PREMIÈRE PARTIE :
PRÉCISION SUR LE PROBLÈME ET LA CONCEPTION
THÉORIQUE DE LA RECHERCHE
Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs
relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi
de la force, soit
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CHAPITRE I
POSITION DU PROBLÈME ET SPÉCIFICATION DE
L'OBJET DE LA RECHERCHE
Ce chapitre statuera sur la position du problème avant
de terminer sur la spécification de l'objet de la recherche, à
savoir l'intervention des Nations Unies en Haïti de 2004 à 2017. Il
contient deux points: la problématique générale de la
recherche suivie des hypothèses de travail et des objectifs de recherche
et une amorce de l'approche adoptée à savoir l'étude
diachronique de l'intervention onusienne en Haïti de 2004 à
2017.
1. Construction de la problématique de
recherche
La pensée juridique du XXe et du XXIe siècle se
fonde sur le postulat selon lequel le degré supérieur du droit
positif c'est la Constitution. Cette dernière est communément
entendue comme un corpus de normes juridiques qui occupent le sommet de la
hiérarchie de l'ordre juridique interne. C'est le juriste Hans Kelsen
qui nous présente la représentation la plus claire de cette
hiérarchie sous la forme d'une pyramide : La normativité supra
législative, celle législative et celle infra législative.
Autrement dit, il s'agit en premier lieu de la Constitution issue de la
volonté de l'ensemble de la Nation ; en deuxième position se
trouvent les normes internationales, puis les lois etc.
Selon l'article 1er de la Constitution
haïtienne en vigueur : « Haïti est une République,
indivisible, souveraine, indépendante, libre démocratique et
solidaire ». Se reconnaissant d'une République souveraine et
indépendante, l'État haïtien se positionne contre toute
subordination sur le plan organique. En ce sens qu'il ne pourrait se trouver au
dessus de celui-ci aucune autre autorité. « Aucun autre Corps
armé ne peut exister sur le territoire national » peut-on lire
à l'article 263-1 de cette constitution. Soulignons au passage qu'il
s'agit là d'un principe sacramental qui a déjà
été exprimé dans le préambule de la Constitution
haïtienne en vigueur (2016, p. 15) en ces termes : « Le peuple
haïtien proclame la présente Constitution pour rétablir un
État stable et fort, capable de protéger les valeurs, les
traditions, la souveraineté, l'indépendance et la vision
nationale ». La charte des Nations unies à l'alinéa 4 de son
article 2 consacre à son tour ce même principe quand elle avance
que :
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contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
La disposition la plus pertinente du principe de non
intervention est sans doute l'article 2 à l'alinéa 7 de la charte
des Nations Unies qui dispose : « aucune disposition de la présente
charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un
État [...]) ». Cela nous amène à faire un petit point
sur la signification de la compétence nationale d'un État du
point de vue du droit international.
En droit international, la compétence nationale d'un
État désigne le champ d'action de celui-ci qui relève de
son seul pouvoir de décision et échappe à l'empire des
règles internationales. Ceci étant dit, il revient à
chaque État de faire choix de son système économique,
politique ou social. Dans l'affaire du Lotus, La CPJI a même soutenu que
: « la limitation primordiale qu'impose le droit international à
l'État est celle d'exclure - sauf l'existence d'une règle
permissive contraire - tout exercice de sa puissance sur le territoire d'un
État (CPJI, Affaire du Lotus, 1927, série A no 10, par
18-19. Cité par Assogba, p. 6). De plus, les articles premiers des deux
pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques ; relatifs aux
droits économiques, sociaux et politiques, ratifiés par
Haïti, reconnaissent en termes nets le droit de tous les peuples de
disposer d'eux-mêmes : « Tous les peuples ont le droit de disposer
d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur
statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel ».
Cependant, si le Conseil de sécurité estime que
les mesures prévues à l'article 411 de la charte
étaient inadéquates ou qu'elles se sont
révélées telles :
(...) il peut entreprendre, au moyen de forces
aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge
nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et la
sécurité internationales. Cette action peut comprendre des
démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations
exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres
de Membres des Nations Unies (Charte des Nations unies, Article 42, p.13).
1 Le Conseil de sécurité peut décider
quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent
être prises pour donner effet à ses décisions, et peut
inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci
peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations
économiques et des communications ferroviaires, maritimes,
aériennes, postales, télégraphiques,
radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la
rupture des relations diplomatiques. (Charte des Nations Unies, Article 41)
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Plus tard, à travers la résolution 43/131 de
l'Assemblée générale de l'ONU en 1988 puis par plus de 300
résolutions du Conseil de sécurité dans une vingtaine de
conflits, le droit d'ingérence a été introduit et
consacré par le sommet mondial des chefs d'État et de
gouvernement comme un antidote au principe de non-intervention
susmentionné. Le 16 septembre 2005, ils affirmaient :
(...) Nous sommes prêts à mener en temps voulu
une action collective résolue, par l'entremise du Conseil de
sécurité, conformément à la Charte, notamment son
Chapitre vii, au cas par cas et en coopération, le cas
échéant, avec les organisations régionales
compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent
inadéquats et que les autorités nationales n'assurent
manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide,
les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre
l'humanité. (Cité par Bettati, 2007, p. 381)
Ainsi, en 2004, les Nations Unis résolurent à
intervenir en Haïti à travers une Mission militaire de
stabilisation en vertu de la résolution 1542 du Conseil de
Sécurité. Nous sommes donc en présence d'une confrontation
entre les normes juridiques internationales elles-mêmes d'une part et,
d'autre part entre les normes constitutionnelles et les normes juridiques
internationales. D'un côté, certaines dispositions interdisent
strictement l'intervention. D'un autre côté, le principe de
non-intervention est totalement remis en question à la faveur d'un droit
d'ingérence motivé par des « menaces à la paix et
à la sécurité internationale ».
Selon la résolution 1542 du Conseil de
sécurité de l'ONU, créant la MINUSTA, la Mission devrait
entre autres « assurer un environnement sûr et stable, aider
à réformer et restructurer la Police nationale, appuyer le
processus constitutionnel et politique en cours en Haïti ». Insistons
au passage sur le fait que l'Organisations des Nations Unies n'était pas
à son premier coup d'essai en Haïti. Sa première
intervention remonte à 1990. Celle-ci se réalisa dans le cadre
d'une mission de contrôle des opérations électorales qui
ont abouti à la courte présidence de Jean Bertrand Aristide. En
1994, le Conseil de sécurité de l'ONU donne son aval aux
États-Unis d'Amérique qui lancent l'opération «
restaurer la démocratie ». L'année suivante, la Mission des
Nations unies en Haïti (MINUHA) prend le relais des forces
américaines (Pouligny-Morgant, 1998, p. 2).
Or, eu égard au principe de la hiérarchie des
normes, toute démarche onusienne visant à autoriser une
intervention de quelque nature que ce soit, militaire notamment, en Haïti
serait
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frappée d'inconstitutionnalité. Car aucune
convention, aucun traité, aucune loi n'est supérieure à la
Constitution : tout autre texte de loi doit être rédigé ou
adopté en conformité avec les normes constitutionnelles.
Parallèlement, en dépit de ces nombreuses
interventions, nous sommes amenés à observer que l'État
haïtien demeure aujourd'hui encore dans une extrême
précarité. L'instabilité politique n'a toujours pas
été éradiquée. L'État de droit peine encore
à se construire. Ce qui porte des auteurs comme Ricardo Seitenfus
à qualifier d'échec l'aide internationale à Haïti :
« On veut faire d'Haïti un pays capitaliste, une plate-forme
d'exportation pour le marché américain, c'est absurde ! (...) on
ne résout rien, on aggrave la situation. Cela suffit de jouer avec
Haïti. » (Cité par Fernandez, 2011, para 14).
Partant de ces différentes considérations, cette
intervention onusienne crée à ce moment là un important
problème juridique qui suscite notre curiosité. Car, cette
question apparait comme une véritable anomalie pour laquelle il est
souhaitable d'engager une recherche explicative qui porterait sur les
déterminants, les liens causaux et processus juridiques
impliqués. C'est dans cette même lignée que nous formulons
ainsi nos questions de recherche suivies des hypothèses et objectifs de
recherche :
1.1 Énoncé des questions et hypothèses
de recherche
Question principale : Comment expliquer les
origines et fondements juridiques de l'intervention des Nations unies en
Haïti de 2004 à 2017 ?
Question spécifique 1 : L'intervention
des Nations Unies en Haïti de 2004 à 2017 est-elle compatible ou
non avec la souveraineté de l'État haïtien garantie par la
Constitution haïtienne en vigueur et les normes juridiques internationales
?
Question spécifique 2 : Par quels
moyens Haïti pourra-t-elle se mettre à l'abri des interventions
onusiennes ?
Comme nous le faisons remarquer dans plusieurs sections de
notre travail, notre objet de recherche oscille entre les normes
constitutionnelles, les normes juridiques internationales, la
défaillance des trois pouvoirs de l'État, c'est-à-dire,
son incapacité à remplir ses fonctions régaliennes et ses
fonctions de base et sa difficile insertion dans la société
internationale pour
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expliquer les origines et les fondements juridiques de
l'intervention onusienne en Haïti entre 2004 et 2017. Ce travail de
recherche part donc de trois hypothèses: deux explicatives et l'autre
transformative. Nos investigations nous permettront très certainement de
vérifier la validité des hypothèses émises.
Hypothèse principale : L'intervention
des Nations Unies en Haïti de 2004 à 2017 est une
conséquence de la faillite des trois pouvoirs de l'État,
Co-dépositaires de la souveraineté nationale.
Hypothèse spécifique (1) :
L'intervention des Nations Unies en Haïti de 2004 à 2017
constitue une atteinte à la Souveraineté externe et interne de
l'État haïtien.
Hypothèse spécifique (2) :
L'établissement d'un État de droit en Haïti,
matérialisé à travers le renforcement des pouvoirs de
l'État et l'existence d'autres organes tels le Conseil constitutionnel
et le Conseil électoral permanent, contribue à y réduire
les risques des interventions onusiennes.
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