La saisie d'un compte bancaire se trouvant à l'étranger.par Paul Taglo Barré Université de Ngaounderé ( Cameroun ) - Master recherche en Droit Privé Fondamental 2020 |
CHAPITRE I : LE RESPECT DES CONDITIONS D'EXEQUATUR PAR LADECISION ETRANGERE PRONONCANT LA SAISIE.L'exequatur peut être entendu comme un ordre d'exécution donné par l'autorité judiciaire d'un Etat, d'une décision rendue par une juridiction étrangère. Il peut encore être entendu comme l'ordre d'exécution donné par une juridiction d'une sentence rendue par une justice privée étrangère, à l'exemple des sentences arbitrales201.Notons que l'exequatur peut également être accordé pour les actes authentiques et transactions judiciaires. Procédure d'exequatur n'a pas pour objet le rejugement d'une affaire ayant fait l'objet de la chose jugée202. Notons cependant que les modalités d'obtention de l'exequatur ont l'objet d'évolution dans le temps. Dans un premier temps, au cours du 19eme siècle, le juge français avait institué le système de révision. Aussi, l'article 121 de l'ordonnance française de 1925 mentionne que : «les jugements étrangers n'auront point d'exécution en France, et les français nonobstant ce jugement pourront de nouveau débattre leurs droits comme entiers devant les tribunaux français» ; cette hypothèse de « rejugement203 » était bel et bien perceptible dans cette loi. Dans d'autres arrêts rendus en matière de droit des personnes204, le système de révision n'en était pas moins supprimé pour autant. Il a fallu attendre l'arrêt MUNZER205 qui avait énoncé quelques conditions de régularité internationale des jugements étrangers à savoir : la compétence du juge étranger, la régularité de la procédure suivie, la conformité à l'ordre public et l'absence de la fraude à la loi. Cependant, dû au fait que l'exigence de célérité est apparue particulièrement importante dans le procès206, ces conditions ont été amoindries avec le temps207.C'est ainsi que l'arrêt du contrôle de régularité de procédure a été supprimé par l'arrêt BACHIR, et la conformité de la loi appliquée à la règle de conflit par l'arrêt CORNELLISSEN208. 201 NDOKY DIKOUME (J.D.), l'exequatur en droit camerounais, mémoire de master 2, Yaoundé 2 Soa, 2000-2001, p1. 202MESSI ZOGO (F.R), op.cit., p1. 203 L'expression vient de nous. 204 Cass civ 1ere, 19avril 1819 s 1819 I 129, D jur;cass civ 28 février 1860, s 1860, I 210, DP 1860 ; 1 s. 205 Civ 1ere, 7 janvier 1964, JCP 1964 II, 13590. 206 CLAUDO(A) ; «la maitrise du temps en droit processuel» in juris doctoria n°3, 2009, p36. 207 MESSI ZOGO (F.R) ; op.cit. p2. 208 Cass civ 1ere, 20 février 2007, rev crit, 2007, p 420, note ANCEL (B.), MUIR WATT (H.). 49 A notre sens, la convention de l'ex OCAM209 a également supprimé bien avant le pouvoir de révision et fixé les conditions d'efficacité des décisions judiciaires. La convention de new York du 10 avril 1958 a aussi fixé les conditions de fond d'exequatur des sentences arbitrales étrangères. Qu'il s'agisse des décisions judiciaires (SECTION 1), ou des sentences arbitrales (SECTION 2), il existe un certain nombre de conditions qui doivent être respectées avant qu'elles ne soient dotées d'exequatur. SECTION I : LES CONDITIONS D'EXQUATUR DES DECISIONS JUDICIAIRES. Pour recevoir application, les décisions judiciaires etrangères doivent avant tout être régulières (paragraphe 1), avant d'obéir à d`autres conditions relevant du droit conventionnel (paragraphe 2). PARAGRAPHE 1 : LES CONDITIONS DE REGULARITE.Une décision judiciaire étrangère ne peut être exécutoire que si les conditions d'ordre processuel (A) et substantiel (B) ont été respectées. A-LES CONDITIONS D'ORDRE PROCESSUEL.Ces conditions se préoccupent de la bonne tenue régulière du procès en amont qui a rendu la décision qui postule à l'exequatur. Ces dernières se ramènent essentiellement au contrôle de la compétence internationale du juge étranger, le respect des droits de la défense, et la possibilité d'exécution de la décision dans son pays d'origine. Pour ce qui est de la compétence internationale du juge étranger, l'arrêt MUNZER210 précité n'était pas si innovateur de cette condition comme sine qua non d'obtention de l'exequatur, car l'accord de coopération judiciaire entre les pays de l'ex OCAM du 12 septembre 1961211 avait déjà supprimé le pouvoir de révision et fixé les conditions d'efficacité des décisions étrangères parmi lesquelles la compétence internationale du juge qui a rendu la décision212.l'article 30 de l'accord suscité dispose :«En matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par l'une des juridiction des hautes parties contractantes, ont, de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire des autres Etats si elles réunissent le conditions suivantes : 209 Organisation commune africaine et malgache. 210 Voir supra, note en bas de page n°200. 211 Les Etats parties à l'accord sont : le Cameroun, la république centrafricaine, le Congo, la cote d'ivoire, le Dahomey, le Gabon, la Haute volta, le Madagascar, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. 212 NGONO VERONIQUE(C.), l'exécution des décisions étrangères au Cameroun, mémoire de master 2, université de N'Gaoundéré, 2006-2007, p8. 50 -La décision émane d'une juridiction compétente...».Une formulation analogue213 a été faite par l'accord de coopération judiciaire entre les Etats membres de la CEMAC du 28 janvier 2004214.Cette condition est considérée par certains auteurs comme la condition la plus importante de la régularité internationale de la décision, au motif qu'en affirmant la compétence de l'ordre juridictionnel étranger ,la règle de compétence relève la norme étrangère de sa tare d'extranéité qui la prive au regard de l'ordre juridique du for, de toute force obligatoire intrinsèque215. Cependant, en quoi consiste cette compétence ? Avant l'arrêt Simitch216, le système dit de l'unilatéralité simple, consistait à apprécier la compétence du juge étranger en vertu des règles de son propre système juridique217.Autrement dit, on va vérifier les règles d'organisation judiciaire du pays étranger afin de déterminer la compétence matérielle du juge étranger. Cette conception a le mérite d'éviter d'empiéter sur les compétences exclusives du juge étranger. Mais elle a ceci de fâcheux qu'elle conduit à reconnaitre systématiquement la compétence du juge étranger, dans ce cas, le contrôle de compétence internationale n'aura plus l'utilité qu'on a voulu lui faire reconnaitre218. En réaction au système précédent ; celui dit de bilatéralité219, a émergé220.En vertu de ce système, le juge étranger sera compètent lorsque le juge français l'aura été et dans les mêmes conditions. BARTIN en défense de ce système ajoute qu'on ne saurait reconnaitre une décision étrangère ayant empiété sur la compétence des juridictions françaises. Mais l'on a objecté à ce système que le refus d'exequatur peut paraitre injustifié dans la mesure où, en prenant en compte les rattachements connus par le droit français, cela implique que tous ceux qui lui sont inconnus sont considérés de ce fait comme intolérables et cela empêche ce fait l'exequatur. La cour de cassation dans l'arrêt SIMITCH précité, la cour de cassation semble avoir opté pour le système dit de l'unilatéralité, puisqu'elle décide que le tribunal étranger doit être reconnu comme compétent si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le 213 Art 14 de l'accord. 214 Les Etats parties à l'accord son : le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, et le Tchad. 215 MEYER(P.) et HEUZE(V.), droit international privé, op.cit., p289. 216 Cass civ 1ere, 6 février 1985. 217 Les partisans de ce système étaient NIBOYET, BATIFOL, GOLDMAN, ALEXANDRE. 218 MESSI ZOGO (F.R) op.cit.p10. 219 ORSINI(C) ; l'exequatur : le contrôle de la compétence du juge étranger ; mémoire de master contentieux du commerce international et européen, université de paris x Nanterre ; 2001-2002 p4. 220 Les partisans de ce système sont BARTIN, PILLET, FRANCESKAKIS, ANCEL. 51 juge est saisi, et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux221.la convention de l'ex OCAM précitée a également suivi la même voie, puisque l'article 38 pose des critères de détermination de compétence internationale indirecte du juge saisi222. Le respect des droits de la défense pour sa part participe de l'ordre public procédural223.En effet, l'ordre public procédural sert à éliminer les décisions de justice qui heurtent les conceptions fondamentales du for sur l'administration de la justice. En vertu de cette condition, le juge doit vérifier si le déroulement du procès devant la juridiction étrangère répond aux exigences de justice procédurale224.Les droits de la défense quant à eux peuvent être définis comme «l'ensemble des droits reconnus à la personne inculpée d'avoir commis une infraction pénale, en vue de lui permettre de préparer et présenter sa défense et d'établir le cas échéant qu'elle est innocente ou non225».Du point de vue civil qui nous intéresse ,les droits de la défense sont perçus comme l'ensemble des mesures ayant pour objet la protection des plaideurs devant les juridictions civiles226. Concrètement, il sera question pour le juge de l'Etat requis de vérifier si au cours du procès qui a eu lieu à l'étranger, les parties régulièrement été assignées, représentées ou déclarées défaillantes, que les voies de recours ont été exercées conformément à la loi étrangère de procédure lorsque la procédure aura été contradictoire227.la convention de la CEMAC précitée pose également cette condition dans son article 17 alinéa 4. Enfin, la décision doit être possible d'exécution dans son pays d'où elle émane. Cette condition est également posée par l'article 17 alinéa 3 de la convention228 CEMAC précitée .L'article 30 alinéa 3 de la convention entre les pays de l'ex OCAM précitée va également dans le même sens en disposant que la force exécutoire ne sera donnée que « Si la décision est, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution». La même formulation229 a été retenue dans la convention relative à 221 FRANCESKAKIS (PH.), le contrôle de la compétence du juge étranger d'après l'arrêt simitch de la cour de cassation, rev crit DIP 1985, p243. 222 Voir art 38 de la convention. 223 L'ordre public procédural est différent de celui substantiel qui sera vu plus loin. 224 C.BERNARD ; l'exequatur des jugements étrangers, GAZ.PAL 1977, tome2.426. 225 Capitan(H), vocabulaire juridique, les presses universitaires de France, 1936, p210. 226 Vocabulaire juridique op.cit.p210. 227 NGONO VERONIQUE(C.)op.cit.p10. 228 Voir l'article 17 al 3 de la convention. 229 Art 31 al 3 de l'accord. 52 la coopération en matière judiciaire entre les membres de l'accord de non-agression et d'assistance en matière de défense(ANAD)230. A la lecture de ces textes, l'on ne relève qu'une décision ne peut être dotée d'exequatur que si elle est passée en force de chose jugée. La force de chose jugée suppose que le jugement n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Si la décision étrangère n'est pas passée en force de chose jugée et ne bénéficie pas encore de la force de chose jugée dans son Etat d'origine, elle ne peut également être exécutée dans un autre Etat. En effet une décision qui n'est pas susceptible d'être exécutée dans son pays d'origine soit parce qu'elle aurait été rendue irrégulièrement selon la loi étrangère de procédure, soit parce que les délais des voies de recours à effet suspensifs d'exécution ne sont pas encore épuisées, ne peut bénéficier d'exequatur dans un autre Etat231.Qu'en est-il des conditions substantielles de l'exequatur ? |
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