INTRODUCTION
En occident où il a fait ses débuts,
l'État s'est construit dans le but de répondre aux besoins de
sécurité des populations. Les fonctions de base de l'État
vont devenir avec le temps la défense du territoire face aux invasions
extérieures, le maintien de la loi et de l'ordre, la garantie de la
stabilité de la monnaie. Après la seconde guerre mondiale,
l'État a intensifié son rôle dans l'économie
notamment. Il s'efforcera de stabiliser l'économie, de maintenir le
plein emploi, de favoriser la croissance, d'assurer la stabilité des
prix et de favoriser l'équilibre extérieur (Lachapelle et Paquin,
2004, p. 3). C'est ainsi que l'État souverain, tel que conçu par
la doctrine classique, s'est vu confier toute une gamme de fonctions dites
« fonctions régaliennes de l'État ».
Selon la littérature politique, diplomatique et
juridique, ces fonctions sont notamment le maintien de l'ordre, la
sécurité, la justice, la défense, le respect de ses
engagements extérieurs, (Illy, 2015, p. 55). Ainsi, le fait pour
l'État de pouvoir accomplir tout cela dans les limites de son territoire
signifie que, dans l'ordre interne et international, il est indépendant
et souverain et donc exempt de toute intervention étrangère.
Cependant, de nombreux chercheurs restent tout
étonnés devant la crise épistémologique, juridique,
politique que traverse l'État actuellement. T. Christakis dira
même avec dédain : « Qu'est-ce que l'État ? Quand
personne ne le demande, je le sais ; dès qu'il s'agit de l'expliquer, je
ne le sais plus » (Khadre-DIOP, 2017, p. 1). Cette difficulté de
conceptualisation amène plus d'un à peindre l'État comme
une réalité difficilement saisissable.
En effet, dans le contexte actuel des choses, beaucoup
d'études ont pu mettre en lumière les difficultés
énormes auxquelles font face les États, sujets originaires du
droit international public et donc de la Société internationale.
De plus en plus, les États, souverains au sens du droit international,
ne parviennent plus à maitriser leurs difficultés
intérieures. La défaillance des États est devenue de plus
en plus perceptible : ce qui influe sur leur souveraineté réelle.
Paradoxalement, la faillite des plus faibles États ne fait qu'accroitre
la convoitise des plus puissants qu'eux. Cet état de fait s'était
même soldé par la chute de la SDN qui s'est
révélée impuissante quand, par exemple, l'Italie entreprit
la conquête de l'Éthiopie, et l'Allemagne annexa l'Autriche. La
règle sacrosainte des relations internationales reste donc : tous les
États son égaux en droit mais inégaux dans les faits. Or,
au milieu de tous ces contrastes, le pilier des relations internationales
demeure toujours l'État souverain. Cependant, comme le souligne le
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rapport de la commission internationale de l'intervention et
de la souveraineté des États (2001, Sommaire) :
La souveraineté des États implique une
responsabilité, et c'est à l'État lui-même
qu'incombe, au premier chef, la responsabilité de son peuple. Par
ailleurs, Quand une population souffre gravement des conséquences d'une
guerre civile, d'une insurrection, de la répression exercée par
l'État ou de l'échec de ses politiques, et lorsque l'État
en question n'est pas disposé ou apte à mettre un terme à
ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité
internationale de protéger prend le pas sur le principe de
non-intervention.
C'est ainsi que depuis que les Nations unies occupent le
devant de la scène des relations internationales, le maintien de la paix
et de la sécurité internationale est devenu un enjeu politique
majeur. Cependant, s'il constitue la véritable mission de l'organisation
depuis sa création en 1945, l'ONU a été défaillante
dans la plus importante des affaires du maintien de la paix depuis la
Corée : la guerre au Viêt-Nam (Chaumont, 1968, p. 76). Et, les
interventions onusiennes sont souvent perçues comme une entrave à
la souveraineté des États membres de l'organisation.
Toutefois, en dépit de la montée en puissance
des interventions internationales et des inégalités qui existent
entre les États, l'indépendance et la souveraineté
demeurent le couronnement de l'existence internationale d'un peuple (Chaumont,
p. 86). Mais comme il est clairement exprimé dans le rapport de la
commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des
États, (p. 9) :
Il est communément admis que la souveraineté
implique une double responsabilité : externe - respecter la
souveraineté des autres États - et interne - respecter la
dignité et les droits fondamentaux de toute personne vivant sur le
territoire de l'État. [...] . La souveraineté
considérée comme responsabilité représente
désormais la condition minimale à remplir pour les États
désireux de montrer qu'ils sont capables de se comporter en bons
citoyens de la communauté internationale.
À regarder le niveau de fierté qui a servi
d'encrier pour écrire au sein de nos différentes Constitutions, y
compris celle de 1987, qu'Haïti est un État souverain et
indépendant, nous nous demandons si les constitutionnalistes ont
songé à cerner toutes les subtilités du concept «
souveraineté ». Car si nous laissons résonner les verves de
l'histoire politique d'Haïti au lendemain de l'Indépendance, le
doute persistera.
En effet, depuis son accession à l'indépendance
le 1er Janvier 1804, Haïti fait face à toute une
série de problèmes dont les plus pertinents constituent
aujourd'hui encore des points d'ombre
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que de nombreux chercheurs n'arrivent toujours pas à
élucider. Une de ces préoccupations est bien évidemment
l'intervention de puissances étrangères dans des questions qui
relèvent exclusivement de sa compétence nationale. Des exemples
comme ça, l'histoire en a retenus plusieurs : en 1915, les
États-Unis d'Amérique se décident à intervenir en
Haïti, une mésaventure qui s'étendait sur 19 ans et dont les
conséquences sont aujourd'hui encore fortement ressenties. Plus
près de nous en 2004, le Conseil de Sécurité de
l'Organisation des Nations Unies, aux termes de la résolution 1542,
autorise cette dernière à intervenir en Haïti à
travers une Mission à la fois civile et militaire (MINUSTAH) qui
s'étendra sur 13 longues années (2004 à 2017). Beaucoup de
travaux de recherche et de débats intellectuels ont pu avoir lieu sur
cette mission. Devons-nous alors conclure que la problématique de
l'intervention onusienne en Haïti de 2004 à 2017 est suffisamment
débattue et résolue, et donc qu'il n'y a pas lieu d'investiguer
la question?
Malheureusement, soulignons-le, en dépit de la
très abondante littérature qui serait disponible sur l'ensemble
des actions onusiennes en Haïti à travers la MINUSTAH, son
explication juridique nous échappe encore. Or, il est clair que la
non-maitrise d'une telle question constitue un vide juridique et scientifique
d'une importance capitale. C'est ici que notre travail de recherche
intervient.
Nos principales préoccupations sont exprimées
à travers les questionnements suivants : quels peuvent être les
différents facteurs qui ont déterminé cette intervention ?
Est-elle le produit de l'irresponsabilité de l'État haïtien
ou s'inscrit-elle dans une politique impérialiste visant à
maintenir l'État haïtien dans la dépendance, affaiblissant
ainsi sa souveraineté interne et externe ? L'intention qui est à
la base de cette recherche consiste alors à tenter de trouver des
éléments de réponse à l'ensemble de ces
questionnements et beaucoup d'autres.
Cette étude veut alors proposer une nouvelle forme
d'analyse qui s'appuie sur de nouvelles hypothèses. Nous nous
tâchons de vérifier d'abord l'existence de l'intervention avant de
préciser ses impacts sur la souveraineté même de
l'État haïtien garantie par la Constitution et les normes
juridiques internationales. Nous établissons par la même occasion
le lien qui pourrait exister entre la faillite de l'État haïtien et
l'intervention des Nations unies en Haïti entre 2004 et 2017.
En effet, il importe de souligner que tant que ce trou existe
dans notre connaissance du phénomène, Haïti pourra continuer
de sombrer un peu plus chaque jour dans la fragilité, dans la
défaillance, dans la faillite. Fort de toutes ces considérations,
et compte tenu de la récurrence des
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interventions onusiennes dans l'Histoire politique
récente d'Haïti, nous pensons qu'il est tout à fait
judicieux d'approcher autrement le problème, de proposer de nouvelles
pistes de réflexion, d'appréciation et d'analyse en vue d'une
meilleure compréhension de la question. Pour ce faire, nous adoptons une
démarche scientifique.
Cette démarche nous amène à mener notre
recherche suivant un plan scientifique mais aussi diagnostic contenant deux
parties répartie en cinq chapitres. La première partie
s'intéresse à la conception théorique de la recherche.
Elle contient deux chapitres qui précisent le problème, le champ
d'études et la conception théorique de la recherche. La
deuxième présente le cadre opératoire de la recherche.
Elle se développe en trois autres chapitres qui traitent de la
méthodologie adoptée, de la présentation, l'analyse et
l'interprétation des résultats avant de terminer sur la
formulation de propositions en rapport avec les problèmes
étudiés.
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