III/ Les effets positifs de la mondialisation sur le
travail des enfants :
Après avoir démontré que la mondialisation
pouvait conduire à une hausse de la proportion d'enfants au travail,
nous allons à présent constater que la libéralisation du
commerce peut également engendrer une réduction du travail des
enfants. Pour arriver à cette conclusion nous étudierons dans un
premier temps l'aspect théorique du problème, puis nous
aborderons le côté empirique dans une deuxième partie.
a) Approche théorique.
On considère que la demande d'un travail effectué
par des enfants provient essentiellement des parents qui ont besoin de leurs
enfants dans les fermes familiales, dans leurs propres activités
informelles ou encore pour s'occuper des tâches ménagères
pendant que les parents travaillent. De son côté, l'offre est
également déterminée par les parents puisque ce sont eux
qui vont décider à quel moment leurs enfants doivent ou non aller
à l'école. Selon une étude de Becker en 1981, la
décision de faire travailler un enfant à la place de l'envoyer
à l'école dépend principalement de la rentabilité
de l'éducation. Si les parents ne sont pas en mesure d'emprunter en
échange du revenu futur de leurs enfants, les coûts de
scolarisation vont devoir être financés par le revenu actuel des
ménages. C'est pourquoi la redistribution du revenu est susceptible de
faire baisser le volume d'enfants au travail dans la mesure où elle
permet d'alléger la contrainte de liquidité des parents en ce qui
concerne l'éducation des enfants dans les familles pauvres. La politique
d'éducation est doublement importante car, en plus d'alléger la
contrainte de liquidité des familles, elle permet aussi d'augmenter le
retour à l'éducation.
Dans un texte intitulé « Globalisation can help
reduce child labour », Alessandro Cigno met en avant l'exemple de
deux régions du monde. Dans la première, les enfants qui meurent
avant d'avoir atteint l'âge d'aller à l'école
développent des maladies comme la malaria ou le choléra. Dans la
seconde région les enfants meurent essentiellement de maladies
respiratoires, bien connues pour être relatives à la malnutrition.
Dans le premier cas les parents savent bien qu'il y a peu de choses à
faire pour sauver la vie de leurs enfants. En revanche dans le second cas les
parents savent que la possible survie de leurs enfants va dépendre de
l'argent qu'ils vont consacrer à chacun de ces enfants. Sachant qu'un
bébé sur quatre survit, un couple qui veut un enfant en âge
d'aller à l'école aura le choix entre mettre quatre enfants au
monde, et s'efforcer de nourrir chaque enfant aussi bien ou aussi mal que son
revenu lui permet, ou donner moins de quatre naissances et nourrir mieux chaque
enfant par rapport à la moyenne de la région. En 1998, Cigno
démontre qu'en réduisant la fréquence de maladies comme le
choléra ou la malaria, les dépenses publiques en installations
sanitaires ou en médecine préventive vont permettre de diminuer
le facteur exogène responsable de la mortalité infantile. Ce qui
permettra ainsi d'augmenter les chances de survie. Cela persuade donc les
parents de donner naissance à un nombre peu élevé
d'enfants, et d'investir davantage dans chaque enfant qui naît. Si par
conséquent les dépenses totales consacrées aux enfants
encore trop jeunes pour être scolarisés diminue, la politique
allègera la contrainte de liquidité des ménages sur
l'éducation des enfants en âge d'aller à l'école.
Nous pouvons faire la même remarque en ce qui concerne la
mortalité à l'école et aux âges plus
élevés. Bien que la mortalité prématurée
survienne principalement pendant la première année après
la naissance, des enfants meurent également à des âges plus
avancés en raison de causes exogènes. Si les dépenses
publiques en installations sanitaires et en médecine préventive
augmentent l'espérance de vie des enfants âgés de six ans
et plus, alors il y aura un retour à l'éducation plus important.
Cela va ainsi inciter les parents à investir d'avantage dans
l'éducation de leurs enfants, et cela à n'importe quel âge.
Et cela diminuera la tentation des parents de tirer profit de leurs enfants,
dès la première opportunité, en envoyant ces derniers
travailler. Ainsi, c'est bien la mondialisation qui pourrait permettre au
gouvernement d'investir dans ces installations et donc de participer à
la réduction du travail des enfants.
Nous allons à présent nous intéresser aux
effets de l'exposition à l'échange.
Ainsi, la théorie standard de l'échange nous
indique que les pays qui échangent se spécialisent là
où ils ont un avantage comparatif, et ces avantages comparatifs
témoignent des dotations relatives en facteurs non échangeables.
Elle précise également qu'un pays qui s'ouvre au commerce verra
l'avantage de son facteur comparativement plus abondant augmenter. Selon
l'opinion traditionnelle de la théorie, les facteurs de production non
échangeables sont le capital et le travail. La participation à
l'échange international est ainsi supposée apporter une baisse du
taux de salaire si le pays est relativement plus abondant en capital, et une
hausse du taux de salaire s'il est relativement plus abondant en travail. Wood,
en 1994, précise cependant que le capital financier est fortement
mobile, et les équipements productifs suivent le capital financier avec
seulement un très court retard. Il y a un facteur autre que la terre et
les ressources naturelles qui est lent à se déplacer d'un pays
à l'autre : il s'agit du travail. En outre, le travail se
différencie par le niveau de qualification. Puisque la composition des
qualifications des travailleurs d'un pays peut changer qu'à travers un
processus lent, le commerce affectera alors les taux de salaire relatifs des
travailleurs qui présentent différents niveaux de qualification.
Si la ressource relativement plus abondante est la main-d'oeuvre
qualifiée, la prime de qualification augmentera. Si la ressource
relativement plus abondante est le travail non qualifié, la prime
diminuera. Cela est compatible avec l'observation de la hausse des
inégalités de salaire (qui apparaît comme une
conséquence évidente de la libéralisation commerciale)
dans les pays développés où les travailleurs fortement
qualifiés résident la plupart du temps.
Dans les pays en développement le schéma est plus
complexe. On estime en effet que seule une minorité de la population
atteint le secondaire ou les études supérieures. Une
minorité aristocratique des pays en développement, qui sont
comparativement bien dotés en travailleurs instruits et
qualifiés, peut avoir un avantage comparatif dans la production de biens
nécessitant un niveau de qualification élevé. Une plus
grande minorité de pays en développement, dont la dotation en
travailleurs ayant atteint l'école primaire est relativement abondante,
pourra avoir un avantage comparatif dans la production de biens qui
requièrent les bases élémentaires de la lecture, de
l'écriture et du calcul. Enfin, les autres pays qui sont essentiellement
concentrés sur le continent africain, auront un avantage comparatif dans
la production de biens ne nécessitant aucune autre qualification que
celles acquises directement en travaillant, et ceci probablement dès le
plus jeune âge.
L'exposition au commerce international va engendrer une hausse de
la prime de qualification, et pourrait ainsi diminuer le travail des enfants
dans les deux premières catégories de pays. Dans la
troisième catégorie, l'échange au niveau international va
entraîner une baisse de la prime de qualification, et pourrait ainsi
faire augmenter le travail des enfants.
Ainsi, selon un point de vue théorique, la mondialisation
est favorable dans les pays à main d'oeuvre qualifiée. Cela
incite donc davantage les parents à envoyer leurs enfants à
l'école plutôt qu'à les faire travailler. Mais pour que
l'école paraisse rentable aux parents, il faut mettre en place des
politiques favorables au bon développement des enfants. En effet, les
parents seront tentés d'envoyer leurs enfants à l'école si
la mondialisation engendre un effet de revenu. Les
« optimistes » face à la mondialisation
suggèrent qu'il faut que les pays aient une motivation qui les encourage
à investir dans l'éducation et les compétences
professionnelles afin d'éperonner le développement
économique et leur compétitivité à long terme. Dans
ces conditions l'augmentation de l'ouverture au commerce pourrait effectivement
s'accompagner d'une diminution du volume d'enfants au travail.
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