à l'exploitation. * 39RAJAA MEJJATI ALAMI « Le travail des enfants au Maroc », approche socio-économique (Secteur d'activités, pires formes, enfant de la rue), page 26. * 40 MARGUERAT (Yves), « L'apprentissage au Togo », in l'enfant exploité, page 363. * 41 MARGUERAT (Yves), op. cit., page 363. * 42 GARET (Bernard), « l'apprentissage en France », in l'enfant exploité, page 375. * 43 GARET (Bernard), op. cit, page 375. * 44 (GRAND) Barthélemy, « Artisanat et Développement », 1986, édition GRET, Page 47. * 45 DENAKPO (Mireille A.), « la pratique de l'apprentissage dans la ville de Cotonou, cas de la mécanique et de la maçonnerie », mémoire de fin de formation du premier cycle ENA, 1997-1998, page 33. |
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