2.2 Haïti un État fragile, failli et
défaillant
Les tableaux de résultats de la recherche nous peignent
un Pays qui est gérée pendant treize année au moins, par
les Nations Unies. Durant toute la durée de la Mission, Haïti est
un pays qui s'est révélé incapable de relever les nombreux
défis auxquels doit faire face tout pays à l'ère de la
mondialisation.
Depuis, un siècle environ, Haïti est
considérée comme étant le pays le plus pauvre du continent
américain. Ayant conquis son indépendance dans des conditions
difficiles au tout début du dix-neuvième siècle,
l'existence du peuple haïtien est conditionnée par une
économie à prédominance agricole marquée par la
petite exploitation paysanne de faible productivité. L'économie
urbaine est restée rachitique et liée au commerce international,
faible en volume, en valeur et en part relative du produit intérieur
brut. En dépit des tentatives entreprises pour essayer d'optimiser, les
résultats obtenus sont jusqu'ici décevants. L'industrialisation
demeure relativement faible, ralentie en partie par une agriculture qui s'est
montrée incapable de satisfaire la demande urbaine. Les croissances
observées dans le pays n'ont malheureusement pas permis une augmentation
significative des revenus moyens et le taux de pauvreté est
demeuré très élevé. Pour sa part, le professeur
Jean-Marie Théodat, auteur d'un article intitulé « L'eau
dans l'état, l'état nan dlo : Dilution des responsabilités
Publiques et crise urbaine dans l'aire Métropolitaine
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de Port-au-Prince » n'a pas eu à faire du coq
à l'âne pour décrire la dilution des responsabilités
publique en Haïti dès la fin du XXe siècle :
Une véritable débâcle de l'État
caractérisait la vie politique haïtienne depuis la fin de la
dictature des Duvalier en 1986. Cette situation a connu une aggravation
dramatique après le séisme du 12 janvier 2010 qui a rendu encore
plus précaire la situation des plus vulnérables. Le pays est
connu sur la scène internationale comme un modèle d'État
fragile, nécessitant pour se maintenir à flot,
financièrement et politiquement, de plus en plus l'aide de la
communauté internationale. Depuis 2004, la MINUSTAH, mission de
stabilisation de l'ONU, s'essaye à rétablir les structures
d'encadrement d'une société déchirée par deux
siècles de régimes autoritaires et corrompus dont le dernier
avatar, le régime Lavalas représenté par Jean-
Bertrand Aristide, a porté à son comble l'échec de
l'expérience haïtienne d'un État juste, libre et
démocratique. (Théodat, 2010, pp. 336-337)
Cependant, pour pertinent que parait cette situation, affirmer
qu'Haïti est un État failli, réclame des analyses assez
soutenues. Tel est l'objectif poursuivi dans les lignes suivantes.
Pour le lecteur francophone, une précision
sémantique s'impose : parler d'État « failli » ne se
réfère nullement à une simple « faillite »
financière mais bien à un « échec » (failure en
anglais) étatique plus massif qui s'apparente pour certains à un
véritable « effondrement » (Gaulme, 2011, p. 19).
L'État en faillite s'entend de cet État qui, à un certain
moment de son Histoire, ne parvient plus à remplir ses fonctions
régaliennes.
Pour Guy Lachapelle et Stéphane Paquin (2004, p.3)
L'État s'est d'abord construit afin de répondre aux besoins de
sécurité des populations. Les fonctions de base de l'État
vont devenir avec le temps la défense du territoire face aux
dépravations d'invasions extérieures, le maintien de la loi et de
l'ordre, la garantie de la stabilité de la monnaie, l'assurance qu'il y
ait des règles juridiques compréhensibles pour les
échanges de base entre contractants. Après la Seconde guerre
mondiale, l'État va intensifier son rôle dans l'économie et
s'efforcera de stabiliser les prix et favoriser l'équilibre
extérieur.
L'État En faillite n'a par conséquent aucun
contrôle réel de son espace politique et économique. Il en
ressort que la Justice est faible et inopérante, que la défense,
la sécurité, la diplomatie sont paralysée. Pour nous
assurer d'avoir explorer les meilleures pistes possibles. Quatre autres
fonctions régaliennes de l'État haïtien seront mises en
examen. Il s'agit de la compétence normative de l'État, la
défense, la sécurité publique et l'intégrité
du territoire. Nous verrons
L'histoire du Parlement haïtien est truffée de
crises, de tensions et parfois même de conflits avec les autres pouvoirs
ainsi qu'avec la primature et le cabinet ministériel qui la renforce
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donc, à travers l'interprétation des
résultats, que durant les treize (13) années de l'ère
MINUSTAH, l'institution parlementaire haïtienne a été
défaillante ; l'exécutif a échoué dans son
rôle de défenseur de la sécurité publique et de
protection de l'intégrité du territoire.
Pascal Martin-Bidou (p. 36) définit la
compétence normative comme le « pouvoir d'adopter des normes
». Comme nous l'avons fait remarquer, c'est l'une des marques distinctives
de l'État moderne.
Les critiques contemporaines de la loi évoquent de plus
en plus l'idée selon laquelle la loi serait aujourd'hui en crise,
malade, en désordre, relèverait de la pathologie,
nécessiterait une radioscopie, serait devenue inintelligible et complexe
au point de devenir une menace pour l'État de droit (Fluckinger, 2008,
p. 11). Les grandes législations de la planète, soucieuses de la
survie de la loi et consciente de sa nécessité incontestable dans
un État de droit, sont en pleine réforme. Ces réformes
visent, entre autres, à supprimer les actes obsolètes, à
raccourcir les textes existants et à assainir tout le recueil des actes
législatifs. Cette démarche a pour objectif principal
d'améliorer la qualité de la loi. Mais quand est-ce que la loi
est de bonne qualité ?
Pour Alexandre Fluckinger (p. 14), on distingue trois types de
critères : juridiques, factuels et rédactionnels. Les
critères juridiques de bonne législation découlent de la
légitimité démocratique, de la subsidiarité et de
la proportionnalité, de la sécurité juridique et de la
transparence du processus législatifs. Les critères factuels,
autrement dit ceux qui permettent d'examiner la capacité de la loi
d'agir sur les faits, sont l'effectivité, mesurée par
l'évaluation, et la simplicité de l'action étatique. Les
critères de qualité rédactionnelle sont la clarté,
la simplicité et la cohérence ainsi que la concision, la
précision et la réduction du volume de la législation.
Bref le pouvoir de législation pour nécessaire qu'il soit,
suppose la maitrise d'une certaine méthodologie légistique. En
Haïti, une institution parlementaire est mise sur pied avec la
responsabilité d'exercer le pouvoir législatif. La Constitution
haïtienne en vigueur dispose en son article 88 que : « le pouvoir
législatif s'exerce par deux (2) chambres représentatives. Une
(1) chambre des députés et un (1) Sénat qui forment le
corps législatif ». Se basant sur les tableaux des
résultats, l'on se demande si l'institution a rempli cette mission
régalienne reconnue à l'État haïtien.
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mais plus particulièrement avec le pouvoir
exécutif dans sa dimension administrative. De 1987 à nos jours,
l'institution fonctionne suivant le principe du bicaméralisme. Mais
depuis des années, le respect des normes constitutionnelles devient de
plus en plus payant pour le Parlement. À cela s'ajoute également
le bilan tout à fait mitigé de nos différentes
législatures durant la période étudiée. L'on
reproche aux parlementaires leur connivence avec le pouvoir exécutif et
leur improductivité. L'adaptabilité de l'institution
parlementaire haïtienne au système international reste encore
à prouver.
Avec Sandra Jean Gilles (2015, p. 31), auteure d'un article
intitulé « L'institution parlementaire dans la dynamique de la
néopatrimonialisation de l'État démocratique en Haïti
», nous retenons trois demandes ou compréhensions des demandes qui
structurent la logique d'action des parlementaires : un parlementarisme
à saveur de développement, le parlementarisme normatif
renouvelé et un parlementarisme à la limite subversif. Les
résultats obtenus sur la base de ces repères sont
critiqués d'un point de vue de droit institutionnel mais surtout dans
une dimension anthropologique et historique qui renforce l'analyse
institutionnelle en lui donnant un peu plus de relief.
Si la souveraineté de la Nation est effectivement
confiée aux trois pouvoirs judiciaire, législatif et
exécutif, l'institutionnalisation de la démocratie relève
avant tout de la responsabilité du parlement. Or, la
réalité est que le Parlement haïtien évolue
constamment dans une ambiance de crise et de violence. Notons, pour expliciter
notre point de vue, le problème du renouvellement du personnel
parlementaire. Il est devenu une tradition que de constater la caducité
de nos parlements. Une situation qui est contraire aux valeurs de l'État
de droit. Ainsi, dire que le renforcement de la démocratie repose sur le
parlement seul est hyperbolique, nous le reconnaissons. Mais, il n'est pas
moins vrai que la mission de contrôle conditionne le bon fonctionnement
d'un régime démocratique. Est-ce réellement le cas ?
Dans la limite de nos bornes chronologiques, nous avons
opté pour le bilan de la 49e législature pour tenter
de comprendre la portée réelle de l'exercice d'un pouvoir aussi
important que celui de la législation. À ce jour, aucun sondage
n'a été réalisé pour mesurer l'affaiblissement de
l'image du Parlement dans l'opinion publique et son rôle boiteux dans
l'état actuel des institutions et dans le cadre du respect des normes
républicaines régissant la séparation des pouvoirs.
Toutefois, de nombreux faits montrent qu'il est devenu de plus en plus
fragilisé, empêtré, d'un côté, dans une
dépendance aveugle au pouvoir exécutif et, de l'autre, dans
une
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hostilité féroce à ce dernier. Quel que
soit le jugement que l'on puisse porter sur le bilan de la 49e
législature, elle reste sur le triple plan de la construction de
l'État de droit, de l'évaluation effective des actions du pouvoir
exécutif et de la défense des intérêts de la grande
majorité l'une des législatures les plus insignifiantes et les
plus improductives de l'après Duvalier (Dumas, 2014, para 2). Devant
l'échec du pouvoir législatif, nous sommes dans l'obligation de
questionner à présent le rôle joué par le pouvoir
éxécutif dans ses attributions de défenseur de la
sécurité publique et de l'intégrité du
territoire.
La pensée de Katia Legare (2008, p.143), ouvre cette
section : « un État est défaillant lorsqu'aucune
administration centrale n'est en mesure de monopoliser l'exercice de la
violence à l'intérieur de frontières définies
». Une définition élargie à laquelle s'ajoute
également le respect des droits de la personne par cette autorité
et la satisfaction de besoins minimaux de la population en matière de
sécurité nationale et internationale notamment. Il s'ensuit que
l'État souverain doit être en mesure d'assurer la
sécurité de ses propres citoyens et prendre les mesures
nécessaires pour ne pas compromettre à la sécurité
internationale.
Dans l'ordre international, la seule existence de territoires
soustraits au contrôle d'un gouvernement central capable d'y imposer
l'ordre constitue une menace à la sécurité internationale.
D'abord, elle se traduit par l'augmentation des guerres civiles, le terrorisme
et bien d'autres fléaux. Lorsque les régimes s'effondrent, un
chaos inquiétant s'installe petit à petit ce qui laisse
incontrôlés de nombreux territoires, sans points d'appui pour la
communauté internationale. Ce qui pousse Hilary Benn, secrétaire
d'État pour le développement international du Royaume-Uni,
à spécifier les standards d'un « État normal »
en ces termes: « Pour que le système international fonctionne, il
faut des États forts... étant en mesure de fournir des services
à leurs populations, de représenter leurs citoyens, et de
contrôler les activités (se déroulant) sur leur territoire,
et de respecter les normes, les traités et les ententes internationales
» ( Cité par Legare, 2008, p. 149).
L'analyse des résultats relatifs à cette
question passe bien évidement par un ensemble d'interrogations qu'il
convient d'élucider : l'État haïtien a-t-il failli dans son
rôle de maintien de l'ordre et de la sécurité publique?
Dans quel sens peut-on dire que la situation de crise qui sévit en
Haïti menaçait la sécurité internationale
jusqu'à légitimer l'intervention des Nations unies ? Les
données fournies par les nombreux rapports consultés pour mener
cette recherche permettent de comprendre que l'État haïtien a perdu
le monopole de la défense, de la sécurité publique
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et l'intégrité du territoire. Par exemple,
l'institution policière qui a la charge d'assurer la
sécurité publique souffre de sérieux problèmes :
pas de bâtiments appropriés pour loger les commissariats,
déficit de véhicules pour la PNH, manque de carburant,
problèmes de budgets, des sections rurales qui devraient, aux yeux de la
Constitution de 1987 et des règlements de la PNH avoir un
sous-commissariat, n'en ont pas. Toutes ces considérations et bien
d'autres montrent à quel point l'insécurité se normalise
en Haïti. Par ailleurs, les autorités nationales arrivent
difficilement à répondre aux besoins de la population en termes
de sécurité et de justice. Somme toute, dans le système
international, l'État souverain est l'unité centrale qui garantit
à la fois la stabilité internationale et l'ordre
intérieur. D'où la chasse aux sorcières destinées
à placer les États fragiles, faillis ou défaillants sous
protectorat international dans le but très controversé de
maintenir la paix et la sécurité internationale.
D'où également le fait qu'Haïti soit
constamment placée dans le chapitre VII de la charte des Nations unies.
En effet, il est communément admis que les États faillis
constituent une menace assez flagrante pour la stabilité et la
sécurité internationale. Conséquemment, ils parviennent
difficilement à défendre leur territoire et en consacrer
l'intégrité
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