PROFILS D'ARTISTES
Ce premier chapitre aura pour ambition de présenter les
artistes participant au Parcours d'Art Contemporain d'Amiens Métropole;
notamment en établissant des récurrences dans leur parcours, dans
leur profil.
Ma proposition pour saisir le vécu d'un artiste,
surtout dans un territoire tel que les Hauts-de-France, n'est pas la
première. Si le monde de l'art contemporain peut être
perçu, à raison, comme un monde centralisé en
Ile-de-France, pour ne pas citer Paris, cette représentation est une
manière de masquer l'ensemble des artistes et autres acteurs du monde de
l'art travaillant sur le reste du territoire en France. En 2011, une
enquête79 a alors été menée auprès
d'acteurs culturels et d'artistes dans 5 agglomérations de France et,
suite à cette enquête, 4 profils d'artistes ont été
établis. Construits sur 2 oppositions, tradition/innovation et
commande/oeuvre, ces profils d'artistes sont les suivants : l'artiste de
salons, rattaché au monde de l'art classique, avec un financement
privé; l'artiste artisan-entrepreneur, rattaché lui aussi au
monde de l'art classique mais avec un financement principalement
institutionnel; l'Art Fair Artist, qui s'inscrit dans le monde marchand de
l'art contemporain; l'artiste à 360°, qui s'inscrit, lui, dans le
monde institutionnel de l'art contemporain. Ce dernier tend à se
rapprocher de ce que j'ai pu voir au cours de mon enquête de terrain.
D'un côté, l'artiste à 360° se caractérise par
une formation artistique, une approche contemporaine de l'art, une importante
intermédiation institutionnelle et des réponses à des
appels à projets. D'un autre côté, il se caractérise
aussi par des éléments que je n'ai pas vu durant mon travail
d'enquête, des éléments que je ne peux pas approuver; ces
éléments sont l'inscription des artistes dans des collectifs et
la vente d'oeuvres comme constituant leur principale source de revenus, alors
que les artistes rencontrés dans le cadre du Parcours d'Art Contemporain
d'Amiens Métropole travaillent souvent seuls et la vente d'oeuvres n'est
qu'une part minoritaire de leurs revenus pour la plupart d'entre eux.
Commandé par la filière Arts Visuels
Hauts-de-France et mené par le bureau d'études Contexts,
l'état des lieux des arts plastiques en Hauts-de-France a aussi permis,
suite à un questionnaire auquel 480 artistes des Hauts-de-France ont
répondu, de réaliser 5 profils d'artistes80. Pour
reprendre ces profils par ordre de représentation, 32% des
répondants exercent une autre activité principale,
rémunératrice; 25% se consacrent à la création
artistique mais ont des revenus modestes, environ 8.500 euros sur
l'année 2018; 19% se consacrent aussi à la création
artistique mais ont des revenus relativement élevés, environ
17.500 euros sur l'année 2018; 15% des
79 De Vrièse, M., Martin, B., Melin, C., Moureau, N.,
& Sagot-Duvauroux, D. (2011). « Diffusion et valorisation de l'art
actuel en région. Une étude des agglomérations du Havre,
de Lyon, de Montpellier, Nantes et Rouen ». Culture
études, 1(1), 1-16.
80 Carton, A., Dubruel, V., & Sourisseau, R. (2020). Etat
des lieux des arts plastiques en Hauts-de-France. Arts Visuels
Hauts-de-France, p. 25.
32
répondants cumulent diverses activités
professionnelles et 9% s'inscrivent dans des réseaux variés.
Encore une fois, décrire les artistes du Parcours d'Art Contemporain
à partir de ces constructions, ces définitions, serait
délicat et précipité tant ces derniers représentent
une diversité de situations.
Je peux maintenant mentionner les 10 artistes que j'ai
rencontré au cours de mon enquête de terrain, sur les 12 qui
participeront au Parcours d'Art Contemporain d'Amiens Métropole; 2 des
artistes, Alexandra Epée ainsi que Marc Gerenton, ne pouvant
répondre positivement à ma demande d'entretien pour diverses
raisons :
- Aude Berton, née en 1970 (50 ans) à Amiens,
habite à Amiens.
- Louis Clais, né en 1987 (33 ans) à Amiens, habite
à Paris.
- Gabriel Folli, né en 1990 (30 ans) à Chauny
(Aisne), habite à Amiens.
- Rémi Fouquet, né en 1989 (31 ans) à
Maubeuge (Nord), habite près de Cambrai (Nord).
- Franck Kemkeng Noah, né en 1992 (28 ans) à
Yaoundé (Cameroun), habite à Roubaix
(Nord).
- Katerini Antonakaki, née en 1964 (56 ans) à
Athènes (Grèce), habite à Rivery.
- Daniela Lorini, née en 1981 (39 ans) à La Paz
(Bolivie), habite à Lille.
- Violette Mortier, née en 1997 (23 ans) à Amiens,
habite à Amiens.
- Marion Richomme, née en 1986 (34 ans) à Tarbes
(Hautes-Pyrénées), habite à Le Quesnel-
Aubry (Oise).
- Nicolas Tourte, né en 1977 (43 ans) à
Charleville-Mézières (Ardennes), habite à Lille.
Cette première « présentation » des
artistes, ne serait-ce que par des données sommaires,
permet 3 premières remarques. Pour commencer, une
certaine parité a été respectée dans la
sélection des artistes; volontairement ou non, 6 femmes et 6 hommes ont
été retenus dans le cadre du Parcours d'Art Contemporain.
Ensuite, si la carrière artistique commence à partir de 33 ans
pour les artistes des Hauts-de-France81, les artistes
rencontrés ont un âge moyen d'environ 37 ans; nous pouvons alors
constater que la moitié des artistes, peuvent être
considérés comme au début de leur carrière. «
On dit « Artiste émergent ». J'ai 30 ans passés,
ça fait 6, 7 ans que je suis sorti d'école. Comment on fait si on
doit tenir 6, 7 ans pour vivre ? » nous confiait Rémi Fouquet;
illustrant la temporalité particulière du travail artistique et
la lente insertion de l'artiste dans le monde du travail. Pour terminer sur ces
premières caractéristiques, tout les artistes résident
dans les Hauts-de-France; nous pouvons alors présupposer une certaine
connaissance du territoire, ce même territoire dont il est question dans
la thématique du Parcours d'Art Contemporain.
81 Carton, A., Dubruel, V., & Sourisseau, R. (2020). Etat
des lieux des arts plastiques en Hauts-de-France. Arts Visuels
Hauts-de-France, p. 89.
33
Construire des profils d'artistes à partir d'une
approche quantitative serait réducteur vis-à-vis de la
diversité que je tenterai de restituer de manière exhaustive dans
ce premier chapitre; d'autant que, à mon échelle d'étude,
je préférerai une approche qualitative, c'est-à-dire
à partir d'entretiens, pour rétablir les diverses conditions et
pratiques des artistes rencontrés.
I. Définir l'artiste
Qu'est-ce qu'un artiste ? Actuellement, il n'en existe aucune
définition unanime. Cependant, certains critères, arbitraires,
existent et peuvent prouver un certain professionnalisme de la part des
artistes participant au Parcours d'Art Contemporain.
Face à la complexité de la définition de
l'artiste, un premier critère, utilisé notamment durant la
réalisation de l'état des lieux des arts plastiques en
Hauts-de-France, est l'autodéfinition; est artiste l'individu se
définissant artiste. Cela pourrait aller de soi mais avoir une pratique
artistique ne permet pas tout le temps de se définir artiste; c'est ce
que m'avait révélé mon précédent travail sur
la scène rock amiénoise, les personnes rencontrées avaient
une pratique musicale, pouvaient être rémunérées
à l'occasion de concerts, mais ne se considéraient pas comme
artistes. Cette année, je n'ai eu aucune réticence de la part des
personnes rencontrées pour utiliser le mot d'artiste; même si cela
a pu être le cas au début de carrière pour une artiste qui
avait initialement une formation d'architecte (« Je ne me sentais pas
comme un artiste pour exposer dans une galerie parce que j'avais pas fait des
études des Beaux-Arts. »82).
En effet, le cursus académique peut participer, lui
aussi, à la définition de l'artiste. Dans ce sens, tout les
artistes rencontrés ont eu une formation artistique, la formation
artistique étant une forme de reconnaissance de la part de
professionnels, des professionnels qui approuvent leur travail. Pour citer tout
les parcours rencontrés, 3 des 12 artistes ont réalisé un
cursus universitaire de 5 ans à l'UFR des Arts de l'Université de
Picardie Jules Verne. Les autres artistes ont réalisé leur cursus
scolaire, ou une partie de leur cursus scolaire, dans diverses écoles
d'art telles que l'Ecole des Beaux-Arts de Nantes, les Ecoles
Supérieures d'Art de Cambrai, Reims et Valenciennes, ou encore les
Ecoles Nationales Supérieures de Bruxelles,
Charleville-Mézières et Paris. Au sein de ces écoles,
précisons que 3 années d'études permettent l'obtention du
Diplôme National d'Arts Plastiques et que 5 années d'études
permettent l'obtention du Diplôme National Supérieur d'Expression
Plastique.
82 Entretien avec Daniela Lorini
34
Un autre critère de définition de l'artiste peut
être le critère de l'administration. A l'exception de Katerini
Antonakaki, qui est intermittente du spectacle, tout les artistes
rencontrés déclarent leur activité artistique
auprès de l'INSEE et ont un statut d'auto-entrepreneur. A ce titre,
comme toute entreprise, ces derniers ont un numéro SIRET
attribué. De même, si j'ai commencé mes entretiens en
évoquant la Maison des Artistes et l'Agessa comme sécurité
sociale des artistes-auteurs, j'ai appris que, depuis le début de
l'année 2020, les artistes déclarent leurs revenus et cotisent
auprès de l'URSSAF; avec l'URSSAF Limousin comme
interlocuteur83.
Je parlais précédemment du cas de Katerini
Antonakaki, co-responsable artistique, avec Sébastien Dault, et
intermittente du spectacle de l'association La Main d'Oeuvres. Basée
à Camon, dans la métropole d'Amiens, La Main d'Oeuvres est une
association de spectacle vivant qui réalise aussi « des
expositions, des installations, des installations sonores, des concerts, des
lectures, plein de choses »84. Au sein de cette seule
association, nous remarquons alors une certaine diversité de formes
artistiques. Si la diversité des formes artistiques peut être un
propre de l'art contemporain, certains médiums, certaines pratiques, ne
permettent pas de se sentir tout le temps artiste; cela dépend aussi de
l'utilisation du médium en question, de comment ce dernier est
utilisé, à des fins esthétiques ou non. C'est cet
entre-deux entre artiste et prestataire de services que m'expliquait Violette
Mortier (« Le problème, avec le statut de photographe, c'est
qu'on est un peu coincé. C'est difficile d'être
déclaré, enfin, d'être déclaré comme artiste
photographe, vu que c'est un moyen aussi de ... On fait des prestations de
services. Du coup j'ai une formation de photographe aussi. Et si, j'ai des
petits boulots, de l'ordre du commercial quoi, où je vais photographier
pour des revues pharmaceutiques, des choses comme ça.
»85). La partie suivante va me permettre de revenir sur
ces pratiques artistiques, comme la photographie, qui composent l'art
contemporain et qui seront utilisées par les artistes
rencontrés.
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