2.2 Cadre conceptuel de la recherche
Le cadre conceptuel développé ici doit
être perçu comme étant la réunion, sous un
même couvert, des connaissances et toute autre réflexion
scientifique, qui ont un rapport quelconque avec le thème de la
recherche et qui nous serviront de point de repères. Une fois construit,
le cadre conceptuel aura la force nécessaire d'orienter, d'enrichir la
problématique. Il est le point d'intersection des divers sens contenus
dans les variables. L'idée est de parvenir à une meilleure
compréhension des concepts principaux et secondaires en ayant soin de
donner des références. Les principaux thèmes de
l'hypothèse sont, à ce stade explicités à la
lumière du cadre conceptuel comme une sorte de rubrique analytique. Les
concepts tels que définis et examinés symbolisent la position
théorique et scientifique adoptée dans le cadre de ce travail et
constituent des points de référence. Il s'agit globalement de
comprendre les origines et fondements juridiques de l'intervention onusienne
subie par Haïti entre 2004 et 2017, à travers l'analyse:
- de la société internationale par rappoirt au
droit et aux réalités,
- des caractéristiques de la société
internationale,
- de la place du système des Nations Unies comme
organe régulateur des relations
internationales,
- des rapports entre État, Souveraineté et
Responsabilité de Protéger .
L'impérialisme collectif formé par la Triade
(États-Unis, Europe, et Japon) est à l'offensive et s'emploie
activement à refaçonner le monde en fonction de ses objectifs
propres. Il
27
Avec la mondialisation qui n'est pas seulement l'extension de
l'international à l'échelle du monde, nous entrons dans une
réalité qualitativement différente,
caractérisée par la prédominance des domaines de
transnational et du supranational, les deux porteurs de la
déstabilisation de l'État-nation [...] (Manigat, 2007, p. 960).
Outre son entrée polémique dans l'histoire mondiale, la
Nation-phare de 1804, pour reprendre l'expression de l'historien Leslie F.
Manigat, comme tous les pays sous-développés d'ailleurs, est
victime de son retard par rapport au nouvel ordre mondial.
Dès lors, pour comprendre le non-développement
d'Haïti et sa dépendance par rapport aux grandes puissances
mondiales, il faut, en plus d'une critique de ses choix politiques et
économiques, la replacer au sein de la société
internationale telle que structurée après la seconde guerre
mondiale. Ce sous-point s'attachera donc à analyser la difficile
insertion d'Haïti dans le concert des États ou mieux encore sa
vulnérabilité en raison des inégalités de situation
qui, avouons-le, enveniment les rapports entre les États.
L'avènement d'une société internationale
dépassant le cadre national, c'est-à-dire celui d'une
société marquée par un sentiment d'appartenance à
une communauté culturelle, linguistique ou religieuse, est relativement
tardif. Pendant des millénaires, les Nations évoluaient dans une
ambiance de rejet mutuel. Toute relation humaine entre individus ou entre
nations, peu importe, implique échange, échange au sens noble du
terme (Platier, 1958, p. 200). Un point de vue que Guy Agniel (1997, p. 8)
endosse parfaitement lorsqu'il fait savoir qu' « il a fallu des besoins
nouveaux, excédant les moyens d'une seule société
nationale ou nécessitant la collaboration de plusieurs d'entre elles,
pour que naisse la société internationale». Comme toute
société organisée, la société internationale
se fonde sur des lois. Elle est régie par un droit dit droit
international qui s'efforce de régulariser un monde de divergence, de
pluralisme et de contradiction. Mais si nous considérons les
caractéristiques de la société internationale telles que
présentées par Samir Amin, auteur d'un article intitulé :
Au-delà de la mondialisation libérale : un monde meilleur ou
pire ?, publié en 2006 dans les Presses Universitaires de France.,
nous serons alors contraints de plier à l'évidence de
l'impuissance du droit international.
28
est déjà parvenu à réduire les
pouvoirs dans la presque totalité des pays du Sud au statut de «
compradore », terme désignant les États soumis à un
ou des impérialismes. Dans ce cadre, les États-Unis, forts de son
rôle de fer de lance de cette offensive, sont en position de
déployer leur projet hégémoniste spécifique. Ce
projet passe par la mise en place d'un « contrôle militaire de la
planète » Washington intensifie sa présence militaire dans
presque tous les recoins du monde par la mise en place de nombreuse bases
militaires.
Actuellement, poursuit l'auteur, la société
internationale est caractérisée, d'une manière
générale, par l'éclatement du Sud et le contraste
grandissant entre un groupe de pays dits « émergents » (comme
la Chine, l'Inde, le Brésil, mais aussi des pays de taille plus modeste,
la Corée entre autres) à un pôle, et un « quart monde
» stagnant, voire régressant, à l'autre. Les nouveaux
avantages grandissants qui définissent les postures de domination des
centres vont bien au-delà de l'industrie. Ils se traduisent de plus en
plus par le contrôle des technologies, des flux financiers, de
l'accès aux ressources naturelles, à l'information et aux
armements de destruction massive. Par ce moyen, les centres
impérialistes contrôlent effectivement les industries
délocalisées dans les périphéries «
émergentes », les véritables périphéries de
l'avenir. Le sort que le projet impérialiste réserve aux peuples
des périphéries « non émergentes »,
catégorie à laquelle appartient la République d'Haïti
est encore plus dramatique.
Les régions du monde dites « marginalisées
» sont, en fait, l'objet de politiques systématiques des forces
dominantes, que Samir Amin qualifie de stratégies « d'exclusion
programmée » des peuples concernés, facilitant une
intégration plus poussée de leurs ressources naturelles soumises
à un pillage intensifié. La mise en oeuvre de ce projet passe par
l'agression et l'occupation militaire (comme en Irak) et la mise sous tutelle
pour cause d'endettement (cas des pays d'Afrique). Nous pouvons ajouter sans
ambages, l'intervention des Nations pour menace prétendue à la
paix et la sécurité internationale (comme en Haïti).
Face à ce défi d'une brutalité sans
pareil, les réactions du Sud en question sont soit timides à
l'extrême, soit inappropriées. Les gouvernements, comme ceux des
protectorats d'autrefois, ne disposent plus que d'une marge de manoeuvre
limitée à l'extrême et se gardent de remettre en question
le libéralisme économique dont leurs pays font les frais.
Désemparés, de larges secteurs des classes populaires embrayent
derrière des rhétoriques parareligieuses ou para-ethniques qui
accusent les divisions entre les peuples du Sud. Reconstruire le front uni du
Sud face à l'impérialisme collectif de la triade et à
l'offensive militariste des États-Unis constitue le
29
défi auquel les peuples d'Asie, d'Afrique et
d'Amérique latine sont confrontés notamment au lendemain de la
seconde guerre mondiale.
Ces relations se déroulent aussi dans un espace dont
l'homme commence tout juste à découvrir les limites : espace clos
physiquement par l'occupation et la mise en exploitation de presque toutes les
terres habitables, politiquement par l'extension du modèle
étatique à toutes les collectivités, économiquement
par l'épuisement inéluctable de certaines ressources vitales du
fait de leur exploitation intensive ou de leur destruction par la pollution.
(Merle, les caractéristiques de la société internationale
contemporaine, para 2).
Si les liens que les Nations tissent entre elles existaient
d'une manière ou d'une autre depuis fort longtemps, le XXe siècle
propose des éléments nouveaux dont il faut en tenir compte. Guy
AGNIEL (1997, p. 11) fait état d'un ensemble de phénomènes
qui on marqué ce siècle. Il pointe d'abord du doigt la
propagation du modèle étatique dans toutes les régions du
monde puis la montée en puissance de mouvements de colonisation
menés par les puissances européennes dans des régions
d'Afrique, d'Asie et d'Océanie. Cependant, cette situation sera vite
régularisée au terme de la première et la deuxième
guerre mondiale, lesquelles ont mis fin à la prépondérance
européenne et ont favorisé l'émergence de nouveaux
États. C'est ainsi qu'entre 1940 et 1970 le monde s'est
bipolarisé. D'un côté il y a le bloc de l'Est dominé
par l'URSS et de l'autre côté le bloc de l'Ouest mené par
les États-Unis d'Amérique en pleine puissance. L'URSS, est avec
les États-Unis la plus grande armée du monde et s'étend
sur 700000 km2. C'est du moins précisément dans ce
domaine là que son rôle est le plus important. Car d'un point de
vue strictement économique, elle est en proie à d'énormes
difficultés qui ne remettent toutefois en rien en question sa domination
au sein de la société internationale.
Outre le fait que ces deux puissances symbolisent le duel
entre deux impérialismes, les deux blocs sont porteurs d'une
idéologie, d'un modèle de société qu'ils veulent
étendre sur tout le reste du monde. À ce tournant de l'Histoire
de l'humanité, l'existence d'une Nation est conditionnée à
son appartenance à l'un ou l'autre camp. Michel Virally (1985, p. 730)
s'est arrêté sur l'année 1985 pour faire remarquer que la
société internationale d'alors, « est une
société réellement universelle, en ce sens que tous les
peuples du monde, à une ou deux exceptions près, ont
été admis à constituer des États souverains, qui
participent à la vie internationale sur un pied d'égalité
juridique avec les autres États ». Ces mutations et beaucoup
d'autres ont profondément
30
influé sur l'évolution de la
société internationale. Les relations internationales allaient
s'étendre sur bien d'autres domaines dépassant ainsi la
sphère politique. Désormais, nous assistons à
l'introduction de nouveaux concepts tels la « coopération technique
et économique ».
À ce sujet, Pierre de Senaclens (2004, p. 19) nous
fournit des éléments explicatifs d'une pertinence telle que nous
nous donnons la peine de les reprendre :
Ces mutations affectent les circonstances dans lesquelles se
déroule la politique internationale, notamment parce qu'elles favorisent
les interactions transfrontalières entre les peuples et les liens
d'interdépendance entre les États. Elles peuvent
occasionnellement ébranler les frontières nationales et les
régimes de souveraineté politique.
Rappelons au passage que la mondialisation qui traduit une
sorte d'évolution du système capitaliste affectant l'ensemble de
la société internationale, a des conséquences assez
visibles sur les États en général mais surtout sur les
plus faibles. L'objectif global visant à maintenir l'ordre international
issu de la Seconde guerre mondiale n'apparait plus défendu que par les
grandes puissances (Gosselin, 1985, p. 746). Les nouvelles
réalités internationales peignent le triste tableau d'un monde
dont les échanges se déploient dans un espace beaucoup plus
important que par le passé. Compte tenu des moyens dont il faut
mobiliser pour intégrer ce nouvel ordre mondial, les petits États
se révèlent incapables de s'offrir une place de choix au sein de
la société internationale.
Comme nous l'avons développé
précédemment, la structure prise par les relations
internationales au XXe siècle a nécessité de nouvelles
approches. Ainsi, après l'échec des deux guerres mondiales, les
grands États ont résolu de mettre sur pied une organisation
internationale capable de relever les défis qui se profilent à
l'horizon. Le coup d'envoi est donné en 1941 lorsque les
États-Unis et le Royaume Uni signent la charte de l'Atlantique. Celle-ci
sera suivie par la signature, en 1943, de la déclaration des Nations
unies (déclaration de Moscou) par 26 Pays alors en guerre contre le
fascisme. Plus tard, d'Avril à Juin, lors d'une conférence tenue
à San Francisco, cinquante et un États signent le 26 Juin 1945 la
charte de l'Organisation des Nations unies.
Michel VIRALLY à travers son texte «
L'Organisation mondiale », définit l'ONU comme
étant une Association d'États dotée d'organes permanents
et constituée en vue de faciliter la
31
coopération de ces États dans la poursuite
d'objectifs communs (Cité par Gosselin, 1985, p. 742). Il s'agit donc
à l'origine d'une Association d'États égaux et
souverains.
Cette nouvelle organisation placée sur le toit du monde
comprend trois organes politiques principaux : Assemblée
générale, Conseil de sécurité, Secrétariat
général. (Agniel, 1997, p. 55). L'assemblée nationale est
composée de tous les membres des Nations unies avec une voix pour chacun
d'eux. Ses compétences s'étendent sur des sujets assez
diversifiés. Toutefois il est solidairement admis qu'elle
(l'assemblée) doit s'abstenir d'intervenir dans les affaires relevant de
la compétence nationale d'un État. Le conseil de
sécurité est composé de cinq membres permanents (Chine,
France, États-Unis, Royaume uni et la Russie) et de dix membres
élus par l'assemblée générale. Ses
compétences sont essentiellement le maintien ou le rétablissement
de la paix par tous les moyens possibles y compris celui de la force
conformément aux dispositions du chapitre VII de la charte des Nations
unies. Le Secrétariat général quant à lui est
dirigé par un secrétaire général
désigné par l'Assemblée pour un mandat de cinq ans
renouvelable une fois. Il a, entre autres, un rôle administratif et une
autre politique. Il est chargé, à ce titre d'exécuter les
décisions des divers organes, de dresser un rapport annuel à
l'Assemblée générale, de dresser un rapport devant le
conseil de sécurité sur toutes les affaires en cours et de
diriger les opérations de paix.
Pour explicites que paraissent ces notes, le rôle
véritable des Nations unies au sein de la société
internationale ne peut être compris qu'à travers d'autres
réflexions plus poussées. En vue de poursuivre ses objectifs,
l'ONU recourt généralement à ses principaux organes
spécialisés. C'est d'ailleurs par l'entremise de ces
différents organes qu'il arrive à remplir ses différentes
fonctions. Pour Pierre de Senaclens les fonctions des Nations unies sont donc
d'abord symboliques et normatives. Elle (l'ONU) représente pour les
gouvernements qui s'y rattachent un espace de politique symbolique, de
rencontres diplomatiques leur permettant de se faire un nom à
l'échelle internationale, de renforcer leur autorité
intérieure et de promouvoir les intérêts de leurs citoyens.
Entre des engagements politiques indéterminés et des discours
imprécis, les Nations unies multiplient les débats et les
réunions, augmentent le nombre de comités et d'autres structures.
Une bonne part de leurs ressources budgétaires est consacrée
à rassembler des colloques, à produire des textes de
portée normative. Les résolutions émanant de l'ONU est ses
institutions spécialisées comprennent des finalités
morales et politiques auxquelles les gouvernements sont censés se
conformer. Outre ces fonctions, c'est dans les opérations de paix
32
que l'action des Nations unies se révèle la plus
importante. Cependant, force est de constater que dans ce domaine là
encore son rôle est assez marginal et inefficace. Ce constat n'exclut pas
la lutte de la pauvreté qui constitue aujourd'hui l'une des
préoccupations majeures des Nations unies. Son impact dans ce domaine
sera relativement insignifiant en raison notamment de la concurrence avec
d'autres structures internationales telle la Banque mondiale. C'est
précisément au niveau humanitaire que son champ d'action est
beaucoup plus important. Une part croissante de son budget est d'ailleurs
allouée aux tragédies humanitaires. (De Senarclens, 2004, pp.
24-34).
En résumé, la structure actuelle de
l'Organisation des Nations unies est tout à fait défavorable aux
petits Pays. Les institutions de Bretton Woods (FMI et la BIRD) et l'OMC sont
avant tout au service de l'économie libérale qui n'est profitable
qu'aux grands pôles de production et d'échanges que constituent
les États-Unis, le Royaume uni, le Japon ou encore la Chine. Si à
l'ONU, les États membres sont considérés comme souverains
et égaux, il n'en va pas de même dans ces deux organisations
économiques où la disparité entre États l'emporte
sur l'égalité (Sierpinski, 2013, p. 122). La place que chaque
État occupe au sein des premières organisations internationales
se mesure à l'aune de l'économie. Au FMI ou à la BIRD un
lien direct existe entre le statut d'État membre et leur participation
financière aux organisations. D'où cette volonté d'essayer
d'établir les rapports entre État, Souveraineté et
Responsabilité de protéger.
Réalité très controversée et en
pleine crise actuellement, l'État s'est vu octroyé, depuis le
XIVe siècle au moins, un ensemble de théories qui
s'évertuent à expliquer son origine et déterminer son
rôle dans les sociétés politiques modernes notamment.
Né dans un contexte politique marqué par l'absolutisme et
l'autoritarisme, l'État a pris naissance dans les rapports que les
monarques et les sujets ont entretenus entre eux. De cette mutation des
monarchies européennes, est né premièrement l'État
Anglais. En France, l'organisation du pouvoir étatique fut
achevée au XVIe siècle. C'est ainsi que L'État en tant que
forme de gouvernement ou régime politique et social finit par se
propager en Espagne, Suède, Pays-Bas, Russie avant de s'étendre
sur toute la planète.
Au début du XVIII siècle, de nombreux auteurs
comme Locke, Montesquieu, Rousseau ont rejeté cette conception
absolutiste de l'État à la faveur d'une autre forme d'État
qui préconise
33
la séparation du pouvoir. C'est ainsi que deux
siècles plus tard, Carré de Malberg, Léon Duguit et
Maurice Hauriou allaient énoncer les fondements d'une toute autre
conception juridique de l'État. Mais concrètement que signifie le
concept d'État ?
Le concept d'État peut désigner plusieurs
réalités distinctes. Au sens restreint, il désigne les
pouvoirs publics, par rapport à la société civile. Dans un
autre sens encore étroit, voire beaucoup plus étroit même,
il désigne, au sein des pouvoirs publics, l'élément
central par rapport aux démembrements (les collectivités
territoriales). Dans un sens large, il revêt le sens d'une grande
collectivité. C'est en tant que tel que nous l'envisageons. D'où
la définition classique de l'État : « Entité
juridique constituée par un groupement d'individus fixés sur un
territoire déterminé et soumis au Droit international. »
Dans l'ordre juridique international, l'État est
perçu comme étant le sujet originaire du droit international. La
commission d'arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie du
29 Novembre 1991 a fait cette importante révélation : «
L'État est un sujet originaire et initial ou encore premier du droit
international. C'est-à-dire qu'il ne doit son existence dans l'ordre
international à aucun autre sujet. (Martin-Bidou, 2017, p. 14).
Gérard Gonzales (2004, p. 12) précise que
classiquement, il existe trois éléments constitutifs objectifs de
l'État. Il s'agit d'une population, d'un territoire et d'un
gouvernement. Le critère population ne laisse présager aucune
assise quantitative. Ainsi la taille des différentes populations de la
communauté des États est relativement distincte. Le territoire
d'un État est théoriquement tridimensionnel : terrestre,
maritime, aérien. Du point de vue du droit international, l'exigence
d'un gouvernement traduit la nécessité pour l'État
d'être doté d'organes capables de représenter sa
volonté en lui permettant d'entretenir des relations avec d'autres
États.
Pour Guy Agniel (1997, p. 29), un État existe
dès qu'une entité réunit trois éléments
fondamentaux - Population, territoire défini, appareil gouvernemental
effectif - et que n'étant soumise à aucune autorité
étrangère, elle est indépendante. Ce que Max Weber (1959,
p.8) dira en terme net quand, dans son texte intitulé « les
savants politiques », il avance que l'État consiste en un
rapport de domination de l'homme sur l'homme fondée sur les moyens de la
violence légitime.
Dans son ouvrage intitulé « l'ONU et les
Opérations de Maintien de la Paix » James Boyard (2010, p. 28) nous
renseigne sur les spécificités matérielles et juridiques
de l'État. Pour l'auteur, l'État désigne du point de vue
matériel une forme d'institutionnalisation du pouvoir
34
politique qui détient une autorité souveraine
sur l'ensemble d'un peuple et dans les limites d'un territoire
déterminé. D'un point de vue juridique l'État
détient une autre caractéristique qui fait justement sa
singularité, il s'agit de la souveraineté.
La souveraineté des États, loin de faire
unanimité, demeure un concept ambigu. Son caractère
interdisciplinaire exige pour reprendre les termes de GYÖRGY Antalfy,
qu'elle soit analysée à la fois selon la vision de la
théorie de l'État et du Droit. Deux branches du Droit nous
offrent les outils théoriques, juridiques nécessaires pour mieux
cerner la différentiation qui existe entre ces deux niveaux de
souveraineté. Il s'agit précisément du droit international
public et du droit public interne. La Science du droit international public
étudie la souveraineté sous l'angle exclusif des relations
internationale. De l'autre côté, celle du droit public interne
traite le problème en le projetant sur les conditions politiques
intérieures et l'organisme étatique d'un État
donné. D'où le regard qu'il faut également porter sur
l'histoire des doctrines politiques.
Comme toute notion d'ailleurs, le concept a connu
d'importantes variations. Ses connotations actuelles ne sont que les
résultats d'un long processus historique dont la reconstitution
s'avère difficile. Aucune trace d'une littérature quelconque de
la notion de souveraineté n'a été remarquée dans
l'Antiquité. Au Moyen-âge, elle s'est formée relativement
tard. Dans la doctrine, la notion de souveraineté s'est
véritablement développée au XVIe siècle grâce
aux travaux de Jean Bodin. Dans le courant de la Renaissance, l'idée de
souveraineté finit par faire fortune. On la retrouvera notamment chez de
nombreux auteurs comme Machiavel.
Jean Bodin étant l'un des premiers à proposer
une théorie de la souveraineté, précise que la
souveraineté est le pouvoir suprême qui n'est pas lié par
le Droit, et qui possède le monopole de créer et d'appliquer le
Droit et d'exercer la contrainte de l'État (Gonzales, 2004). Le pouvoir
suprême dont parle Bodin ici est celui du Monarque. Celui-ci
hérite d'un droit divin qui lui confère un pouvoir absolu sur ses
sujets. Cette nouvelle conception de la souveraineté se fonde sur les
luttes d'indépendance de l'État par rapport à
l'Église. Le passage de la féodalité à
l'absolutisme a par ailleurs profondément modifié le sens et la
signification de la notion de souveraineté. On assiste
présentement à une souveraineté équivalant à
la plénitude du pouvoir de l'État. C'est l'ère de
l'État féodal absolu.
Avec les philosophes des lumières, on assistera
à une toute autre réalité. Ces derniers s'opposent
catégoriquement à toute idée qui tendrait à
justifier le pouvoir illimité du Monarque.
35
C'est ainsi que sont nés les principes de «
séparation des pouvoirs, de constitutionnalité et de la
représentation populaire ».
Dans le livre II, chapitre I du contrat Social, Jean-Jacques
Rousseau affirmera que la souveraineté n'est que l'exercice de la
volonté générale dans ce qu'elle a d'exclusif, « la
direction des force de l'État selon la fin de son institution qui est le
bien commun ». La souveraineté est ainsi l'exercice d'un pouvoir
absolu confié au corps politique, lequel pouvoir est lui-même
l'émanation de la volonté générale au terme d'un
pacte social qui l'institue. Pour lui, la souveraineté compète
nécessairement au peuple (György, 1968, p. 9).
En Angleterre, on s'opposera catégoriquement à
l'idée de la souveraineté du peuple. On considère au
contraire que c'est le parlement qui est souverain. Locke qui a
particulièrement porté ce projet, a indiqué le parlement
comme sujet du pouvoir d'État. Les partisans de cette thèse
estiment que le parlement est l'incarnation de la volonté du peuple tout
entier. Un point-de-vue que de très nombreux observateurs
considèrent comme erroné dans la mesure où le parlement
est perçu comme un instrument de la politique de la classe dominante des
capitalistes.
Dans son texte « Les principes de la Philosophie du
Droit » Hegel pose les bases de cette nouvelle théorie. Il
propose, pour sa part, une toute autre peinture de la notion de
souveraineté. Contrairement à Rousseau, il considère que
la souveraineté est l'apanage de l'État lui-même. Suivant
cette approche hégélienne, la souveraineté n'est autre que
la caractéristique fondamentale d'un État légal et
constitutionnel. Il en ressort que la souveraineté est « l'essence
de l'État elle-même ».
Dans la structure actuelle de la société
internationale, les critères de population, de territoire
délimité par des frontières et d'un gouvernement effectif
se révèlent insuffisants pour caractériser l'État.
Les communes, les départements ou encore les régions ne
peuvent-ils pas revendiquer eux-aussi ces caractéristiques ? La
réponse est à coup sûr oui. « Le critère
permettant de distinguer un État d'une collectivité non
étatique est : son indépendance vis-à-vis de toute autre
entité qui se traduit, sur le plan du droit, par la souveraineté
» (Agniel, p. 15). Comme nous l'avons fait remarquer
précédemment, le concept de souveraineté est d'une
importance capitale. L'article 2 de la charte des Nations unies consacre
solennellement le principe de la souveraineté des États en ces
termes : « L'Organisation est fondée sur le principe de
l'égalité souveraine de tous ses Membres ».
36
Cependant, la souveraineté de l'État a une
double portée. Dans l'ordre interne, elle se traduit par une puissance
illimitée sur l'ensemble des collectivités et des personnes qu'il
dirige. Une conception qui signifierait que l'État est le seul à
pouvoir limiter ses compétences. Quand nous considérons les
nouvelles réalités qui sont nées des relations
interétatiques, l'idée de questionner la portée et la
signification du concept au regard du droit internationale s'impose.
Dans l'ordre international, l'idée de
souveraineté implique deux choses. D'abord une absence totale de toute
subordination sur le plan organique puis, une souveraineté
octroyée par le droit international. Il importe de faire observer qu'au
sein de la société internationale, le Droit joue le plus souvent
une fonction secondaire. Les normes n'ont jamais pu empêcher aux
États de recourir au pouvoir et à la force lorsque leurs attentes
ne sont pas comblées. Le dynamisme qui prédomine donc au sein de
la société internationale oblige les États à
investir des espaces extralégaux lors même que le droit
international ne laisserait aucun vide juridique. C'est ainsi que de plus en
plus, le droit international tend à limiter la souveraineté des
États en précisant leurs champs de compétence.
Une approche soutenue par Marcelio Oreja (1987, p. 512) quand
il avance que : « A priori, les deux notions de «
souveraineté des États » et de « respect des droits
humains» semblent antinomiques et inconciliables, chacune ne pouvant se
réaliser qu'au détriment de l'autre. » Pour l'auteur de
l'article les rôles respectifs de l'État et du citoyen, la
souveraineté quand elle est absolue constitue un obstacle majeur pour le
respect des droits fondamentaux des individus.
En conclusion, la souveraineté des États
dépasse largement le cadre théorique. Un État n'est
souverain que s'il est capable de remplir ses fonctions régaliennes et
ses fonctions de base. Pour James Boyard (2010, p. 34), dans l'ordre interne,
la souveraineté traduit les compétences exclusives de
l'État à assurer certaines responsabilités politiques,
sociales et administratives appelées fonctions régaliennes de
l'État. Tournée vers l'externe, elle exprime la capacité
juridique de l'État à participer pleinement dans les jeux des
relations internationales.
Aujourd'hui, avec l'introduction par la commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des États
du concept de la « responsabilité de protéger
», la teneur de la souveraineté a complètement
été modifiée. Des conceptions comme la souveraineté
des États et l'égalité souveraine ne sont que des
idéologies qui symbolisent ou camouflent certaines
réalités.
37
Des expressions de ce genre sont dangereuses.
(Schwarzenberger, 1949, p.137). La souveraineté de l'État est
donc de plus en plus encadrée par l'État de droit.
Est développée ici, la conception
théorique de l'État de droit, telle que présentée
dans le Dictionnaire des Droits de l'homme dirigé par Joël
Adriantsimbazovina et al, et publié en 2008 par les Presses
Universitaires de France.
Concept fondateur du droit public moderne, l'État de
droit traduit une certaine vision du pouvoir, forgé au fil de l'histoire
de l'Occident et qui apparait inhérente à la conception
libérale de l'organisation politique : donnant à voir un pouvoir
limité parce qu'assujetti à des règles, il implique que
les gouverneurs ne soient pas placés au dessus des lois, mais exercent
une fonction encadrée et régie par le droit.
À l'origine. C'est-à-dire, au cours du XIXe
siècle dans la pensée juridique allemande, le concept État
de droit poursuivait un objectif commun qui consistait à offrir un
encadrement juridique à la puissance publique de l'État. A
l'opposé de cette conception admise par tous, se profilent d'autres
visions assez différentes. Ainsi, l'État de droit c'est
tantôt l'État qui agit au moyen du droit, tantôt
l'État qui agit au moyen du droit, tantôt celui qui est assujetti
au droit, tantôt encore l'État dont le droit comporte certains
attributs intrinsèques.
Avec le temps, la conception formelle a fini par l'emporter,
donnant ainsi à l'État de droit le sens d'un État soumis
à un régime de droit, c'est-à-dire, dont l'action est
entièrement régie et encadrée par le droit. Après
la seconde guerre mondiale l'État de droit fera l'objet d'une
transcription dans le droit positif. Au-delà de la hiérarchie des
normes, l'État de droit sera désormais entendu comme impliquant
l'adhésion à un ensemble de principes et et de valeurs
bénéficiant d'une consécration juridique explicite.
Au cours des années 1980, le concept a connu une
véritable transmutation. Il signifie alors que la liberté de
décision des organes de l'État est, à tous les niveaux,
encadrée par l'existence de normes juridiques, dont le respect est
garanti par l'intervention d'un juge ; il présuppose donc que les
élus ne disposent plus d'une autorité sans partage, mais que leur
pouvoir est d'essence limité : et il implique qu'ils se confirment aux
règles qu'ils ont eux-mêmes posées. Corrélativement,
la dogmatique de l'État de droit conduit à conférer au
droit une place toujours plus grande dans la société.
Actuellement, l'État de droit ne tient plus lieu de
référence seulement dans l'ordre interne. Plus
profondément, dans la mesure où la logique de l'État de
droit est fondée sur le principe selon
38
lequel la puissance de l'État est encadrée par
des normes juridiques, elle trouve son prolongement au niveau international :
la mise en place du système des Nations Unies et la consécration
à partir de Déclaration universelle des droits de l'homme, d'un
socle de droits fondamentaux s'imposant aux États, ont ainsi posé
les fondations d'un État de droit international.
|