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L’Europe et l’Italie au Moyen-Age. Société et goûts alimentaires.


par Safia BERSALI
Université de Reims - Diplôme d'université du goût, de la gastronomie et des arts de la table ( DUGGAT) 2010
  

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PARTIE IV

LES USAGES DE LA TABLE

Manières de table

Au Moyen âge, l'on faisait généralement deux repas par jour: dîner (prandium) vers 10-11 heures, souper (cena) vers 17h, 18h, horaires variant au rythme de la vie de famille, des enfants, de l'état de santé et de la saison. L'on aimait manger à l'extérieur, aussi bien chez les riches (à la chasse ou en voyage) que chez les pauvres (casse-croute des paysans) pour qui les pique-niques étaient moins fastueux bien entendu.

On dresse une planche sur des tréteaux (chez nobles jusqu'au XVIIIe siècle), d'où l'expression "mettre la table" faute de "salle à manger" à proprement dit et ce sont les nappes (doublier) qui démontreront la richesse du maîtres faute de belles tables. Chez les pauvres c'est dans l'unique pièce à vivre du logement que l'on mange. Chez les nobles on choisit une pièce selon les circonstances et la saison. Ainsi, lors des réceptions, les tables sont dressées dans la plus belle salle du château et la hiérarchie sociale guide le plan de table. Les personnes de haut rang avaient droit à un siège et des couverts individuels, la plupart des autres convives s'installaient sur des bancs (origine du mot « banquets ») et partageaient presque tout. Souvent la promiscuité était de mise : selon les manières de son voisin on prenait plaisir ou pas au repas. Cela générait toutefois de la convivialité car les politesses requises (couper du pain ou des viandes pour son voisin(e), lui laisser boire le premier etc....), étaient l'occasion de sociabilités ou de marques d'honneur qui permettait à un hôte de distinguer un invité. A l'époque, la table est dressée avec très peu de vaisselle (sauf chez les très riches où elle était même en argent, en or et incrustées de pierres précieuses). La « Nef » reçoit les couverts personnels du maître de maison ainsi que le sel et les épices qu'il utilise lors des repas. Les couverts se composent d'un ou deux couteaux « trincetti », une ou deux salières, une grosse fourchette à viande que les convives se font passer, quelques coupes,

quelques assiettes ou bols.Les mets étaient disposés tous en même temps sur la table et chaque convive était libre de se servir de ce qu'il désirait. Il n'y avait pas accords gastronomiques, ni d'ordre préétabli des plats. Les plats étaient déjà en portion pour être manger librement avec les mains, ou découpés devant les convives par l'écuyer tranchant (par la suite dénommé couteau à découper). L'introduction de la fourchette à table tel que nous la connaissons remonte à la deuxième moitié du « settecento » et son usage ne se diffusera vraiment que sous la Renaissance (sauf en Italie vu la forte consommation de pâtes), avant on ne la connaissait que comme ustensile de cuisine. Chaque

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convive recevait une cuillère et portait sur lui un couteau presque en permanence(les dames également).A la Renaissance le repas commença à avoir une structure qui prévoyait plus de plats : un service d'entrées froides au début, un ou plusieurs services de cuisine et un service froid à la fin; chaque plat comprenait beaucoup de mets, entre 40 et 50.Les services d'entrées du début et de la fin étaient composés de plats froids, doux et salés, préparés à l'avance. Les services de cuisine se proposaient entre les services d'entrées initiales et finales, et ils étaient composés de nourriture chaude, plus ou moins nombreuse et riche selon l'importance de la maison. Des « tranchoirs » (tranches de pain - à l'origine du mot « copain » du fait du partage de la vaisselle) servent de plat et l'on se sert avec les doigts dans le plat et dans l'écuelle prévue pour deux convives, tout comme le gobelet pour boire. Le verre n'était pas placé sur la table, mais il était régulièrement apporté par le "bottigliere", aïeul du sommelier, et retiré tout de suite. Le vin rouge qui tournait facilement au vinaigre était servi coupé d'eau et n'était pas conservé après le repas. Pour se laver les doigts, on plaçait sur la table des bols remplis d'eau souvent de rose (rituel du lavage des mains déjà utilisé par les Egyptiens et les Grecs) au début et à la fin du repas et l'on s'essuyait sur une serviette qui servait à tous. La nappe elle-même servait à s'essuyer la bouche et les doigts durant le repas (longière). A Florence les « Médicis » émettaient en public des règles d'hygiène pour éviter la contagion, l'on comprit donc à cette époque qu'il valait mieux isoler le banquet dans une zone plus abritée avec un appareillage sommaire mais propre.

Services et apparat

Au Moyen Age, le repas est indissociable de la vie sociale et les banquets sont des occasions de repas somptueux et de vitrines sociales. Différents plats sont présentés de diverses manières : l'une dite "à la française" consiste à juxtaposer les plats au même moment alors qu'une autre, "à la russe" les fait se succéder de trois à cinq. Malgré les quantités foisonnantes des plats, les convives restent limités à un ou deux plats, en fonction de sa position à table, ce qui implique une forme de sélection (des mets et des convives).

En France, l'organisation du service lors d'un festin est faite de plats servis ainsi

? l'apéritif (gâteaux, fruits secs et vins doux)

? les "potages" (plats en sauce)

? les "rôts" (viandes rôties et poissons grillés)

? les "entremets" (bouillies, purées, gelées)

? la "desserte" (gâteaux, flans, crêpes, fruits secs etc.)

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Cette dernière peut être suivie du "boute-hors" (pousse dehors), pris hors de la table, où épices et vins auraient des vertus digestives. Dans les repas les plus simples, (deux ou trois services), l'apéritif et la desserte sont absents du schéma précédent. L'entremets (entre les mets) est le moment de divertissement avec des numéros d'acrobaties, de jonglage, de musiciens et autres artistes. Ces plats prennent différentes formes savamment travaillées (animaux, châteaux etc.) et les entremets étaient même peints (images pieuses ou hommage à des actes héroïques). Dans certains banquets le puissant message des symboles intégrés, servait à convaincre les convives de s'engager à partir en croisade.

Présentation, ordonnance et diversité des mets

En Italie, le service à la Française a été longtemps de rigueur et dès la Renaissance, les mets froids étaient disposés sur la table avant que les hôtes n'arrivent, placés selon différents critères dont l'esthétique, puis l'on débarrassait tout et il y avait plusieurs services de plats chauds. Il n'existait pas la même "ordonnance" dans le service des mets. Des fruits et des salades diverses pouvaient très bien être servies en début. Le sucré et salé cohabitaient constamment soit à l'intérieur d'un même plat, soit en se suivant.

L'ordre des plats n'avait, en fait, aucune importance ! Chaque convive n'était pas invité à prendre de chaque plat, d'où l'extrême diversité et le nombre étonnant de mets sur la table ! On choisissait ce qui plaisait ou ce qui était à la portée. Au contraire, le service à la Russe qui a suivi prévoyait une table magnifiquement dressée à l'arrivée des convives avec parfois les « antipastis » (hors-d'oeuvre froids) posés, le reste étant servi par les garçons à tous les invités qui là, goûtaient de tout. Ce service réduit considérablement le nombre de préparations, en permettant un plus grand soin de chaque plat : les plats arrivaient à table bien chauds car à peine cuisinés. Le repas acquiert sa structure avec une séquence : le menu. Le service à la Russe a réduit le faste et le gaspillage, en accord avec la nouvelle culture bourgeoise, pas hostile à la richesse, mais à son exhibition et au gaspillage.

Cuisine & ustensiles

Les cuisines des Aristocratiques sont plutôt masculines ( chefs appelés

« queue » et non « cuisiniers » car ce terme désignait plutôt les traiteurs à l'époque) alors qu'à la campagne c'est plutôt les femmes qui cuisinent et les recettes transmises de mère en fille. Dans les cuisines des riches il y avait une brigade hiérarchisée avec en premier le « maître queue » ou « premier

queux » ( aujourd'hui le chef ). Il surveille tout de sa chaise haute et dirige son équipe d'une voix et d'une main des plus fermes ( armée d'une louche en bois).

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Le personnel est fort nombreux : plusde soixante-dix personnes travaillent en permanence dans les cuisines du Roi de France à la fin du Moyen Age pour donner un exemple. Dans l'équipe, au premier queux, s'ajoutent des sauciers, des poissonniers, des potagiers et des « hasteurs » ( chargé des rôts et des viandes embrochées avec l'aide des marmitons). Les braises étaient entrenues par les « souffleurs » et le bois étaient alimenté par des » bûchers », les

« broyeurs » étaient chargés d'écraser les ingrédients dans un pilon (mortier) et les « garde-manger » surveillaient les réserves de viandes, puis il y avaient les porteurs d'eau. Tous ces enfants de cuisine avaient bien d'autres tâches encore : éplucher et couper les légumes, écailler et nettoyer les poissons, plumer et vider les volailles, balayer, débarrasser les tables de travail et nettoyer les ustensiles tout cela contre à peine un peu de nourriture. Au 15ème siècle on trouvait beaucoups de récipients et plats en verre parmi les ustensiles utilisés en cuisine ainsi que des vases en céramique et en terre cuite et un gros chaudron de cuivre placé sur le feu.

Codes et règles du « bien manger »

Le Moyen Age a vu se constituer une véritable gastronomie, un art de la table original et raffiné et ce, malgré le péché de gourmandise (gula) condamné par l'Eglise. A la fin du Moyen âge naissent les premiers traités réglementant les usages de table, qui insistent sur les manières et notamment la propreté et la courtoise. En Italie, il y eut plusieurs tentatives diverses et variées de codification de « l'arte della mensa » (art de la table), dont celle de Lorenzo il Magnifico21 avec l'intention de modérer les coûts, la qualité et les quantités de nourriture en donnant carrément des règles sur le nombre de plats et la quantité des diverses composants, notamment pour calmer les excès alimentaires et éviter l'énorme gaspillage qui se réalisait déjà.

Ces règles prévoyaient que tout citoyen de Florence ne puisse servir à table plus de deux plats de viandes durant les jours « gras », ou de poissons les jours « maigres » servis obligatoirement sur le même plat malgré leur variété. L'on disait même que le cuisinier devait rapporter aux officiels de la mairie, le nombre de plats et le poids de chacun des aliments eux-mêmes pour contrôle.

21 *Laurent de Médicis dit aussi Laurent le Magnifique, (en italien Lorenzo il Magnifico) - Lorenzo di Piero de Medici (Florence 1449 - 1492) fut un homme d'État florentin et le dirigeant de facto de la république florentine durant la Renaissance italienne. Ses contemporains le surnommèrent le Magnifique. Ils ne faisaient pas référence à une beauté qu'il ne possédait pas, mais au sens ancien du mot en français,

« généreux, prodigue ». Il a été l'un des personnages les plus remarquables de son époque. Au-delà de ses talents de diplomate et d'homme politique, il a côtoyé un groupe de brillants érudits, d'artistes, et de poètes et a également excellé dans des disciplines aussi variées

que la joute, la chasse, la poésie, le maniement des armes ou l'athlétisme : par cet éventail de talents, il constitue ainsi l'une des plus belles incarnations de l'idéal de l'Homme de la Renaissance. Sa vie coïncida avec la Première Renaissance des Arts et il disparut à l'apogée de la puissance florentine.

Ces règles n'étaient pas suivies à la lettre ni prises en considération par les aristocrates, comme le démontre le « Vasari »*et les histoires successives de repas « luculliens » décrits par la suite.

Une autre tentative nous sera offerte par le livre de B.Sacchi dit IL PLATINA VENEZIA 1487 22 « De Honesta Voluptate et Valitudine »* dans lequel on parlait des mets, des façons de les présenter à table et de les servir dans un ordre rationnel partant des plats les plus « légers » aux plus « lourds ». En fait on servait d'abord les salades, les fruits et les légumes cuits pour continuer avec les soupes, les timbales de légumes puis les rotis et les ragoûts pour finir par le fromage, les desserts, les fruits et les confitures.

On doit aussi à Bonvesin 23 poète italien néolatin « De quinquaginta curialitatibus ad mensam » (les cinquante courtoisies de table) au XIIIe siècle, un bref petit manuel sur la bonne tenue à table (manuel liturgique des bonnes manières de tables chrétiennes). Sous des dehors en apparence fort concrets et communs propres aux pratiques civiles, l'opuscule est à lire de manière codée en termes de symbolique à forte empreinte spirituelle. Il l'écrit aussi en langage courant (dialecte lombardo- milanais) « Zinquanta cortesia da tavola » pour s'adresser à un public plus large. Il y disait par exemple que les convives se partageant la vaisselle, et se servant dans les mêmes plats, il était interdit d'éternuer au dessus d'un plat et seul un rustre ne s'essuyait pas la bouche après avoir bu une gorgée dans le gobelet commun...

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Platine, De Honesta Voluptate (1e page, détail) copie de l'incunable de 1480 - Museo Archeologico Nazionale di Cividale del Friuli publié par la Societa Filologica Friulana en 1994. Livre de diététique avec des recettes de cuisine, écrit en latin à la Renaissance et imprimé dès 1480. Les recettes de son traité culinaire ont été copiées de l'ouvrage écrit en verniculaire par Martino de Rossi, un chef cuisinier de grandes familles italiennes.

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22 *Bartolomeo Sacchi, dit « Platine » (il Platina), né en 1421 et mort en 1481, dont le nom latin, Platina, est à l'origine de son surnom est un humaniste, écrivain et gastronome italien de la Renaissance originaire de Lombardie. Il était le premier conservateur de la bibliothèque du Vatican, sous le Pape Sixte IV qui le nommera Préfet de la Bibliothèque du Vatican en 1477. Il professait les humanités et avait aussi, en tant que précepteur, éduqué quelques représentants des plus éminentes familles du pays et acheva en 1479, la première histoire de la papauté à l'issue d'un rigoureux travail de recherche intitulé « Vies des papes ». Il fût surtout l'auteur célèbre d'un fameux livre de cuisine : intitulé DE HONESTA VOLUPTATE E VALETUDINE (de l'honnête volupté) premier traité culinaire reproduit par la technologie révolutionnaire de l'imprimerie. OEuvre maîtresse de Platina, de Honesta Voluptate contribua à faire de la cuisine Italienne un modèle à imiter dans toute l'Europe de la Renaissance. Il écrit aussi un traité « de amore » en 1465 où il défendait impassiblement l'amour marital contre les tentations de la luxure. D'après lui, l'appétit comme tous nos désirs, devait être surveillé et soumis à l'éducation morale.

23 Bonvesin della Riva, parfois appelé Bonvesino ou Buonvicino de la Riva (v. 1240-1315), frère du troisième ordre des Humiliés, est un poète italien néolatin, qui est considéré comme le plus grand écrivain lombard du XIIIe siècle.

24 Source images : http://fr.wikipedia.org/wiki/Viandier_de_Taillevent

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon