II. LA LUTTE POUR LA
VISIBILITÉ
La lutte que livre un parlementaire pour augmenter sa
visibilité numérique place son intime au centre de sa
stratégie de communication (A), et les contenus qui y sont
diffusés sont, nous le verrons, personnifiés et
négociés (B).
A. L'INTIME COMME STRATÉGIE DE
COMMUNICATION
1. Mettre en scène sa vie privée
La mise en avant de la vie privée des élus est
un phénomène croissant, global et qui n'est pas propre aux
parlementaires français. Ainsi de nombreuses personnalités
politiques mettent en avant leur vie privée et se présentent
volontiers comme « père » ou « mère », «
marie » ou « femme » avant d'être maire, parlementaire ou
ministre.
24 ÉCORMIER-NOCCA Florence et LOUIS-SIDOIS Charles, «
Fronde 2.0. Les députés français sur Twitter »,
Revue française de science politique, vol. vol. 69, no. 3,
2019, p. 481
25
Pour Philippe Riutort, l'essor d'un traitement de la politique
mettant l'accent sur « la dimension privée des protagonistes ou la
psychologie des personnages25 » peut être vu comme un
« glissement du spectacle politique26 » .
Recourir aux animaux de compagnie pour montrer son
côté humain est un grand classique de la communication politique.
L'exemple de Gerald Darmanin mettant en scène son chat Boris est un
véritable cas d'école. Lui-même affirmait que « les
gens sont surtout sensibles à leurs animaux de compagnie27
». Il recommandait également ceci à ses collègues :
« plutôt que de mettre des choses compliquées et techniques
sur vos comptes Twitter ou Instagram, mettez des photos de chats et de chiens,
et, vous verrez, ça ira mieux. Vous montrerez que vous avez du coeur et
de l'émotion28 » .
Ainsi la mise en scène d'éléments de la
vie privée d'un élu peut participer à sa stratégie
de communication. C'est le cas de mon parlementaire qui estime que la place
réservée à sa vie privée sur les médias
sociaux « est très modérée » et se limite
à la « publication de photos perso sur Instagram pour illustrer une
cause ou faire un peu de publicité à une entreprise
locale29 ».
Pour autant, sa collaboratrice tient un discours moins
nuancé et estime qu'« elle n'a pas assez mis en avant le capital
"jeune" et "femme". Par exemple c'est moi qui lui ai dit de publier une photo
de son chien pour la journée mondiale du chien. On l'incite à
développer ce genre d'initiatives, ça l'humanise un
peu30 ». Autant d'initiatives qui font appel aux
émotions, à l'empathie et qui mettent en scène des
éléments qui auparavant relevaient plutôt de la vie
privée de l'élu.
À la question « considérez-vous qu'un
élu puisse tirer avantage politique à diffuser du contenu de sa
vie privé sur ses réseaux sociaux ? », sa réponse fut
la suivante :
25 RIUTORT Philippe, « Sociologie de la communication
politique », La Découverte, 2007, p. 102
27
https://www.valeursactuelles.com/politique/contre-la-crise-darmanin-recommande-aux-ministres-de-publier-des-photos-de-chats-et-de-chiens-sur-les-reseaux-sociaux-115347
29 Entretien téléphonique avec Nadine,
Députée, 25/08/2020
30 Entretien téléphonique avec Marion,
collaboratrice parlementaire, 28/08/2020
26
« Je pense que ça dépend du média.
Nadine met plus en avant sa vie privée sur Instagram, au restaurant
avec ses amis, elle met beaucoup de photos de (son chien) Nouba car il y a un
lien un peu plus intime avec Instagram. Je trouve ça très
déplacé de faire ça sur Twitter et Facebook. C'est des
pages publiques... Je vois pas trop l'intérêt3 1 »
La réponse de la collaboratrice permet d'entrevoir les
codes et les usages afférents à chaque média social, selon
la pratique que chaque élu en fait. Le dispositif de déploiement
de la communication se veut adapté au contenu publié. On peut
également sentir une forme d'auto-limitation dans la part de vie
privée qu'il est acceptable d'utiliser pour accroître la
notoriété d'un élu.
Mais paradoxalement, cette mise en scène de la vie
privée, plutôt que de rapprocher le représenté de
son représentant, l'éloigne un peu plus.
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