2. Analyse, Discussion et interprétation des
résultats de la recherche
Dans cette section, les résultats de la recherche,
quoique présentés et décrits précédemment,
seront analysés, discutés et interprétés. Il s'agit
pour nous de faire ressortir le sens et la signification de nos principaux
résultats obtenus dans le cadre de la présente recherche.
Ainsi, dans cette partie, l'état de tous les
indicateurs qui ont été testés afin, d'une part, de
prouver la triple intervention militaire, politique et juridique des Nations
Unies durant la période étudiée, et, d'autre part, fournir
une explication juridique à cette intervention, sera
interprété c'est-à-dire élucidé à la
lumière de la problématique de recherche.
Globalement, les résultats de la recherche ont permis
de noter la défaillance des trois pouvoirs de l'État comme
principale cause de l'intervention onusienne en Haïti. En voici les
principaux facteurs qui l'expliquent:
- La fragilité du système judiciaire
haïtien
- La défaillance de l'institution parlementaire
haïtienne
- L'échec du pouvoir exécutif dans ses
rôles de défenseur de la sécurité publique et de
l'intégrité du territoire
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2.1 Une Justice haïtienne et des droits fondamentaux
en péril
Ancienne colonie française, l'État haïtien
ou plutôt la République d'Haïti a adopté copieusement
le système judiciaire français. Ce faisant, la Justice a
totalement importé, la forme des lois, le système de codification
des lois et la structure judiciaire française. C'est ainsi qu'ont
été incorporés dans notre système de justice le
code civil calqué sur le code napoléonien de 1804, le code
pénal, le code d'instruction criminel. Malheureusement, le constat est
que ces textes n'ont été soumis qu'à des réformes
de faibles portées. Cette situation a pour conséquence un vide
juridique qui, ajouté à d'autres problèmes structurels,
entraîne la défaillance du système judiciaire haïtien.
Afin de comprendre pleinement la situation de l'appareil de justice
haïtien y compris les droits humains, une analyse des principales
données affichées dans le tableau des résultats
s'impose.
Les articles premier et deuxième du décret
relatif à l'organisation du pouvoir judiciaire du 22 Août 1995
fixe les conditions dans lesquelles est exercé le pouvoir judiciaire
haïtien :
Le Pouvoir Judiciaire est exercé par la Cour de
Cassation, des cours d'appel, des tribunaux de première instance, des
tribunaux spéciaux qui traiteront de questions spécifiques et des
tribunaux de paix. Le Pouvoir Judiciaire est indépendant des deux autres
Pouvoirs de l'État. Cette indépendance est garantie par le
Président de la République.
Cela va sans dire que la bonne marche de ce système est
tributaire de l'ensemble des organes qui le constituent. Une assertion qui peut
difficilement être confirmée eu égard aux nombreux
défis auxquels fait face l'administration de la justice haïtienne.
William G O'Neil dans son livret « Un besoin prioritaire : Réformer
la justice en Haïti », fait savoir que le système judiciaire
haïtien manque de tout : ressources matérielles, personnel
qualifié, expertise, indépendance, honnêteté,
formation et structuration. Les juges et les commissaires sont souvent choisis
en fonction de leurs accointances sociopolitiques ou de leur
malléabilité face aux demandes fallacieuses de leurs
bienfaiteurs. (Cité par ÉDOUARD, 2013, para 1).
D'autres recherches effectuées sur les problèmes
du système judiciaire font grossir un peu plus cette liste par des
éléments nouveaux tels : la désuétude de nos textes
de loi, le faible niveau de formation de la plupart des juges, leur manque
d'éthique, l'impunité, les abus d'autorité et, comme nous
n'arrêtons pas de le souligner, la montée croissante de la
corruption qui gangrène la magistrature.
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Pour sa part, le rapport de la commission
interaméricaine des droits de l'homme, intitulé : «
Haïti : Justice en déroute ou l'État de droit ? Défis
pour Haïti et la communauté internationale » publié en
2006, fait ressortir de manière détaillée les principales
faiblesses de l'administration de la justice en Haïti :
Les principales faiblesses de la justice, identifiées
par l'État lui-même et par les organisations gouvernementales et
non gouvernementales nationales et internationales, sont, entre autres : les
mauvaises conditions de travail des juges et autres menaces contre
l'indépendance des magistrats, les détentions préventives
prolongées avant l'inculpation et avant le procès ainsi que leurs
causes, y compris l'absence d'une représentation légale pour les
prévenus indigents, et la nécessité d'une réforme
approfondie des lois. À leur tour, ces problèmes contribuent au
problème plus vaste de l'impunité et des violations des droits de
l'homme et des autres crimes.
Ces rapports et bien d'autres laissent remarquer que l'un des
problèmes majeurs de la Justice haïtienne est la corruption.
Malheureusement, il ne s'agit point d'un problème nouveau. En effet,
selon Transparency international, de 2002 à 2011, Haïti est
passée du 89e rang au 175e rang mondial en matière de corruption
(cité par Brodeur, 2012, p. 50). Ce classement signifie qu'Haïti
figure parmi les dix pays les plus corrompus du monde.
Plus, loin, dans un autre rapport publié sur la
situation de la justice haïtienne au cours de l'année 2014-2015, le
RNDDH a fait, à son tour, des révélations assez alarmantes
sur les conditions de fonctionnent de l'appareil judiciaire haïtien:
tribunaux logés dans des bâtiments délabrés, Pas de
frais de fonctionnement pour les tribunaux de paix, absence de matériels
de fonctionnement, pas d'alternative au courant électrique, insuffisance
de magistrats au niveau des tribunaux de première instance.
Dans son rapport de 2015 (p.213) qui rend compte de la
situation des droits à l'échelle planétaire en 2014 et qui
reprend quelques événements majeurs survenus en 2013, Amnesty
international n'y va pas par quatre chemins pour nous peindre la situation dans
laquelle se trouve le système judiciaire haïtien. D'abord, le
manque global d'indépendance du système judiciaire demeurait un
motif de préoccupation. Le Conseil supérieur du pouvoir
judiciaire, une institution jugée essentielle à la réforme
du système judiciaire, n'a entamé le processus de contrôle
des juges existants qu'en fin d'année. L'incapacité à
pourvoir plusieurs postes vacants au sein du pouvoir
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judiciaire a exacerbé le problème de la
détention provisoire de longue durée. À la fin juin, les
prisonniers en détention provisoire représentaient plus de 70 %
de la population carcérale.
Autant comprendre le niveau d'inaptitude et de
fragilité de la Justice haïtienne qui est censée
considérée comme une des fonctions régaliennes de tout
État souverain. Il ne fait donc aucun doute que vu l'état d'une
telle justice, des menaces planeront sur les droits fondamentaux des citoyens.
Car, il est un fait que l'une des marques distinctives des États
fragile, faibles ou faillis, est la violation à outrance des droits et
libertés fondamentaux de leurs propres citoyens. À cela s'ajoute
également l'incapacité de l'État à garantir et
protéger ces droits. Une situation qui met en périls les droits
fondamentaux des Haïtiennes et Haïtiens.
Le rôle que devrait jouer l'État haïtien
dans la protection et le maintien des droits fondamentaux des citoyens
haïtien est clairement exprimé : « L'État a
l'impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à
la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens
sans distinction, conformément à la déclaration
universelle des droits de l'homme » (Article 19 de la constitution
haïtienne en vigueur). C'est aussi ce que nous pouvons lire à
l'article 2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques
ratifié par Haïti et entré en vigueur le 7 Janvier 1991,
date de sa publication dans le moniteur : « Les États parties au
présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir
à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur
compétence les droits reconnus dans le présent pacte [...]).
Cependant, en dépit du fait que ces droits universels soient
érigés au rang des obligations de l'État, force est de
constater qu'ils sont dans la plupart du temps bafoués et violés
par les décideurs politiques eux-mêmes.
Soulignons que le rapport de Juin 2005 sur la Situation
générale des droits humains en Haïti à la veille des
Élections annoncées pour la fin de l'année 2005 du RNDDH
accuse l'État haïtien, c'est-à-dire les autorités,
d'êtres à l'origine d'une situation d'insécurité et
de violence politique croissante dans le pays. Le rapport fait observer
l'instauration de la violence politique, la criminalité
organisée, les persécutions politiques, les menaces, les
arrestations illégales, les détentions arbitraires etc.
Dans la foulée, l'office de la protection du citoyen
(OPC) a, dans son rapport sur la situation des droits humains en Haïti de
2009 à 2012, fait d'importantes révélations qui mettent
à nu le système judiciaire haïtien dans sa mission de
protection des droits fondamentaux. L'impunité occupe la première
place dans ce rapport. Viennent ensuite des allégations de violation des
droits humains commises par des membres de l'institution policière.
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Malheureusement, la Justice s'avère toujours
impuissante lorsqu'il s'agit de répondre à ces accusations. Une
violation flagrante de l'alinéa 3 de l'article 2 du pacte international
relatif aux droits civils et politiques qui fait obligation à tous les
États de garantir que toute personne dont les droits et libertés
auront été violés dispose d'un recours alors même
que la violation aurait été commise par des personnes agissant
dans l'exercice de leurs fonctions officielles.
En février 2016, le haut commissariat des Nations unies
produit un rapport sur la situation des droits de l'homme en Haïti entre
le 1er Juillet 2014 et le 30 Juin 2015. L'un des problèmes
qui a particulièrement été mis en évidence dans ce
rapport est celui de la détention provisoire :
Au 2 juillet 2015, le taux de détention provisoire
demeurait à 72,19 % de la population carcérale, soit 7 655
personnes. Les centres de détention affichant les taux les plus
élevés sont le Centre de réinsertion pour les mineurs en
conflit avec la loi (CERMICOL, Ouest), 90,73 % ; suivi de près
par le Pénitencier national (Ouest), 88,70 % ; la Prison civile
pour femmes à Pétion-Ville (Ouest), 88,69 % ; et les
prisons civiles à Jérémie (Grand `Anse), 86,23 % ;
et aux Cayes (Sud), 85,23 %.
Faisons observer que les défenseurs des droits humains
rencontrent dans la plupart du temps d'énormes difficultés pour
pouvoir mener leurs activités sans crainte de représailles. Il
arrive qu'ils se trouvent en effet en butte à des actes de
harcèlement et d'intimidation, comme l'illustrent les nombreuses actions
urgentes émises dans des cas de menaces de mort ou de «
disparitions » présumées. Plusieurs rapports d'institutions
internationales comme celui de 2015 présenté par Amnesty
International, ont dénoncé les actes d'agressions que subissent
les défenseurs des droits humains en Haïti.
C'est ainsi que, incapable de mettre un terme à ces
vagues de violence, l'État se voit dans la plupart du temps
déposséder de son pouvoir de contrôle à la faveur
d'entités internationales dont l'ONU. Dans ce contexte, des
Organisations de la société civile haïtienne allaient
jusqu'à solliciter l'aide internationale. Une démarche nouvelle
mais légitime qui à priori remet en question la
souveraineté de l'État haïtien si l'on en croit les
commentaires de Gérard Gonzales (2008, p. 21) : « Le
développement des droits de l'homme a contribué par ailleurs
à relativiser le principe de non-ingérence. La notion de devoir
d'assistance ou d'ingérence implique donc la responsabilité
internationale en raison de potentielle menace». C'est dans cette
perspective que, toujours selon le rapport, le 1er octobre 2006 une
lettre ouverte est adressée au président de la
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République d'Haïti, René Garcia
Préval, à propos des recommandations d'Amnesty International
concernant la protection et la promotion des droits humains. [AMR 36/011/2006].
Plus tard, soit le 17 décembre 2007, une autre lettre est
destinée au secrétaire général Ban Ki-Moon
concernant l'affaire des Casques bleus sri lankais rapatriés
d'Haïti, en novembre 2007, pour exploitation sexuelle. En Juin 2010, la
Plateforme des Femmes Citoyennes Haïti Solidarité lance un appel
aux Nations unies pour des actions en vue de garantir la sécurité
des femmes sinistrées dans les camps et quartiers précaires et
leur accès prioritaire, en lien avec la Déclaration 1325 du
Conseil de sécurité (octobre 2000).
Ces faits et bien d'autres font remarquer non seulement les
dangers encourus par les droits fondamentaux en Haïti mais
également la défaillance de l'État qui renonce, ne
serait-ce que dans les faits, à l'une de ses plus importantes fonctions
« la Justice ». Ce qui le place justement au rang d'État
fragile, failli et défaillant au sens du droit international.
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