b) Approche empirique.
Nous allons à présent étudier le versant
empirique des effets de la mondialisation sur le travail des enfants.
Nous pouvons constater, comme la théorie l'avait
prédit, que le degré de solvabilité a un effet fortement
négatif sur le travail des enfants. De plus, nous verrons que la
politique de santé publique affecte effectivement le travail des
enfants, comme nous l'avait prédit la théorie. Enfin, nous
étudierons le rôle des initiatives gouvernementales dans la
réduction du travail des enfants.
Tout d'abord, nous pouvons constater que le coefficient du PIB
par habitant témoigne de l'effet de l'allègement de la contrainte
de liquidité sur les décisions d'investir dans l'éducation
pour le ménage moyen. Mais il témoigne également de
l'effet de l'allègement de la contrainte de liquidité sur les
dépenses publiques. Une hausse du PIB par habitant réduit le
travail des enfants, mais l'effet est statistiquement insignifiant si le
travail des enfants est mesuré par le taux de non inscription à
l'école primaire, et si l'on prend en compte la proportion de
travailleurs sortant du secondaire ou ayant suivi des études
supérieures. Cela est conforme aux résultats de beaucoup de
chercheurs qui trouvent que la croissance (une augmentation du revenu
réel par habitant) peut ne pas être la réponse au
problème du travail des enfants. La structure des objectifs (prix et
salaires relatifs) peut être plus importante.
Edmonds et Pavcnik vont ainsi vont attirer notre attention sur le
au cas du Vietnam qui est intéressant dans la mesure où le
travail enfantin est largement répandu, mais aussi parce que ce pays a
connu des répercussions non négligeables de la
libéralisation du commerce. En 1989 le Vietnam avait mis en place un
quota d'exportation de riz maintenant le prix intérieur du riz a un
niveau artificiellement bas. Le pays s'est peu à peu
libéralisé, entraînant une hausse progressive du prix du
riz, et un doublement des exportations. En 1997 le quota a été
éliminé et le prix du riz a rejoint le niveau
international ; c'est-à-dire que le prix relatif du riz a
augmenté de 29% sur la période considérée. Edmonds
et Pavcnik se sont donc interrogés sur la réaction du travail des
enfants face à ces évolutions. Ils vont considérer deux
effets :
En premier lieu on pourrait penser à un effet de
substitution car l'augmentation du prix du riz rend plus profitable la mise au
travail d'un enfant au dépend de sa scolarisation.
Mais elle permet également de réduire la
quantité de travail qu'un ménage doit fournir pour obtenir un
certain niveau de revenu. Ce qui correspond à ce qu'on nomme l'effet de
revenu.
Basu et Van (1998) ont construit un modèle de
l'économie des ménages qui prend en compte l'importance du niveau
de vie des ménages sur l'insertion des enfants dans les activités
économiques. Ce modèle est basé sur deux hypothèses
essentielles, appelées axiomes. Premièrement, selon l'axiome de
luxe, une famille fera travailler les enfants sur le marché du travail
si et seulement si son revenu sans celui des enfants est relativement faible.
Deuxièmement, on a l'axiome de substitution qui implique que le travail
des enfants et celui des adultes sont substituables du point de vue de la
firme.
Il existe un arbitrage entre le travail et l'éducation. En
effet le travail apporte des bénéfices considérables pour
les familles pauvres : un revenu, l'accumulation d'expériences
spécifiques et permet d'économiser les coûts liés
à la scolarisation. Toutefois il engendre aussi un coût :
l'abandon des revenus futurs plus élevés qui seraient liés
à plus d'éducation. Mais les deux peuvent coexister :
l'arbitrage se fait alors entre travail, éducation et loisirs.
Cet effet de revenu peut être supposé réduire
la motivation des parents peu qualifiés à envoyer leurs enfants
travailler si on présume que le loisirs des enfants et
l'éducation sont des biens normaux.
En pratique il a été observé que le travail
des enfants est passé de 57% en 1993 à 38% en 1998
(c'est-à-dire une baisse de un tiers sur la période qui
correspond à la libéralisation des exportations de riz). La
diminution du travail infantile pourrait donc être le résultat du
simple développement économique. Afin d'analyser dans quelle
mesure la hausse du prix du riz provenant de la libéralisation des
échanges a entraîné une baisse du travail infantile, les
deux auteurs s'appuient sur le fait que le prix du riz a évolué
différemment suivant les régions, en raison des variations des
coûts de transport. En corrélant ces différences de prix
avec l'évolution du travail infantile dans chaque village, les auteurs
montrent que ce dernier a plus diminué dans les localités
où le prix du riz a fortement augmenté que dans celles où
il a peu augmenté. Edmonds et Pavcnik estiment qu'une hausse de 30% du
prix du riz se traduit en moyenne par une baisse de 10% du travail infantile.
Cette réduction a été accompagnée d'une hausse de
la scolarisation. Ainsi les garçons âgés de 14 à 15
ans ont vu leur taux de scolarisation augmenter de 54% à 76% entre 1993
et 1998, tandis que celui des filles a plus que doublé, passant de 30%
en 1993 à 64% en 1998. L'ouverture au commerce a donc eu un effet
positif en contribuant à la baisse du travail des enfants. .
Dans la théorie et dans les faits, on tend donc à
conclure que l'exposition au commerce favorise l'augmentation de la prime de
qualification dans les pays qui ont investit dans l'éducation, et
l'instruction de leur main d'oeuvre. Et elle engendre la diminution de cette
prime dans les pays qui n'ont pas entrepris ces investissements. La hausse de
la prime de qualification peut être jugée néfaste dans la
mesure où elle tend à augmenter les inégalités de
qualification.
Toutefois, on constate que l'augmentation de cette prime incite
davantage les parents à envoyer leurs enfants à l'école.
Il n'y a ainsi aucune base théorique ou empirique pour affirmer que la
mondialisation engendre des effets intrinsèquement positifs ou
négatifs sur le travail des enfants. En réalité, les
effets de la mondialisation dépendent essentiellement des conditions
initiales, et de l'accompagnement des politiques intérieures.
Dans les pays relativement bien dotés en travailleurs
instruits, l'abaissement des barrières à l'échange permet
d'inciter davantage les parents à envoyer leurs enfants à
l'école. Avec l'aide des politiques de répartition,
d'éducation et de santé appropriées, l'ouverture du
commerce va s'accompagner d'une hausse de l'inscription au lycée, et
donc d'une baisse du travail des enfants. En revanche la suppression des
entraves à l'échange dans les pays relativement abondants en
travailleurs peu ou pas qualifiés, peut empirer le problème du
travail des enfants car cela va diminuer l'incitation des parents à
envoyer leurs enfants à l'école. Dans de tels pays le
problème n'est pas tant de rendre l'école plus accessible, mais
plutôt de la rendre rentable. Cela serait possible en diminuant le
coût de l'éducation privée ou en mettant en place des
politiques de santé et d'hygiène qui permettraient d'augmenter
l'espérance de vie. Ce sont justement ces mêmes politiques qui
rendent possibles, pour un pays ayant une proportion suffisamment
élevée de travailleurs qualifiés, de profiter (en termes
de diminution du travail des enfants) de la participation à
l'échange international, et qui sont ainsi recommandées à
tous les pays en développement.
Les investissements directs à l'étranger (IDE) ont
donc un rôle positif puisqu'ils vont éperonner la croissance
économique et avoir un effet indirect qui permettra de réduire la
fréquence des enfants au travail. Ils vont stimuler les exportations des
pays en développement, leur permettant ainsi d'acquérir davantage
de devises étrangères, ainsi que des techniques de pointe. Ce qui
va améliorer la productivité du travail et augmenter le nombre
d'emplois productifs. En effet, on estime qu'en 1992, 24 millions d'emplois ont
été créés directement ou indirectement par les
compagnies multinationales dans les pays en développement. En outre, on
estime que ces créations d'emplois se feront à un rythme plus
rapide à mesure que le rythme des investissements créés
dans ce pays s'intensifiera. Par conséquent les travailleurs adultes
vont être recrutés en plus grand nombre. Leurs conditions de vie
vont donc s'améliorer grâce à un emploi plus stable et plus
rémunérateur. Ainsi, la nécessité économique
du travail des enfants dans ces familles pauvres va peu à peu
s'estomper. De plus, l'ouverture des pays va permettre une diminution des
taux d'intérêt et offrir un meilleur accès au
crédit. Ce qui va permettre de diminuer le coût
d'opportunité de l'école et par la même va diminuer le
nombre d'enfants contraints au travail.
En outre, les investisseurs étrangers vont
également trouver qu'il est plus difficile d'éviter les lois qui
luttent contre le travail des enfants. En effet, les entreprises sont de plus
en plus exposées à la surveillance des syndicats, aux
médias, aux droits humains et aux groupes activistes. La mondialisation
a engendré un vaste débat concernant la mise en place de mesures
visant à protéger les travailleurs victimes de la concurrence sur
les marchés du commerce mondial. Ce débat a permis la mise en
place d'initiatives gouvernementales visant au respect des normes sociales. Par
exemple, le règlement du Conseil Européen a institué,
depuis le 1er janvier 1998, des régimes spéciaux
d'encouragement qui octroient des préférences additionnelles aux
pays apportant la preuve qu'ils respectent les conventions de l'OIT ; et
notamment la convention numéro 138 qui concerne l'âge minimum
d'admission à l'emploi ou au travail. Des sanctions commerciales seront
mises en place pour les pays qui ne respecteraient pas les droits des enfants.
Les entreprises sont un vecteur important du progrès
social grâce à la prise de conscience des consommateurs qui se
sentent responsables de leurs choix de produits ou de services. C'est ainsi
qu'on a vu fleurir de nombreuses chartes, codes ou labels visant à
garantir le respect de certaines normes dans la fabrication des produits.
Ainsi, depuis quelques années les compagnies multinationales et les
grandes firmes d'importation ont adopté des codes volontaires de
conduite qui les ont amené à bannir le travail des enfants de
leur fonctionnement économique. De nos jours les grandes marques sont
contraintes de renvoyer une image positive. Dans la mesure où la
réputation de la marque joue aujourd'hui un rôle important dans la
vente de produits similaires, les grandes firmes ont entamé des
programmes pour combattre le travail des enfants dans leur chaîne de
production. Ainsi, en mars 1995 l'administration a prié toutes les
entreprises américaines en action avec l'étranger d'adopter de
tels codes. Le label social est un autre moyen de donner la garantie aux
consommateurs que le produit a été fabriqué sans recourir
au travail des enfants.
C'est en partie la création d'associations comme ATTAC, ou
d'ONG à but humanitaire qui a permis cette prise de conscience. Elles
agissent comme de véritables contre-pouvoirs qui permettent de faire
circuler ce type d'informations.
C'est en partie pour cette raison que la mondialisation engendre
un effet positif sur le travail des enfants dans la mesure où une
économie ouverte a moins d'encouragement pour préserver la
culture traditionnelle et le cadre institutionnel qui favorisent le travail des
enfants.
Enfin, plusieurs études ont été
menées afin d'évaluer les coûts et les
bénéfices engendrés par le travail des enfants dans les
pays en développement. Le Programme International pour l'Abolition du
Travail des Enfants (IPEC) a conclut que l'élimination du travail des
enfants engendrerai sept fois plus de bénéfices que de
coûts. Selon cette étude, le travail des enfants peut être
éliminé s'il est remplacé par l'éducation
universelle d'ici 2020 ; et cela pour un coût estimé à
760 milliards de dollars américains. L'IPEC a comparé les
coûts et les bénéfices afin de mieux évaluer les
conséquences économiques de tels engagements internationaux. Dans
les cinq premières années les coûts devraient
excéder les bénéfices, mais à plus long terme la
tendance s'inverserait pour devenir excédentaire une fois que les effets
positifs de l'éducation et de la santé se feraient sentir. Ainsi,
selon le bulletin d'information du bureau du BIT, « en 2020 les
coûts seraient largement comblés par les retours sur
investissement, atteignant un bilan positif de 60 milliards de dollars
américains ».
Ainsi, nous pouvons effectivement dire que la mondialisation peut
engendrer des effets positifs sur le travail des enfants. Toutefois il nous
faut nuancer ce propos car cette affirmation se vérifie seulement dans
la mesure où les pays concernés ont pleinement réussi leur
adaptation à une économie mondialisée. Or, nous pouvons
constater qu'il n'en est pas toujours ainsi.
Précédemment nous avons vu que plus un pays est
intégré dans l'économie mondiale, plus la situation
sociale de sa population s'améliore. Nous pouvons citer comme exemple la
Corée qui, en plein coeur de la mondialisation, a vu se déployer
des progrès sociaux considérables : le revenu national a
augmenté et la plupart des enfants sont scolarisés. Toutefois
certains pays n'ont pas réussi à s'adapter à l'ouverture
mondiale du commerce. Longtemps extrêmement fermés, les pays comme
l'Inde ou le Brésil, dont les économies sont essentiellement
tournées vers les marchés intérieurs, ont vu se creuser
des inégalités sociales. Pour une partie considérable de
la population la mondialisation leur a donc été fatale. Ce sont
désormais les pays où les enfants sont le plus
exploités.
Beaucoup d'éléments du problème du travail
des enfants se sont développés ces dernières
années : le trafic d'enfants travailleurs à travers les
frontières nationales, la place des produits fabriqués par les
enfants pour l'exportation, la délocalisation de certaines productions
vers des pays et des entreprises à forte main d'oeuvre enfantine,
l'utilisation positive et négative du problème du travail des
enfants dans la publicité commerciale, la place du thème du
travail des enfants dans les politiques commerciales internationales. Cette
évolution montre la place structurelle du travail des enfants dans le
capitalisme mondialisé. Mais elle témoigne également de la
prise de conscience au niveau mondial des conditions de vie de certains
enfants.
Mais nous avons vu qu'il était impératif de prendre
en compte les différents aspects du problème que
représente le travail des enfants, c'est-à-dire au niveau
économique, éthique, mais aussi diplomatique et commercial, pour
que la mondialisation puisse avoir un effet positif et permette de
réduire le nombre d'enfants au travail. Il est nécessaire de
mettre en place des institutions et des politiques appropriées.
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