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Les ONG et la transformation des conflits dans le territoire d'Uvira.


par Christian KIKA KITUNGANO
Université Officielle de Bukavu, UOB - Licence en sociologie 2016
  

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1. Etat de la question

Mignault note que la référence aux travaux d'autres auteurs aide l'auteur à établir une démarcation nette entre ses propres idées et les idées des autres apportées comme preuves, analysées ou réfutées1(*).

La lecture in extenso des ouvrages des chercheurs précédents permet de pénétrer leurs pensées, d'apprécier les difficultés qu'ils rencontrent, les moyens qu'ils ont utilisés ou les surmonter, de saisir l'originalité de leur contribution et les lacunes qu'une autre recherche devra combler. Elle permet en outre d'utiliser les résultats déjà acquis afin que la recherche à entreprendre soit mieux faite et plus utile2(*).

La preuve de la fouille documentaire montre que la production scientifique sur la transformation des conflits a déjà retenu l'attention de bon nombre de chercheurs dans le domaine scientifique. Nous relevons quelques travaux qui nous ont paru d'un intérêt non moins capital.

Dans sa réflexion sur les obstacles et les chances du dialogue dans le contexte de conflit, Masumbuko Ngwasi3(*) soutient que les approches à caractère politico-judiciaire caractérisées par la négociation, la médiation ou les conférences de paix produisant des protocoles d'accords, des arrangements particuliers, des déclarations de paix, tendent à prendre appui sur ce qui est factuel, sur les aspects historico-événementiels immédiats et les aspects psycho-humains de surface. Souvent leurs résolutions et recommandations restent lettre morte, des voeux pieux.

Dans ses explications, Ngwasi parle du non suivi des protocoles envisagés par les gouvernants et les organisations en matière de paix en vue de stabiliser où d'instaurer la paix. Quant à notre travail, il est nécessaire d'assurer la gestion pacifique des conflits après dialogue social avec objectif de faire régner la paix toute entière.

Dans son essai de solution aux conflits de pâturage entre éleveurs et cultivateurs du groupement de Kakamba dans la collectivité plaine de la Ruzizi, Kabaya Babolo4(*)examine les différents facteurs qui sont à la base de rupture d'un type de confiance entre éleveurs. Il en distingue des causes immédiates. En vrac, il a retenu l'aridité liée aux conditions climatiques, la diminution des surfaces cultivables et des pâturages, l'explosion démographique et la surcharge animale, la compétition entre activités. Il soutient que les conflits de pâturage sont violents et aboutissent à des pertes en vies humaines et en bétails.

Kabaya a essayé de mener sa recherche afin de dégager les causes et les conséquences de conflit de pâturage tout en proposant les stratégies de solution. Son champ d'étude est limité aux seules stratégies politico-judiciaires,pouvant guider ces catégories de personnes à résoudre le conflit. Les idées émises dans notre travail en ce qui concerne les mécanismes de résolution des conflits, sont complexes du fait qu'elles permettent d'étudier les conflits dans toutes leurs dimensions.

ADAPAE5(*)soutient pour sa part que la procédure qui se dégage partout est celle de dialogue constructif et précisément la rencontre des personnes cheminant vers la vérité et cherchant à procurer le bien commun.

La négociation est menée par des médiateurs et des facilitateurs. Cette procédure était conçue dans une logique telle qu'enfin de compte chacune des parties en conflit s'en sorte gagnante et se remette en confiance. Le partage du repas ou de la boisson, qui apparait comme un leitmotiv dans la transformation des conflits identifiés, est un symbole éloquent.

Il ajoute que la finalité de cette justice était la transformation des conflits et du chao qu'ils peuvent occasionner en possibilité de rétablir l'ordre et la paix. Ces derniers ainsi retrouvés devaient se conserver durablement. Ceci était parfois garanti au-delà de la boisson et du repas de réconciliation par des gestes profonds au sein de la communauté Bafuliru, Babembe et Bahavu tels l'octroi d'une fille, le pacte de sang, les mariages mixtes symbole de la consolidation de la paix.

L'accent pour cet auteur est mis sur la réconciliation, il ne tente pas d'étudier les causes des conflits or on ne peut pas transformer le conflit sans pour autant en connaître ses causes principales. Tandis que pour nous, avant d'étudier le processus de transformation des conflits il est bien attendu nécessaire de chercher les racines ou les origines du problème identifié.

Dans son ouvrage « prévenir les conflits violents, quels moyens d'action ? » OCDE6(*), essaie de montrer que la consolidation de la paix et la réconciliation englobent l'ensemble des mesures à long terme pour soutenir la mise en place des structures politiques, socio-économiques, culturelles, viables et capables de traiter les causes fondamentales des conflits ainsi que d'autres initiatives visant à instaurer les conditions nécessaires à la paix et à la stabilité durable.

Ces activités visent également à promouvoir des groupes en conflit avec la société marginalisée tout en permettant un accès équitable au processus des décisions politiques, aux réseaux sociaux, aux ressources économiques et à l'information. Elles peuvent être mises en oeuvre dans toutes les phases d'un conflit. Cette organisation continue à affirmer que dans les pays divisés par le conflit intergroupe, certains éléments de la société civile peuvent être en mesure de jouer un rôle important en exerçant une médiation entre les groupes, en favorisant le dialogue et la réconciliation.

Cependant la violence du conflit sociopolitique elle-même, peut aussi susciter l'émergence d'institutions et d'acteurs nouveaux qui se consacrent spécialement à la cause de la paix. Cette étude propose des stratégies de résolution des conflits.

Dans son étude sur la contribution de la société civile à la reconstruction de la paix en RDC : cas de GADHOP Beni-Lubero, KalungeroLusenge Yolande7(*), tente une certaine compréhension des concepts comme société civile, association membre, ses actions en termes des rapports des séminaires, de mémorandum, des messages, des dénonciations et des recommandations sur la démocratie et la paix.

Il fait une analyse de la politique économique et sociale d'une part, la démocratie et la paix, des relations entre les facteurs essentiels des droits humains et de la paix, d'autre part. La question de la nationalité et la protection des minorités banyarwanda en RDC est étroitement associée à la problématique de la sécurité des frontières des pays agresseurs pour justifier la guerre en rapport avec leurs pays d'origine, sur la problématique de la double nationalité et de la citoyenneté transfrontalière.

Ce travail décrit le problème lié à l'identité ou à la nationalité comme base d'instabilité ou d'insécurité source des répercussions sur la vie humaine. Il parle ensuite des problèmes migratoires qui créent en RDC la mésentente entre les Congolais et les Rwandais qui ont acquis la nationalité congolaise. L'auteur n'a pas proposé des solutions à mettre à la disposition des ONG et de la population, des méthodes nécessaires pour transformer les conflits et d'éloigner davantage la population.

Alain Njangu et alii8(*)notent que les conflits remontent dans la nuit de temps des anciens royaumes et que ces conflits élevés étaient soit internes, soit externes. Les conflits internes avaient comme origine la conquête du pouvoir par des guerres de succession ou de sécession, les conflits à l'externe se manifestaient par des conquêtes ou d'hégémonies au cours desquels les princes, pour des raisons d'espace vital ou politique, voulaient étendre des terres d'autres royaumes.

Ces auteurs décrivent l'évolution des conflits dans les sociétés traditionnelles. Il s'agit à ce niveau de conflits liés au pouvoir coutumier. Cependant, ils n'ont pas suggéré les mécanismes pour mettre un terme aux conflits mais plutôt à décrire le fait tel qu'il est.

Hans et alii avancent que les conflits ethniques n'ont pas encore entravé des solutions. Ils se manifestent le manque de confiance, les suspicions, les haines, les tensions, les tueries, les manipulations, l'extrémisme intra et intercommunautaire, le non réalisme, la peur, le muselage de la presse et de liberté d'expression, les limites des mouvements de circulation. Ils poursuivent que l'un des grands obstacles aux tensions de paix est la persistance de la guerre, la présence des armées étrangères et bandes armées au Sud-Kivu. D'où l'insécurité, à tel enseigne que les activités de paix se déroulent à grande partie dans les villes car certains coins de la province sont inaccessibles. Ces initiatives de paix sont coordonnées et il naît, de ce fait, une vision divergente et diversifiée9(*)

Les démarches de cette étude se limitent à décrire le conflit dans ses aspects ethniques et ses différentes manifestations, elle ne cherche pas non plus la solution au problème des conflits ni des mécanismes pouvant amener le conflit vers la phase de sa transformation. Pour cet auteur, ce sont des groupes armés locaux qui sont à la base des conflits dans un milieu ou dans une société.

Pacifique Mwami10(*)constate que le conflit se manifeste ici lorsque l'occident, par convoitise de nos richesses naturelles, utilise d'autres pays africains et voisins à la RDC ou Sud-Kivu en amplifiant les guerres dans les pays afin de continuer à gonfler leur économie. Il constate également que les dirigeants se bousculent entre eux pour des intérêts égoïstes et que cette situation va jusqu'à créer les conflits au niveau des dirigés. Ce qui conduit à l'existence de deux camps selon que certains soutiennent et d'autres ne soutiennent pas ceux ou celui qui exerce le pouvoir.

Pacifique estime que le conflit en Afrique est entretenu par l'occident à cause des diversités des ressources que regorgent les pays africains. Il cherche à étudier l'exploitation des dirigeants africains par leurs homologues occidentaux. Pour lui, les conflits naissent lorsque les dirigeants n'interviennent pas aux besoins de la population de leurs pays respectifs. Cet auteur se limite juste à expliquer le conflit en recherchant ses causes en dehors de l'Afrique pendant qu'il existe aussi des causes internes au conflit en Afrique même.

Augustin Awak'ayom11(*) quant à lui, constate que la base des conflits devrait être une base de la culture de la paix à condition qu'il y ait articulation correcte des différentes identités qui se partagent l'espace social.

Il affirme que les dirigeants de nos sociétés doivent poursuivre le bien de leurs populations par des actions intelligemment menées aux niveaux respectifs, où elles doivent être organisées pour être efficaces. Pour lui, la paix doit être le résultat des efforts conjugués dans la résolution des conflits. Il n'a pas relevé néanmoins les stratégies ni les causes et conséquences des conflits dans une société qui cherche à se développer. Car sans cela, l'on ne peut prétendre à un climat de paix dans une zone en conflit.

Toussaint KafarhireMurhula12(*) dit qu'il existe un désaccord abyssal entre les nations ou ethnies et les citoyens, sur les valeurs fondamentales de la collectivité. La définition d'une société de liberté, d'un pouvoir consenti et partagé, d'un droit perçu comme naturel. Il ajoute que la plupart des analyses au sujet de la guerre en RDC limitent sa cause aux enjeux économiques, les raisons politiques sont non moins négligeables et mériteraient considération et analyse adéquate.

Il s'agit d'une erreur d'élever au même niveau parfois en confondant les causes d'ordre politique et ses conséquences d'ordre économique. Et cela crée un déséquilibre qui ne va pas sans soulever la question non résolue de la nationalité réclamée par les Banyamulenge.

Cet auteur essaie d'analyser le conflit lié à l'identité c'est-à-dire à la nationalité recherchée par les Banyamulenge. Pour lui, pour qu'il y ait la paix, il faut l'instauration de climat calme entre les individus et les communautés. En allant plus loin, l'on constate que l'auteur fonde la base de la paix dans l'attribution au peuple banyamulenge de la nationalité congolaise. Pour lui, cette nationalité doit être effective,  elle ne doit pas cibler une certaine catégorie d'individus. Or, la nationalité est attribuée au Banyamulenge mais jusque-là, la paix n'est pas instaurée. Le chercheur devrait chercher les vraies causes qui sont à la base de la guerre de Banyamulenge et en proposer des stratégies de transformation.

Selon NgomaBinda13(*), pour voir la paix durable s'instaurer et voir les efforts sérieux de coopération s'amorcer, le dialogue doit continuer, nécessairement sous un climat nouveau, serein, loin de toute pression des armes, des tensions, des suspicions mutuelles. Chaque partie a l'obligation civique ou morale de comprendre qu'il est indispensable de doter d'un esprit pragmatique, de savoir réaliser les compromis sur tous les points de divergence, de cultiver la rencontre des soeurs, le dialogue sincère.

Pour Binda, il n'y a que le dialogue qui est la meilleure voie pour arriver à la paix, sans cela, il n'y a pas d'autres chemins qui peuvent conduire à la paix. Nous estimons de notre côté qu'il s'agit de plusieurs moyens nécessaires aux acteurs d'espérer à la paix durable. La négociation sociale dans tout processus de transformation des conflits nécessite le respect strict des normes établies par la société. Le dialogue n'est pas le seul moyen d'aboutir à la paix sociale.

Pour Philippe de Leerner14(*), les vrais experts en conflit, les véritables gestionnaires, sont ceux et celles qui les vivent ou qui en sont victimes. Il note qu'un conflit est avant tout une situation privilégiée d'apprentissage à tous les niveaux, sur soi-même ou sur sa situation ou celle de ses pairs, sur le monde qui nous entoure, ses logiques, ses rouages, ses acteurs et ses stratégies. Pour lui, il faut positiver le conflit, il veut dire par là que, gérer un conflit ne signifie pas nécessairement le résoudre, mais en retirer un maximum davantage et des leçons pour un maximum d'acteurs concernés.

Les études de Philippe se limitent à donner aux acteurs, les stratégies pour arriver à la paix sans pour autant mettre l'accent sur les causes lointaines et proches des conflits alors que ces éléments constituent les moteurs pour transformer les conflits. A ce titre, il est difficile de résoudre un conflit dont on ne connait pas l'origine et la cause.

Tous ces travaux abordent les conflits dans différentes dimensions, ils essaient de situer les acteurs, les modes de résolution, les conséquences et les causes des conflits dans leur contexte global. Ils énumèrent les manifestations des confits dans leur caractère violent mais dégagent rarement les solutions pour que la paix soit établie.

Quant à ce qui concerne notre travail portant sur les ONG et la transformation des conflits à Uvira, nous étudions les mécanismes rationnels de transformation des conflits par les ONG faisant partie de notre cible. Il s'agit des mesures pour prévenir, résoudre et gérer pacifiquement des conflits et de poursuivre l'évolution de la paix établie. Nous relevons en outre des attitudes, à adopter par les acteurs directs et indirects pendant la résolution des conflits et ce, après avoir identifié les causes proches et lointaines des conflits.C'est une étude critique appuyée par des outils épistémologiques en vue de vérifier les stratégies mises en jeux par la CDJP/Uvira, l'ADEPAEdans le contexte interne et externe de la cité d'Uvira.

* 1M. MIGNAULT, Cité par MASIALA MASOLO et GOMANDAMBA, Rédaction et présentation d'un travail scientifique, Goma, éd. Enfant et paix, ULPGL, 1993, p.45

* 2 BOULANGER et BALEY QUIER cité par MULUMBATI NGASHA, Manuel de sociologie générale, éd. Africa, 2007, p.40

* 3 MASUMBUKO NGWASI, les interactions humaines dans un contexte de conflit. Réflexion sur les obstacles et les chances du dialogue dans un contexte, CAREP, ULPGL, Goma, 1996, pp.78-79.

* 4 JP KABAYA BABOLO, Essai de solution aux conflits de pâturage entre éleveurs et cultivateurs du groupement de Kakamba dans la collectivité plaine de la Ruzizi, TFC UNIC/ISGEA, Bukavu, 1995, pp.10-15

* 5ADEPAE, Mode traditionnel de transformation des conflits dans les communautés tribales au Sud-Kivu (cas de Babembe, Bahavu et Bafuliru, éd. CERUKI, Bukavu, 2006, pp.144-145

* 6OCDE, Prévenir les conflits violents : quels moyens d'action ?, CEDEX, 2001, pp. 95-125

* 7Y. KALUNGERO LUSENGE, contribution de la société civile à la reconstruction de la paix en RDC : cas du GADHOP, Beni-Lubero, TFC, UCG BUTEMBO, 2001, inédit

* 8A.NJANGU et alii, les conflits au Sud-Kivu des anciens royaumes à 1996, les rôles de la femme, édition de l'AFCEF, Bukavu, 2000, pp.47-56

* 9HANS et Alii, Rapport de consultation d'elementiata sur des initiatives de paix au Sud-Kivu, 2001, inédit

* 10 P. MWAMI, Rôles des ONG dans la résolution des conflits au Sud-Kivu, TFC, 2000-2001, p.34

* 11A. AWAK'AYOM, « conscience nationale et identités ethniques. Contribution à une culture de la paix », in Congo-Afrique, N°372, Février 2003, pp.93-136

* 12T. KAFARIRE MURHULA, l'autre visage du conflit dans la crise des grands-lacs, Nairobi, cité par MWAYILA TSHIYEMBE, « l'Afrique face à l'Etat multinationale » in le monde diplomatique, septembre 2000, pp.23-25

* 13FEDERATION INTERRELIGIEUSE INTERNATIONALE POUR LA PAIX MONDIALE, culture de la paix. Un engagement personnel, familial, national et international, colloque ténu à Kigali du 26 au 27 Décembre 2000, pp.33-43

* (14) P. DE LEERNER, Conflits et dynamiques populaires de changement, édition de LENDA, 1995, pp.10-27

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon