III. Problématisation
48 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain.
Structures d'une révolution artistique. Gallimard, p. 94.
49 Ibid, p. 96.
50 Ibid, p. 60.
51 Ibid, p. 37.
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Suite à cette première approche de ma
thématique par l'intermédiaire de la sociologie de l'art, nous
pouvons peut-être réaliser une autre approche centrée sur
la ville.
Depuis les années 1970, en France, les politiques
culturelles ont connu d'importantes mutations. Dans un premier temps, nous
avons assisté à une déconcentration, c'est-à-dire
à l'intervention de l'Etat sur les territoires, via le Ministère
de la Culture, avec les Directions Régionales des Affaires Culturelles.
Suite à cette déconcentration de la culture en France, les
collectivités territoriales ont aussi pris du « pouvoir culturel
», une certaine autonomie dans leur prise de position culturelle au
détriment de l'Etat et du Ministère de la Culture; ce que nous
appelons la décentralisation, que nous pouvons illustrer avec la
création des Fonds Régionaux d'Art Contemporain dans les
années 1980. « Il s'agissait de proposer aux régions,
nouvelles venues en tant que collectivités territoriales, d'être
un niveau d'accompagnement des politiques de l'État, en abondant les
dotations ministérielles dans des domaines spécifiques.
»52 Les FRAC sont maintenant principalement
financés par les régions. La décentralisation de la
culture en France a pour intérêt de rapprocher le politique de la
population, de s'inscrire sur un territoire, de faciliter les relations entre
la collectivité, les acteurs culturels, les artistes et les habitants.
Les politiques culturelles sont ainsi davantage territorialisées; elles
ne se construisent pas selon un modèle de l'Etat mais selon un
territoire53. Avec ce processus de territorialisation, la ville me
paraît être une échelle pertinente pour étudier les
politiques culturelles.
Dans mon cas, c'est Amiens Métropole qui
m'intéresse. Amiens est la seconde ville des Hauts-de-France,
après Lille, et sa métropole, qui est précisément
une communauté d'agglomération, réunit 39 communes, soit
près de 180.000 habitants sur près de 350 km2. La
ville, comme entité, est souvent pensée, par opposition à
la campagne, au milieu rural, comme un lieu où il y a tout le temps de
l'activité, où il se passe des choses, des
événements. L'événement est marquant, c'est ce dont
nous nous souvenons. « Faire date, quel qu'en soit le moyen, c'est
bien de cela qu'il s'agit. »54 Les politiques culturelles
l'ont bien compris : Art & Jardins, le Festival International du Film
d'Amiens, le Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens, La Rue est
à Amiens, etc. Ce sont les événements qui animent la vie
culturelle de la ville. Cependant, le Parcours d'Art Contemporain, si il est
à mettre en lien avec certaines de ses directives, n'était pas
prévu dans le projet culturel d'Amiens Métropole55. Il
vient pourtant répondre à un manque, un manque d'art contemporain
dans la métropole d'Amiens; et « il est plus facile de se
projeter réellement dans l'avenir quand un territoire est marqué
par ses manques ou ses retards (au regard éventuellement
52 Barone, S. (2011). Les politiques régionales en
France. La Découverte, p. 140.
53 Berutti, J., Hénart, L., & Robert, S. (2008).
« Vers un nouveau contrat des politiques culturelles ? ».
L'Observatoire, 34(2), 3-6, p. 3.
54 Goetschel, P. (2017). « La fabrique
événementielle ». L'Observatoire, 50(2),
16-18, p. 17.
55 Amiens Métropole. (2014). Projet Culture et
Patrimoine 2014-2020.
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de standards nationaux ou internationaux) que lorsqu'il
est saturé d'institutions et de propositions régulièrement
rénovées. »56 Ce « manque » reste
à définir. Des structures accueillent de l'art contemporain
à Amiens; nous pouvons citer le Safran, avec un espace
dédié à l'art, le Carré noir, le FRAC Picardie,
centré sur le dessin, le Musée de Picardie, sa collection restant
« timide », ou encore la Maison de la Culture. En ce qui concerne les
espaces marchands, aucune galerie à dimension contemporaine n'est
réellement présente sur le territoire amiénois; citons
l'Imprimerie qui expose quelques oeuvres picturales ou encore la mise à
disposition d'un espace d'exposition pour les artistes de la part de l'Amiens
Athletic Club. Face à ce constat, en 2018, une décision a
été prise par la Direction de l'Action Culturelle et du
Patrimoine d'Amiens Métropole, celle de développer la
structuration des acteurs des arts visuels; une décision qui a notamment
abouti à la création d'un nouveau poste, celui de chargé
de projets Patrimoine et Arts Visuels. C'est donc avec Fabiana De Moraes, la
chargée de projets Patrimoine et Arts Visuels, que nous avons pu revenir
sur la place de l'art contemporain à Amiens. « Il y a pas
beaucoup de place pour l'art contemporain à Amiens. Ce parcours d'art
contemporain va naître aussi pour combler ce trou, cette lacune dans ce
territoire. On a des lieux, bien sûr, qui exposent l'art contemporain,
mais de manière pas articulée, pas coordonnée.
»57 Ce parcours est aussi une manière de mettre en
réseau les structures pouvant exposer de l'art contemporain sur le
territoire. La création d'un tel événement va alors donner
de la visibilité à l'art contemporain à Amiens. Je vais
maintenant présenter ce Parcours d'Art Contemporain.
Après une première édition en 2018,
elle-même sur la thématique «Art, territoires et
mutations», la seconde édition du Parcours d'Art Contemporain,
« Art, territoires : créer et habiter »58, devait
se dérouler du 13 novembre au 16 décembre 2020 dans divers
espaces, 18 pour être précis, de la métropole d'Amiens;
citons-en quelques uns ici, de manière arbitraire : le Centre Social et
Culturel Etouvie, la Maison de l'Architecture, le FRAC Picardie, le
Musée de Picardie ou encore la Maison de la Culture. Durant ce mois, des
ateliers et rencontres étaient aussi prévus; telles que des
conférences-débats. La thématique de cette édition
propose de penser la relation entre l'Homme et son environnement;
l'appropriation, par la création, de l'espace; l'interaction entre l'art
et la « communauté ». « Il y a un impératif,
c'est que les artistes doivent se tourner vers les habitants et doivent
proposer des démarches participatives, inviter les habitants à
participer; soit à la réalisation, soit à un moment de
médiation de l'oeuvre. Il faut que les habitants soient là au
bout d'un moment. Il faut que les gens soient mobilisés autour d'un
projet artistique. »59 La question de
56 Teillet, P. (2008). « Les projets culturels urbains au
prisme de la métropolisation ». L'Observatoire,
34(2), 21-23, p. 22.
57 Entretien avec Fabiana De Moraes
58 Amiens Métropole. (2019). Appel à
candidature.
59 Entretien avec Fabiana De Moraes
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la ville dans l'oeuvre d'art n'est pas nouvelle. «
Dans les années soixante-dix, des expositions ont signalé
l'ancrage des oeuvres exposées dans la culture locale urbaine, mettant
en vue des oeuvres dont le propos était la ville elle-même.
»60 De même, depuis le début des
années 2000, les artistes interviennent dans la vie sociale de la ville,
de ses habitants61. Dépassée est la conception de
l'artiste créateur, qui ne vit que pour l'art, dans son atelier, seul.
L'artiste doit maintenant prouver l'utilité de son travail; par exemple
en intervenant en milieu scolaire. Chaque intervention de l'artiste est ainsi
une manière de questionner son utilité sociale; « il ne
s'agit plus, pour le praticien d'art, de viser la pérennité de sa
personne artiste par la réalisation d'une potentielle oeuvre susceptible
de se révéler par des publics futurs, mais de se construire
socialement dans ce qu'il peut apporter aux autres par l'exercice de pratiques
artistiques. »62
De la même manière que la politique culturelle
d'Amiens Métropole, à travers le Parcours d'Art Contemporain,
demande à l'artiste de questionner la relation de l'Homme à
l'espace qui l'entoure, je questionnerai aussi l'artiste sur sa manière
d'habiter la ville, d'investir ses espaces. Les questions que je poserai seront
les suivantes : Quel propos l'artiste porte-t-il sur la ville ? Quelle
conception de la ville révèle sa démarche artistique ?
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