CHAPITRE DEUXIEME : REVUE DE LITTERATURE
Il sera question dans ce chapitre de passer en revue quelques
approches théoriques et empiriques sur la libéralisation
financière et de la croissance économique.
Section I : APPROCHES THEORIQUES.
A. LA LIBERALISATION FINANCIERE.
Du point de vue théorique, la littérature de la
libéralisation financière a été fondée,
comme évoqué précédemment, suite à
l'édification de l'école de la Libéralisation
financière par McKinnon Ronald (1973) et
Shaw Edward Stone (1973). Les travaux des pionniers
de l'École néolibérale certifient que la
libéralisation financière est le moyen le plus efficace pour
stimuler l'épargne domestique, augmenter les investissements productifs
et assurer une croissance durable dans les pays en voie de
développement.
1) Approche de McKinnon Ronald et Shaw Edward Stone
Selon McKinnon (1973) les
économies des pays en voie de développement souffrent d'une
fragmentation qui se manifeste à travers des distorsions importantes
dans tous les secteurs de l'économie. « La fragmentation est
définie comme le fait que les entreprises et les ménages sont
tellement isolés qu'ils doivent faire face à des prix effectifs
différents pour la terre, le capital et les marchandises et qu'ils n'ont
pas accès aux mêmes technologies ».
D'après McKinnon, l'intervention de l'Etat afin
d'équilibrer les investissements et diriger l'épargne vers les
investissements prioritaires, peut paraitre légitime. En effet, l'Etat
est contraint d'intervenir dans le cas où il estime que les ressources
ne sont pas suffisamment dirigées vers des secteurs socialement
désirables. Pour McKinnon (1973), ces
interventions ne font qu'aggraver la situation et la fragmentation de
l'économie et il en résulte un cercle vicieux. « Plus
l'intervention de l'Etat est importante, plus la fragmentation de
l'économie est grande ; plus cette dernière s'accroit, plus les
autorités sont incitées à intervenir »
(McKinnon, Monnaie et le capital dans le developpement économique.
etablissement Brookings Institution Press., 1973).
C'est à partir de ce concept que McKinnon
dénonce les effets pervers de la répression financière et
la fixation des taux d'intérêts à des niveaux bas afin que
les gouvernements puissent se financer à moindre coût. En effet,
McKinnon préconise la libéralisation des taux
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d'intérêts qui augmenterait l'épargne
ainsi que l'investissement et par conséquence la croissance
économique à long terme.
À la différence de McKinnon, Shaw
(1973) démontre que le plafonnement du taux
d'intérêt à des niveaux bas, permet certes à l'Etat
de se financer à moindre coût, en contrepartie il résulte
en une réduction de l'épargne à cause des taux
d'intérêt réels négatifs sur les
dépôts, ce qui réduit le potentiel des banques à
drainer des capitaux, limitant ainsi la mise en oeuvre de projets
d'investissement
Cependant, Shaw (1979), insiste que : « les
plafonnements effectifs et la baisse des taux créditeurs réels
intensifient l'aversion pour le risque et la préférence pour la
liquidité des intermédiaires. Les banques accordent une place
privilégiée dans leurs portefeuilles aux emprunteurs à la
réputation bien établie, aux entreprises commerciales qui ont
connu une longue période de stabilité. Il n'y a que peu
d'incitation à l'exploration d'opportunités de prêts
nouveaux et plus risqués ». (Shaw, E.S.
libéralisation financière dans le development économique.
Oxford Université Press., 1973 P502)
Finalement, les analyses de McKinnon et Shaw présentent
quelques différences. En effet, McKinnon expose sa théorie dans
le cadre d'une économie fragmentée et dans laquelle le
système financier est sous-développé et incapable de
remplir ses fonctions d'intermédiaire financier. Alors que l'analyse de
Shaw est présentée dans le cadre d'une économie où
le système financier est peu développé, mais est capable
de transférer l'épargne des agents en excès de financement
vers les agents en besoin de financement.
2) Prolongement de la théorie de McKinnon et Shaw
a) L'analyse de Basant KAPUR et Donald MATHIESON.
Le modèle de KAPUR (1976) suppose une
décomposition du capital en deux catégories : un capital fixe et
un capital circulant. Une partie du capital fixe est non utilisée. Le
capital circulant détermine le niveau de production. Les
intermédiaires financiers interviennent uniquement pour le financement
du capital circulant (Kapur Basant K., 1976, « Alternative
stabilization policies for less-developed economies », The Journal of
Political Economy, vol. 84, n°4, p. 777). L'investissement
en capital a deux objectifs :
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? Permet le remplacement du capital circulant utilisé
durant le processus de production ;
? Servir à 1'accumulation du capital dans le but
d'accroitre le volume de production.
À l'actif du bilan des intermédiaires financiers
figurent les prêts accordés ainsi que les réserves
obligatoires détenues auprès de la Banque centrale. Au passif, on
retrouve les dépôts de la clientèle publique. Le taux de
rendement offert sur les dépôts joue un rôle
considérable. S'il est trop faible, les ressources du système
bancaire diminuent, entrainant une baisse du volume des crédits
accordés. Les entreprises sont alors limitées dans leur
capacité à investir dans le capital circulant, il en
résulte un ralentissement de la production et donc de la croissance. De
plus, en situation de répression financière, l'État
opère sur le taux des réserves obligatoires, il peut le fixer
très élevé. Dans ce cas se réduisent d'autant les
fonds prêtables des intermédiaires financiers, et baisse le volume
de l'investissement, affectant négativement encore le
développement économique.
Dans son analyse, Kapur (1976) insiste sur les
problèmes soulevés par 1'inflation, elle est aussi
exacerbée par les effets de la répression financière.
(Kapur Basant K., 1976, «
Alternative stabilization policies for
less-developed economies », The Journal of Political Economy, vol. 84,
n°4, p. 795) En contexte d'inflation élevée,
deux types de politiques sont possibles :
? La première consiste à réduire le taux
de croissance de la masse monétaire. Ce qui se traduit par une
réduction de la base monétaire, une diminution du volume des
crédits distribués par les intermédiaires financiers et
donc par une diminution de la croissance économique ;
? La deuxième consiste à libéraliser le
marché financier. Ce qui permet une augmentation du taux
d'intérêt servi sur les dépôts menant à une
croissance de la demande d'encaisses réelles et donc à une
augmentation de la demande de dépôts bancaires. Ce
phénomène présente deux effets positifs : d'une part, les
ressources des intermédiaires financiers augmentent, les plaçant
en position de pouvoir augmenter leur offre de crédits ; d'autre part,
1'inflation baisse. Kapur privilégie évidemment la politique de
libéralisation financière pour ce qu'elle permet en termes de
contraction de l'inflation, de stimulation de l'investissement et donc de la
croissance économique.
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À contre-courant de ce que stipule Kapur,
Donald MATHIESON (1979) suppose que la totalité du
capital fixe est utilisée. Les intermédiaires financiers
financent autant les investissements en capital fixe qu'en capital circulant.
Mathieson, dans la droite ligne des théoriciens de la
libéralisation, postule également que l'investissement est
directement lié au développement économique ; à
mesure que s'élève le volume d'investissement, la croissance
économique gagne en importance. (Mathieson Donald J., 1979,
« reforme financier et politique de stabilization dans une économie
en développement », Journal of développement economics, vol.
7, n°3, p. 359)
L'investissement dépend du rendement du capital et du
taux d'intérêt réel préteur des banques. Une
augmentation de 1'inflation anticipée entraine une augmentation de
l'investissement car elle réduit le taux d'intérêt
réel sur les prêts. Par contre, un renchérissement du
coût réel du crédit décourage l'investissement.
(Donald Mathieson J 1979)
L'offre de fonds prêtables dépend positivement du
volume des dépôts et négativement du coefficient de
réserves obligatoires imposées par l'État. Le taux
d'intérêt réel servi sur les dépôts
dépend de l'offre et de la demande de fonds prêtables.
Consécutivement à une politique de répression
financière menant à une augmentation du taux des réserves
obligatoires, une augmentation se ressent dans un taux exigé par les
banques sur les prêts. Les investissements accusent ainsi une
dépression du fait de la hausse des taux préteurs,
dépression aussitôt répercutée sur la croissance
économique. Que la répression financière prenne la forme
d'un plafonnement du taux préteur, le taux d'intérêt servi
sur les dépôts se fixe au-dessous de son niveau d'équilibre
concurrentiel car les banques tentent de préserver leur marge. La
diminution de la rémunération des dépôts
démotive les agents à déposer auprès des banques,
ce qui entraine directement une réduction de l'offre de crédits
aux entreprises. Le niveau du stock de capital se fixe à un niveau
inférieur à 1'optimal lorsque les taux d'intérêt se
déterminent librement sur le marché (Mathieson Donald
J., 1979, « reforme financier et politique de stabilization dans une
économie en développement », Journal of développement
economics, vol. 7, n°3, p. 395).
b) Analyse de MAXWELL J. Fry
M.J. Fry (1995) fut l'un des premiers
à soutenir et compléter la théorie originelle de McKinnon
et Shaw. Il a enrichi la thèse des fondateurs en spécifiant les
fonctions d'investissement et d'épargne. Par conséquent, pour Fry
(1995) la croissance de la production de
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toute économie dépend, entre autre, de
l'accumulation du capital qui, à son tour, requiert une épargne
suffisante pour satisfaire l'investissement nécessaire. Ainsi, la
libéralisation des taux d'intérêt sur les
dépôts affecte positivement l'épargne domestique sur le
long terme, favorisant ainsi l'investissement et permettant d'atteindre une
première allocation optimale des ressources.
Par ailleurs, Fry (1995) précise que même
après une dérégulation des taux d'intérêt, la
composante domestique de l'épargne, c'est-à-dire, la somme de
l'épargne publique et de l'épargne privée, cette
dernière étant constituée de l'épargne des
ménages et de celle des entreprises, est insuffisante dans la plupart
des pays en développement (Maxwell J. FRY, monnaie et le
capital ou l'approfondissement financier dans le développement
économique, 2nd ed. Baltimore, Johns Hopkins University Press,
1995).
Ainsi, la possibilité du financement externe induite
par la libéralisation financière permet aux pays d'éviter
la contrainte de liquidités (Liquidity Squeeze, en anglais), qui peut
donner lieu à la contraction de l'économie. En fait,
l'accroissement de l'épargne stimule l'investissement productif qui
crée des emplois et permet donc d'utiliser le capital humain partout
où il se trouve. En d'autres termes, l'accès aux capitaux
étrangers permet d'exploiter le potentiel de croissance en investissant
dans des projets rentables au-delà de ce qui serait permis par la seule
épargne des résidents. (Maxwell J. FRY 1995
idem).
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